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Le Professeur Jérôme Lejeune au service de la Vie

le samedi, 01 mars 2008. Dans Témoignages

Ami de Jean-Paul II et du Roi des Belges, Baudoin 1er

Nous reproduisons ci-dessous l'excellent article de Dom Antoine Marie, osb, paru le 15 avril 2007, fête de la Miséricorde. dans la lettre spirituelle de l'Abbaye St-Joseph de Clairval, F-21150 Flavigny-sur-Ozerain, France - www. clairval.com. Dom Antoine nous présente le professeur Jérôme Lejeune, le plus grand scientiste défenseur de la Vie dans sa lutte contre l'avortement, en France, décédé à Pâques 1994. Nous le citons en exemple à tous nos scientistes et politiciens canadiens-français qui ont décrété la mort de notre peuple en votant ou en pratiquant l'avortement au point qu'il n'y a pas suffisamment de naissances pour sa survie, et on est obligé de faire appel à une immigration de masse, pour peupler le Québec. — Th.T

Août 2007 : Jean-Paul II est en France pour les Journées Mondiales de la Jeunesse. On apprend que le Pape a bousculé le programme de son voyage : malgré des pressions contraires, il fait un crochet par Châlot-saint-Mars, bourg d'Ile-de-France, afin de se recueillir sur la tombe de son ami le professeur Lejeune, décédé en 1994.

Un vrai scientiste catholique

Jérôme Lejeune est né en 1926, à Étampes, France, dans une famille que la guerre de 1939-1945 laissera ruinée. À 13 ans, la découverte de deux auteurs, Pascal et Balzac, le marque pour la vie. Subjugué par le Dr Bénassis, héros du « médecin de campagne », il veut devenir, lui aussi, médecin de campagne, dévoué aux humbles et aux pauvres. Après la guerre, il se jette avec passion dans les études de médecine. Bientôt, une motivation supplémentaire le stimule au travail : il a fait la connaissance d'une Danoise, Birthe, et s'en est épris passionnément. Le 15 juin 1951, il soutient avec succès sa thèse de doctorat. Ce même jour, son avenir se décide dans un sens tout différent de ses projets : un de ses maîtres, le professeur Raymond Turpin, lui propose de collaborer à un grand ouvrage sur le « mongolisme », maladie qui atteignait un enfant sur six cent cinquante. Jérôme accepte. Sa voie est désormais tracée. Le 1er mai 1952, il épouse, à Odense au Danemark, Birthe Bringsted devenue catholique, dont il aura cinq enfants. La vie de famille est pour lui un objet de prédilection, surtout pendant les vacances. Pendant ses séjours à l'étranger, chaque jour il écrit à sa femme.

En 1954, il devient membre du bureau de la Société française de génétique et attaché de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique. Depuis les explosions d'Hiroshima et de Nagasaki, l'effet des radiations nucléaires sur la reproduction humaine est à l'ordre du jour. Turpin oriente son équipe vers ce domaine, et, en 1957, Jérôme est nommé, auprès de l'ONU, « expert sur les effets des radiations atomiques en génétique humaine ». Il participe, dès lors, à des congrès internationaux, où il se fait remarquer par sa candide liberté de langage, face à la volonté de domination de certaines délégations.

Trois enfants font déjà le bonheur de son foyer, lorsque la santé de son père se dégrade. Jérôme est mis devant l'évidence : il s'agit d'un cancer des poumons. L'agonie de ce père aimé lui fait réaliser à quel point « la vue de la souffrance de ceux que l'on aime est insupportable ». Son regard devient désormais plus profond : dans chaque visage de patient, il reconnaîtra le Christ lui-même.

Profitant de nouveaux procédés photographiques, Jérôme met en évidence, dans un tissu provenant d'un petit « mongolien », la présence d'un chromosome supplémentaire, au niveau de la 21e paire (un être humain en compte 23, soit 46 chromosomes). Voilà l'origine du « mongolisme », maladie désormais nommé « trisomie 21 ». Communication est faite de la découverte à l'Académie de Médecine, en mars 1959. En novembre 1962, Jérôme se voit décerner le « prix Kennedy » ; en octobre 1965, il devient titulaire de la première chaire de génétique fondamentale à Paris. Tout porte à l'espérance : sa découverte et la publicité qui en est faite dans le monde scientifique, pense-t-il, stimuleront la recherche, et permettront la mise au point de traitements appropriés pour guérir les malades et donner une espérance à leurs parents. Les familles des malades, attirées par la renommée internationale de Jérôme et son accueil, s'adressent de plus en plus nombreuses à lui. Il traite plusieurs milliers de jeunes patients, venus le consulter du monde entier ou suivis par correspondance. Il aide les parents à comprendre et à accepter cette épreuve dans une vision chrétienne : ces enfants trisomiques, créés à l'image de Dieu, sont promis à un avenir éternel où rien ne demeurera de leurs infirmités. Il les assure que leur enfant, malgré un grave handicap intellectuel, débordera d'amour et de tendresse.

