Lundi soir, le 8 novembre, à la Maison Saint-Michel, nous avons eu l'honneur de recevoir nos deux bons Pères Oblats, le Père Gérard Montpetit et le Père Edmond Brouillard, qui nous apportent le Bon Dieu. Ils étaient accompagnés du Père Jacques Rinfret, o.m.i., vice-postulateur de la cause de canonisation du Père Victor Lelièvre, o.m.i., le grand prédicateur du Sacré-Cœur dont la cause est introduite à Rome. Le Père Rinfret était un collaborateur du Père Lelièvre, dans sa sainte Maison de retraites de Jésus-Ouvrier, d'où tant de pécheurs sont sortis convertis et l'âme lavée du Sang de l'Agneau, grâce aux savoureuses prédications du bouillant apôtre du Sacré-Cœur. Avec la permission de l'auteur, pour cet article, nous nous servons de la brochure : « Le Père Lelièvre, l'Apôtre du Sacré-Cœur », rédigée par le Père Alphonse Nadeau, o.m.i. Toute faveur obtenue par l'intercession du Père Lelièvre doit être signalée au Rév. Père Jacques Rinfret, o.m.i., Maison Jésus-Ouvrier, 475, boul. Père Lelièvre, Ville de Vanier, Qc G1M 1M9 Th.T.
par Père Alphonse Nadeau, o.m.i.
Extraits
Quelques décennies durant, cet homme extraordinaire a passé parmi nous. Prêtre zélé, prédicateur éblouissant, apôtre convaincant, éveilleur et entraîneur, « pêcheur d'hommes ». Tous ceux qu'il a croisés ont subi son influence. Il a marqué son époque ; phénomène religieux, il a écrit une page dans l'histoire de l'Église canadienne. Il survit dans son œuvre : Jésus-Ouvrier, à Québec.
Celui qui fera vibrer les cœurs des Québecois durant 50 ans, et les conduira aux pieds du Sacré-Cœur de Jésus, Victor Lelièvre, o.m.i., est né dans le modeste village de Vitré, en Bretagne, (France) le 4 mars 1876, sixième et dernier enfant de la famille. Victor fils, héritera de Victor, son père, l'amour du travail, de sa mère, Henriette-Perrine Bidel, la dévotion au rosaire, au chemin de croix et cette prière : « Mon Dieu, je vous donne mon cœur ; fermez-le au péché et ouvrez-le à la grâce ». Tous les jeux de cet enfant tourneront en dévotions et en processions.
Victor a dix ans lorsqu'il perçoit nettement un premier appel au sacerdoce, le 6 juin 1886, lors de sa première communion à l'église Sainte-Croix où il chantera sa première messe, 16 ans plus tard. À 13 ans, il doit interrompre son cours primaire pour aider sa famille. Il s'embauche comme apprenti-imprimeur chez Gaudichon. Il y restera cinq ans. C'est là qu'un jour, il lui arrivera d'écrire « bicyclette » au lieu de « encyclique » du pape. Grand, solide, garçon au regard profond et chercheur, Victor est pourtant un timide, taciturne et embarrassé. Frappé par la grande piété de ce jeune homme, marginal parmi les garçons de son âge, le vicaire de la paroisse Notre-Dame de Vitré, l'abbé Magloire Denoual l'interpelle : « Tu devrais faire un prêtre ; va à Notre-Dame de Pontmain demander à la Sainte Vierge de t'éclairer. » Dans ce pèlerinage, Victor rencontre le père Jean-Baptiste Lemius, Oblat de Marie Immaculée, qui lui dit : « Oui, certes, fais un prêtre ; mais il faut étudier. » L'abbé Denoual lui ayant trouvé une bienfaitrice, Victor entre, à 18 ans, au séminaire de « vocations tardives » de Saint-Lazare de Montfort. À 20 ans, il entre au noviciat des Oblats, à Angers. Frileusement enfoui sous son camail, parmi des confrères délurés et brillants, Victor tremble comme un lièvre apeuré et ne songe qu'à quitter. « Restez », lui dit le maître des novices, « vous partirez quand je vous le dirai. » Il deviendra finalement prêtre le 24 juin 1902. Sa vocation a été sauvée malgré lui.