Le racisme chromosomique

Mais Jérôme perçoit, surtout dans le corps médical américain, un courant qui préconise la suppression par l'avortement des malades à naître. Il voit avec frayeur quels risques sa découverte vient d'engendrer pour les trisomiques. Pour combattre cette forme de racisme, l'appel à la réalité expérimentale lui paraît une arme décisive. Elle montre, en effet, aux esprits non partisans, qu'il n'est pas permis de regarder comme étrangers à l'espèce humaine des êtres qui, biologiquement, font partie de cette espèce : l'embryon est un homme.

Août 1967 : le professeur Lejeune est convié à la septième assemblée mondiale de l'Association médicale israélienne, à Tel-Aviv. Alternant travaux et excursions ; la première a pour but le lac de Tibériade. « J'entrai dans une petite chapelle de mauvais goût, relate Jérôme... Je m'allongeai de tout mon long pour baiser la trace imaginaire des pas de Celui qui était là ». À cette instant, il éprouve un sentiment inconnu : « Un fils retrouvant un Père très aimé, un Père enfin connu, un Maître révéré, un Cœur très sacré découvert, il y avait de tout cela et beaucoup plus... » Tout fond au feu de ce brasier d'amour : le monde, les honneurs, la réussite, la crainte du jugement de l'autre. Il n'y a plus que le Seigneur, et la nécessité de répondre à sa bonté prévenante.

Lorsque Jérôme rejoint les autres congressistes, une force s'est emparée de lui. Pour quel usage ? Un incident va le mettre sur la voie. En arrivant à Cana, le guide demande si quelqu'un sait la raison de la renommée internationale de la cité. Jérôme prend le micro et, naïvement, raconte l'épisode évangélique des noces et le miracle de l'eau changée en vin. Silence. Puis le guide : « Vous n'y êtes pas du tout ! Ce qui fait l'importance de Cana, c'est la présence des laboratoires de cosmétique Helena Rubinstein ! » Éclat de rire général. Jérôme se tait : il se sent impuissant à venger l'outrage que le Christ vient de recevoir sous ses yeux. Voici maintenant Nazareth : en sortant du car, tout le monde se dirige vers la basilique de l'Annonciation. Mais les uns parlent à voix haute, d'autres se livrent à des plaisanteries obscènes sur la visite de l'Ange et la Virginité de MARIE. Jérôme sent qu'on le provoque. Que faire ? Il entre et, lentement, se signe* puis s'agenouille par révérence envers le mystère de l'Incarnation accompli en ce lieu. Curieusement, son attitude humble et courageuse fait taire les ricaneurs. Après cette profession de foi publique, personne ne provoquera plus le professeur Lejeune, mais on le met à l'écart du groupe.

« J'ai perdu mon Nobel »

En août 1969, la société américaine de génétique décerne à Jérôme le « William Allen Memorial Award », la plus haute distinction qui puisse être accordée à un généticien. Dès son arrivée à San Francisco, où on doit la lui remettre, Jérôme perçoit nettement qu'on envisage d'autoriser l'avortement des trisomiques. Le prétexte est qu'il serait cruel, inhumain, de laisser venir au monde de pauvres êtres voués à une vie inférieure, et représentant une charge intolérable pour leur famille. Jérôme tremble : « Par ma découverte, se dit-il, j'ai rendu possible ce honteux calcul ! » Après la remise du prix, il doit prononcer devant ses confrères une conférence. Aura-t-il le courage de dire la vérité ? Un mot célèbre de saint Augustin lui revient en mémoire : « Deux amours ont fait deux cités : l'amour de soi poussé jusqu'au mépris de Dieu a fait la cité terrestre ; l'amour de Dieu poussé jusqu'au mépris de soi a fait la cité céleste ». Peu importe sa cote dans le monde scientifique : Ce que vous avez fait au plus petit d'entre les miens, a dit JÉSUS, en vérité c'est à Moi que vous l'avez fait ! (Mt 25,40) Il parlera ! La nature corporelle des hommes, explique-t-il, est tout entière contenue dans le message chromosomique, dès le premier instant de la conception ; ce message fait du nouvel être un homme, non un singe, ni un ours ; un homme dont toutes les virtualités physiques sont déjà incluses dans les informations données à ses premières cellules. À ces virtualités, qui seront au service de sa vie intellectuelle et spirituelle, rien ne sera plus ajouté : tout est là. Il conclut avec netteté : la tentation de supprimer par l'avortement les petits d'hommes malades va à l'encontre de la loi morale, dont la génétique confirme le bien-fondé ; cette morale n'est pas une loi arbitraire. Pas un applaudissement : silence hostile ou gêné parmi ces hommes qui sont l'élite de sa profession. Jérôme les a heurtés de front. Il écrit à son épouse : « Aujourd'hui, j'ai perdu mon « Nobel » de médecine » ; mais il est en paix. Il confie à son journal intime : « Le racisme chromosomique est brandi comme un drapeau de liberté... Que cette négation de la médecine, de toute la fraternité biologique qui lie les hommes, soit la seule application pratique de la connaissance de la trisomie 21 est plus qu'un crève-cœur... Protéger les déshérités, quelle idée réactionnaire, rétrograde, intégriste, inhumaine ! ».

Combat médiatique

Le monde médical faisant défaut, ne peut- on convaincre le monde politique ? En juin 1970, un député français, Peyret, dépose un projet de loi permettant le dépistage anténatal des enfants trisomiques et leur suppression par l'avortement. À la rentrée, les médias engagent le débat. Jérôme est invité aux Dossiers de l'Écran, émission télévisée à « grande écoute » : son intervention lui vaut un impressionnant courrier, parmi lequel des lettres bouleversantes de grands handicapés de naissance témoignant que leur vie n'a pas été le cauchemar que d'aucuns prétendent, ainsi que des lettres de parents de trisomiques, qui disent l'affolement de leur fils ou de leur fille, lorsqu'ils ont compris qu'on veut tuer ceux qui leur ressemblent. En réalité, la campagne en faveur de la suppression des trisomiques est un moyen d'introduire le droit à l'avortement. On s'emploie à discréditer Lejeune. Après avoir tenté de le contredire au cours de diverses conférences, le 5 mars 1971, lors d'une grande réunion publique à la Mutualité, les opposants, armés de barres de fer, en viennent à molester des femmes, des personnes âgées, même de grands handicapés. La police doit intervenir pour faire fuir les agresseurs. Quant à Jérôme, il s'en tire avec quelques tomates en pleine figure.

La question de l'avortement agite maintenant toute l'Europe  ; la Grande-Bretagne a emboîté le pas aux États-Unis, qui ont légalisé le dépistage de la trisomie et son «  traitement  » par l'avortement. La campagne médiatique, en France, s'étend à l'avortement de tous les indésirables  : «  Un bébé ne devient légalement une personne que lorsqu'il est né  »  ; «  une femme a le droit de faire ce qu'elle veut de son corps  »... Arguments spécieux, auxquels maints catholiques se montrent perméables, parfois même au point de les propager.

Lors d'un voyage en Virginie, en octobre 1972, on présente à Jérôme un protocole à appliquer lors d'expériences de physiologie ou de biochimie pratiquées sur des fœtus de cinq mois, «  prélevés  » dans ce but par césarienne. Il écrit à son épouse  : «  Le texte dit de les traiter comme n'importe quel prélèvement de tissus ou d'organes, mais précise qu'il faut les tuer au bout de peu de temps... J'ai simplement dit qu'aucun texte ne pouvait réglementer le crime  ». Ses confrères si qualifiés, comment en sont-ils venus là  ? Ils ont été formés, sous prétexte de rigueur scientifique, dans une optique où Dieu n'a pas de place  : est «  bien  », non ce qui est conforme à la loi de Dieu, mais ce qui est efficace  ; est «  mal  », ce qui gêne (empêche) le progrès matériel. Pour eux, le fœtus n'est plus un homme, une créature de Dieu, destinée à Le voir et à L'aimer toute l'éternité. Il peut alors devenir la cible de toutes les attaques  : il suffit d'obtenir une majorité.