Lors d'une demande de prédicateurs pour le Canada et suite à la promulgation en France de la « loi Combes » de 1901 qui dispersait les congrégations religieuses, le père Cassien Augier, supérieur général, envoie onze Oblats au Canada, dont trois sont destinés au Québec, au nombre desquels se trouve le père Victor Lelièvre, benjamin du groupe, âgé de 27 ans. Il arrive à Québec le 8 juin 1903. II est impressionné par le clocher de l'église Saint-Sauveur, haut de 215 pieds... Il est tout de suite conquis par les Québécois et ravi d'arriver dans une paroisse de 13,000 âmes, foncièrement religieuse et pratiquante, mais ouvrière et pauvre. Le père Lelièvre résidera 27 ans à la paroisse Saint-Sauveur.
Sans le savoir, le père Wilfrid Valiquette, curé, ouvre, en 1904 les premières écluses de l'apostolat canadien du père Lelièvre en le chargeant de raviver la dévotion aux premiers vendredis du mois, tombés en désuétude. À son premier appel, 50 femmes répondent. Chacune d'entre elles est chargée de recruter dix personnes qui viendront passer une heure devant le Saint Sacrement. Au lieu des 500 personnes attendues, il en viendra 1,826. Les « Trompettes du Sacré-Cœur » avaient fait du bon travail. Le succès de ce ralliement de masse n'est que le premier d'une interminable série. Le branlebas est donné, le feu sacré les accompagnera jusqu'à l'embrasement. Le dimanche, le père Lelièvre donnait le « catéchisme de persévérance » qui attirait beaucoup de monde. Une autre initiative : il fonda L'Étincelle du Sacré-Cœur, journal paroissial.
Pour qu'advienne le règne du Sacré-Cœur, le père Lelièvre empruntera toutes les avenues du possible... et de l'impossible. Leur simple énumération en est étourdissante. En 1904, il fonde le Service royal : groupe de 72 disciples qui préparent dans la prière les grands déploiements. Ils seront bientôt 200. L'année suivante, le père Lelièvre visite une trentaine d'usines de la ville pour inviter les ouvriers à venir à l'heure sainte en habits de travail. La première fois, il en vient 900. La seconde, l'église est bondée, soit près de 2,000. Pour aller à l'heure des ouvriers, on dira : « Faire le Sacré-Cœur. » Le « Tantum Ergo » final soulevait presque la voûte. À la suite de quoi, en 1906, le père Lelièvre tenta d'introduire des statues dans les usines ou encore, c'étaient les ouvriers qui le réclamaient. Puis survint l'épopée des « Montmartre » : l'installation des monuments du Sacré-Cœur devant les églises et sur les places publiques. Le tout premier fut érigé à Saint-Sauveur de Québec en 1908 et avait coûté 3500 $, défrayés par les ouvriers... reproduction du Sacré-Cœur de Montmartre de Paris... Ce geste marque un pas décisif dans l'avance du règne du Sacré-Cœur au Canada. Plusieurs centaines d'autres monuments surgiront partout, jusqu'en Louisiane, assortis de consécrations paroissiales ou diocésaines et de campagnes contre le blasphème ou l'intempérance.
En 1910, s'ouvre l'ère des processions uniques au monde ! Un rêve d'enfance pour le père Lelièvre. Transformée en temple, la ville de Québec devint la capitale du Sacré-Cœur. Ce raz-de-marée annuel qui se répètera 40 fois suscite un concours de reposoirs plus rutilants les uns que les autres. Celui de 1941 fut érigé à la façade même de l'édifice du Parlement provincial... Ces processions ont fait lever et marcher le Québec croyant et pratiquant, parfois durant quatre heures ! En 1934, 20,000 marcheurs. En 1949, la procession est remplacée par une veillée sainte au stade du parc Victoria de Québec. 150 prêtres pour entendre les confessions, 50,000 hosties seront distribuées. À voir la photo, ce n'est pas exagéré de dire qu'il y avait 50,000 personnes.
Louis Émond, son plus grand collaborateur disait : « Le père Lelièvre nous remonte comme on remonte un cadran... » Son mérite est d'avoir greffé les membres sur le Sacré-Cœur et non sur sa personne.
La maison de retraites Jésus-Ouvrier, joyau des initiatives du père Lelièvre est un chef d'Œuvre du Comité du Sacré-Cœur. En 1930, le père reçoit, pour cette résidence, sa seconde et dernière obédience ; il y passera ses 26 dernières années. En 1948, le journal L'Action Catholique estimait que la maison avait accueilli 66,000 retraitants.
Saisi par le Sacré-Cœur, le père Lelièvre avait reçu la clé qui provoquerait le repentir et toucherait les cœurs les plus endurcis : l'Évangile et le Sacré-Cœur. Des millions de fidèles l'ont écouté, ont vibré à sa voix, prié et chanté avec lui. Il traversa presque tout le Canada et la Nouvelle-Angleterre, courant d'une chaire à l'autre.