Le maillon le plus faible

1973  : les États-Unis viennent de reconnaître constitutionnellement le droit à l'avortement en général. Au cours d'un colloque sur ce sujet, tenu le 18 mars à l'abbaye de Royaumont, en Île-de-France, une femme ayant des responsabilités lance cette phrase  : «  Nous voulons détruire la civilisation judéo-chrétienne. Pour la détruire, nous devons détruire la famille... en l'attaquant dans son maillon le plus faible, l'enfant qui n'est pas né encore. Nous sommes pour l'avortement  !  » Le 7 juin, le projet de loi dépénalisant l'avortement est déposé à l'Assemblée nationale. Jérôme constate que l'on avance des chiffres faux et que l'on se sert des cas d'extrême détresse, auxquels il est pourtant très attentif, pour faire passer le droit à l'avortement. De prétendus sondages incitent à croire que la moitié du corps médical y est favorable  : or, au même moment, grâce à l'initiative de Madame Lejeune, sont rassemblées et publiées plus de 18,000 signatures de médecins français (soit la plus grande partie du corps médical) déclarant leur opposition à l'avortement, et manifestant ainsi la fausseté de la campagne médiatique. Aux médecins se joignent bientôt des infirmières, puis des magistrats, des professeurs de droit, des juristes, plus de 11,000 maires et élus locaux. Le projet est enrayé. Dans ce combat, dont l'enjeu est de rester fidèle au Décalogue et de sauver des vies humaines, une grande partie du clergé se tait. Le Curé de sa paroisse écrit à Madame Lejeune  : «  L'Église ne peut pas apparaître comme un groupe de pression. Il me semble que c'est à cause de cela que l'assemblée des évêques garde en ce moment le silence  ». Jérôme en est peiné. Un an plus tard, le 15 décembre 1974, la «  loi Veil  », permettant l'avortement, est adoptée à l'Assemblée nationale, pour une durée de cinq ans.

Le 13 mai 1981, Jérôme et son épouse sont à Rome  : le Saint-Père désire les recevoir en audience privée. Après l'entretien, le Pape les retient spontanément à déjeuner. Le soir même, en rentrant à Paris, ils apprennent l'attentat dont Jean-Paul II vient d'être victime, quelques heures après qu'ils l'ont quitté. La santé de Jérôme est ébranlée par cette nouvelle. À l'automne, préoccupé par la situation internationale, le Pape décide d'envoyer à chaque chef d'État en possession de l'arme nucléaire une délégation de membres de l'Académie pontificale des Sciences, porteurs d'un rapport sur les dangers de la guerre atomique. Pour l'URSS, il désigne Lejeune et deux autres. La rencontre a lieu le 15 décembre 1981. «  Nous, scientifiques, dit clairement Jérôme, nous savons que, pour la première fois, la survie de l'humanité dépend de l'acceptation par toutes les nations, de préceptes moraux transcendant tout système et toute spéculation  ». De cette mission diplomatique, aucun écho dans la presse. Les tracasseries administratives, qui, à partir du vote de la loi Veil, avaient commencé à viser Jérôme, notamment sous la forme de contrôles fiscaux répétés, prennent une tournure plus aiguë. Ses crédits de recherche sont supprimés  ; il est contraint de fermer son laboratoire. Indignés par ce procédé, des laboratoires américains et anglais lui octroient sans contrepartie des crédits privés  ; cette solidarité désintéressée lui permet de reconstituer une équipe de chercheurs animés des mêmes motivations.

Malgré la dérision

En août 1988, on presse le professeur Lejeune de témoigner à Maryville, aux États-Unis, dans un procès spectaculaire dont l'enjeu est la survie de milliers d'embryons congelés. Malgré la fatigue, Jérôme tient à se rendre auprès de ceux qui, dans le monde entier, souffrent persécution pour leur respect de la vie. Il veut aider surtout ses confrères catholiques à suivre l'enseignement de l'Église, malgré la dérision du monde.

En août 1989, le roi des Belges, Baudouin 1er, en situation difficile face à son parlement prêt à autoriser l'avortement, le prie de le conseiller. À la fin de l'entretien, le roi lui propose  : «  Monsieur le professeur, cela vous ennuierait-il que nous priions ensemble un moment  ?  » On sait quelle attitude exemplaire le roi prit ensuite dans cette affaire, jusqu'à renoncer même à sa charge pour ne pas offenser Dieu.

Jérôme ébauche en 1991 des «  réflexions sur la déontologie médiale  », en sept points  :

«  1. «  Chrétiens, n'ayez pas peur  !  » C'est vous qui détenez la vérité, non pas qu'elle ait été inventée par vous, mais vous en êtes le véhicule. À tous les médecins, il faudrait répéter  : c'est la maladie qu'il faut vaincre, non le malade qu'il faut attaquer.

2. L'homme est fait à l'image de Dieu. C'est la seule raison pour laquelle il est respectable...

3. «  L'avortement et l'infanticide sont des crimes abominables  » (Vatican II).