Face à un pécheur, le père Lelièvre le fouillait du regard, le nourrissait d'Évangile, le talonnait dans ses moindres replis. Les soirs des fêtes du Sacré-Cœur, théâtres, tavernes et salles de danses fermaient leurs portes, faute de clients... Il communiquait à ses auditoires l'amour passionné qui brûlait dans sa poitrine. Le père Lelièvre amenait les pécheurs à des prises de conscience bouleversantes. De passage à Saint-Boniface, Manitoba, il y découvre une statue du Christ ensanglanté. Se l'étant fait donner, ce Christ « magané », placé dans la chapelle de Jésus-Ouvrier, fera son effet.
Il avait une grande dévotion à Marie « ravisseuse des cœurs ». Il distribua par milliers les médailles miraculeuses. Servir sa messe - prise quotidienne de contact avec le Sacré-Cœur - était un privilège. On l'y voyait comme ravi.
Hanté par la relève des vocations sacerdotales et religieuses, le père Lelièvre en dépista près de 200, (NDLR dont celle du père Rinfret). Il pulvérisait les hésitations en faisant plonger son crucifix dans l'Évangile où se trouvait la réponse espérée.
Il a donné jusqu'à 75 conférences en dix jours. En 50 ans, il n'a jamais pris de vacances. C'est le prêtre qui a le plus prêché au Canada.
Le père Lelièvre disait : « Nous, prêtres, ne donnons les âmes à Dieu que par la souffrance ». Quand on sait que les filets du pêcheur d'hommes se rompaient sous le nombre de ses prises, on comprend qu'il eut plus que sa part de tribulations. En 1923, il vécut une agonie de quelques années lorsque survint, à Saint-Sauveur, un supérieur qui avait pour mission de réduire les « Pentecôtes » de cet apôtre dont le zèle dérangeait beaucoup de monde, à commencer par ses confrères. Il sut être héroïque dans sa soumission...
Pendant sa dernière maladie, il subit la purification d'une détresse sans nom, comme seuls les saints en connaissent. Il vécut son déclin en ermite conformé au Christ crucifié : une « retraite fermée qui dura près de trois ans.
Le 29 novembre 1956, le père Lelièvre décédait d'artériosclérose, surtout cérébrale, dans sa 80e année de vie, après un déclin de près de trois ans. Au-dessus de son lit, après sa mort, on fut frappé de lire, écrit sur le mur : « L'œuvre que vous m'avez chargé d'accomplir, je l'ai achevée. » (Jn 17, 14).
Au moins 20,000 personnes défilèrent devant sa dépouille, à Jésus-Ouvrier et à l'église Saint-Sauveur. Le long défilé, qui escorta ses restes, ressemblait à une procession du Sacré-Cœur des beaux soirs de juin, jadis. « Notre cœur devenait brûlant lorsqu'il nous expliquait les Écritures » (Lc 24,31), peuvent dire ceux qui ont cheminé avec le père Lelièvre. Un saint a passé parmi nous. Avec lui, nous avons fait un beau voyage !
Alphonse Nadeau, o.m.i.
On attribue au père Lelièvre la guérison d'un moribond, Napoléon Robitaille, qui vivra 47 autres années.
Vendredi matin, le 20 août 2004, en présence de S. Éminence le Cardinal Marc Ouellet, de Mgr Jean Pelletier, chancelier du diocèse, du Père Jacques Rinfret, o.m.i., vice-postulateur de la cause de canonisation, du Père Gérard Laprise, supérieur de la maison Jésus-Ouvrier, et d'un nombre restreint de témoins, (environ 200) les employés du cimetière Saint-Charles, à Québec, ont procédé à l'exhumation de corps du père Lelièvre qui était en terre depuis 48 ans. Lors de l'ouverture du cercueil, à la surprise et à la joie de tous, on a pu constater que le corps était particulièrement bien conservé, les mains tenant un chapelet et une petite croix en bois. Et sur la poitrine était déposé le livre Les quatre Évangiles en un seul, son livre de chevet.
Répondant aux questions de « L'Apostolat », revue des Oblats, Son Éminence le Cardinal nous livre ses impressions : « Oui je l'ai vu ; il est bien conservé ; c'est impressionnant. Cela fait partie des actes du procès qui devront être considérés dans leur ensemble avant de conclure à quoi que ce soit. Les choses doivent être remises au Saint-Siège (à Rome) pour la suite de l'enquête. Nous sommes heureux que cette étape donne, à ce moment-ci, un signe intéressant de la conservation de la dépouille du père Lelièvre, certainement un signe qui sera pris en considération. »