4. La morale existe objectivement  ; elle est claire, elle est universelle puisqu'elle est catholique.

5. L'enfant est indisponible et le mariage est indissoluble.

6. Père et Mère tu honoreras  : la reproduction uni-parentale par clonage ou par homosexualité n'est pas possible.

7. Le génome humain, le capital génétique de notre espèce est indisponible  ».

Notons cette phrase courageuse  : «  Dans les Sociétés dites pluralistes, on nous rebat les oreilles  : «  Mais vous, chrétiens, vous n'avez pas le droit d'imposer votre morale aux autres  » «  Eh bien  ! Je vous le dis  : non seulement vous avez le droit de tenter de faire entrer votre morale dans le droit, mais c'est votre devoir démocratique  !  »

En service commandé

Le 5 août 1993, le Saint-Père décide la création d'une Académie pontificale de médecine, consacrée à la défense de la vie  ; le président en sera le professeur Lejeune. Entre le Pape et celui-ci, il y a en effet une convergence  : l'avortement est, à leurs yeux, la principale menace contre la paix. Si les médecins commencent à tuer, pourquoi les gouvernants s'en priveraient- ils  ? Cette nomination laisse Jérôme abasourdi  ; il s'accorde quelques jours pour réfléchir, car il ressent une grande fatigue. Vers la Toussaint, il consulte son ami le professeur Lucien Israël. Celui-ci, le visage décomposé, lui met sous les yeux les radios de ses poumons  : elles révèlent un cancer déjà avancé. Jérôme accepte la réalité avec courage et soumission à la Volonté divine. Il faut apprendre la chose à Birthe et aux enfants  : «  Vous ne devez pas vous inquiéter jusqu'à Pâques  : je vivrai au moins jusque là  »  ; soudain, il ajoute  : «  Et à Pâques, il ne peut rien arriver que de merveilleux  !  » Les séances de chimiothérapie commencent au début de décembre  : elles sont très pénibles, comme il s'y attendait. Il continue pourtant à recevoir les appels téléphoniques, à réconforter les familles des patients. Ayant averti le Saint-Père de son état de santé et décliné la présidence de l'Académie pontificale pour la Vie – comme celle de l'Académie des sciences morales et politiques, qui vient de lui être attribuée – il est informé que le Saint-Père refuse de nommer un autre président. Jérôme sourit  : «  Je mourrai en service commandé  ». Jusqu'à la fin, il s'efforce de rédiger les statuts de l'Académie. Il sent son impuissance, mais son esprit de foi lui montre la fécondité des échecs eux-mêmes. Jamais il ne se plaint  : ses douleurs, unies par amour à la Passion du Christ, peuvent remettre le monde sur son axe véritable  !

Le Mercredi Saint 30 mars 1994, comme il délire, en proie à une fièvre de plus de 40 degrés, il est placé en soins palliatifs. Le lendemain, à l'aube il reprend conscience  ; le Vendredi Saint, il confie au prêtre qui lui donne les derniers sacrements  : «  Je n'ai jamais trahi ma foi  ». C'est tout ce qui compte devant Dieu... Il dit à ses enfants qui lui demandent ce qu'il veut léguer à ses petits malades  : «  Je n'ai pas grand- chose, vous savez... Alors, je leur ai donné ma vie. Et ma vie, c'est tout ce que j'avais  ». Puis, ému jusqu'aux larmes, il murmure  : «  Ô mon Dieu  ! C'est moi qui devais les guérir, et je m'en vais sans avoir trouvé... Que vont-ils devenir  ?  » Puis, rayonnant, il s'adresse aux siens  : «  Mes enfants, si je peux vous laisser un message, c'est le plus important de tous  : nous sommes dans la main de Dieu. Je l'ai vérifié plusieurs fois  ». Le lendemain, Samedi Saint, se passe doucement  : Jérôme est serein. Pourtant, en fin d'après- midi, la gêne respiratoire revient, plus forte. Soudain autoritaire, il commande à sa femme et aux siens de rentrer à la maison. Il ne veut pas qu'ils assistent à son agonie. Le lendemain matin, vers sept heures, il dit péniblement à un confrère, quasi-inconnu, qui lui a tenu la main une grande partie de la nuit  : «  Vous voyez... j'ai bien fait...  » et il rend l'esprit. Dehors, les premières sonneries de cloches se font entendre  : c'est le jour de la Résurrection, le jour de la Vie, celle qui ne finit pas. Car le Christ est la Vie éternelle (1 Jn 5,20)  !

Le lendemain, le Pape Jean-Paul II écrivait au sujet de Jérôme Lejeune  : «  Nous nous trouvons aujourd'hui devant la mort d'un grand chrétien du XXe siècle, d'un homme pour qui la défense de la vie est devenue un apostolat. Il est clair que, dans la situation actuelle du monde, cette forme d'apostolat des laïcs est particulièrement nécessaire...  »

Dom Antoine Marie, osb

*Se signe  : fait le signe de la croix avec l'eau bénite.

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