Le cardinal Jaime Sin, guide spirituel et figure-clé dans la « révolution du peuple » qui chassa deux présidents, est décédé le 21 juin 2005, à l'âge de 76 ans. Malade depuis quelques années (il souffrait d'insuffisance rénale et du diabète), il avait quitté son poste d'Archevêque de Manille en novembre 2003, demeurant tout de même par la suite le personnage religieux le plus influent dans le pays. « L'histoire va se souvenir de ce jour de tristesse alors qu'un grand libérateur du peuple philippin et un champion de la cause de Dieu est décédé », a déclaré la présidente actuelle des Philippines, Mme Gloria Macapagal Arroyo.
Le cardinal Sin insistait pour que la religion ait un rôle à jouer dans les affaires de l'État, une conviction qu'il résumait ainsi à l'occasion de la cérémonie marquant sa retraite comme archevêque : « Mon devoir est de mettre le Christ dans la politique. La politique sans le Christ est le plus grand fléau de la nation. »
Quatorzième d'une famille de seize enfants, Jaime Lachica Sin est né à New Washington, dans le diocèse de Kalibo, aux Philippines, le 31 août 1928. Il a été formé dans la foi par sa mère, une femme profondément religieuse qui, avant son mariage, a converti à la foi catholique son mari, un vendeur de chaussures chinois, autrefois de religion bouddhiste. Le cardinal rappelle avec humour que dans son enfance, sa mère l'encourageait déjà dans sa vocation, en lui disant qu'étant le plus laid des seize enfants, il deviendrait sûrement un prêtre !
Jaime fut en effet ordonné prêtre le 3 avril 1954. Sa première tâche pastorale a été de visiter des centaines de petites paroisses et de trouver de nouvelles vocations pour le nouveau séminaire saint Pie X. Trois ans plus tard, il était nommé recteur du séminaire ; il y restera 10 ans comme directeur, doyen des études, professeur, et consultant diocésain.
Il a été consacré évêque à 38 ans, le 18 mars 1967, et nommé auxiliaire de Jaro, avec droit de succession. Il devint archevêque de Jaro en 1972, à l'âge de 44 ans. Le Pape Paul VI le nomma archevêque de Manille le 21 janvier 1974, où il continua son travail pastoral courageusement, malgré les dangers et les difficultés en raison de la situation du pays. Le Pape le créa cardinal deux ans plus tard, ce qui faisait de lui, à 47 ans, le plus jeune membre du Collège des cardinaux.
Il a reçu le Pape Jean-Paul II deux fois à Manille, en 1981 et en 1995. Lors de cette deuxième visite du Saint-Père aux Philippines, à l'occasion de la Journée Mondiale de la Jeunesse, 4 millions de fidèles assistèrent à la messe du Pape au Parc Rizal de Manille, ce qui est considéré le plus grand rassemblement humain de l'histoire.
Le cardinal Sin a été un ardent défenseur de la démocratie et d'une transition politique pacifique aux Philippines, devenant célèbre pour son engagement envers le peuple philippin, contre la dictature du président Ferdinand Marcos et, par la suite, contre la corruption du gouvernement du président Estrada. En 1986, le cardinal a dirigé des protestations pacifiques qui ont mené à la chute du Président Marcos. Il a joué le même rôle en 2001 lorsqu'il appela le peuple à mettre fin au gouvernement corrompu de Joseph Estrada. Le cardinal Sin était aussi un farouche adversaire du contrôle artificiel des naissances, et en août 1994, il a mobilisé des centaines de milliers de personnes dans un rallye pour dénoncer les politiques du gouvernement philippin de l'époque qui encourageaient l'usage des moyens contraceptifs pour diminuer la population.
Le cardinal Sin savait que, lorsqu'il devint archevêque de Manille, il aurait à faire face à des situations délicates avec le Président Marcos, mais il avait beaucoup d'humour. Une fois par exemple, assis entre M. et Mme Marcos, il se compara à Jésus, disant qu'il se sentait « crucifié entre deux voleurs ». Dans une autre occasion, lorsque Marcos lui déclara qu'il admirait les États-Unis car on pouvait y connaître les résultats du vote le lendemain des élections. Le cardinal lui répondit : « Vous devriez admirer les Philippines : ici on connaît les résultats du vote avant les élections ! »
La relation tendue entre le cardinal et les Marcos s'aggrava lorsque les troupes gouvernementales firent une descente dans un séminaire de l'archidiocèse, sous prétexte qu'il abritait des insurgés. En 1978, le nom du cardinal faisait partie d'une liste de ceux qui n'avaient pas la permission de voyager à l'étranger, mais la protestation des autres évêques philippins permit au cardinal Sin de visiter le Pape Paul VI à Rome, qui l'avait créé cardinal.
Mais ce fut après l'assassinat, à l'aéroport de Manille, du chef de l'opposition Benigno Aquino, revenant d'un exil qui durait depuis 1983, que les critiques du cardinal à l'endroit du Président Marcos s'accentuèrent. Le cardinal déclara qu'il existait une atmosphère malsaine dans le pays, qui pouvait entraîner des résultats qui blesseraient les pauvres. Lorsque le président Reagan poussa Marcos à déclencher une élection générale, le cardinal Sin encouragea Mme Corazon Aquino, la veuve du leader assassiné, à se présenter candidate contre Marcos. Alors que le gouvernement devenait de plus en plus répressif dans ses efforts pour gagner l'élection, la Conférence nationale des évêques philippins émis des lettres pastorales dénonçant les fraudes électorales.
Après la victoire de Marcos, Mme Aquino s'est servi de la radio de l'Église pour demander au peuple de mener une résistance non violente, ce qui amena le ministre de la Défense et son sous-ministre à se dissocier de Marcos, ainsi que 300 autres membres de l'armée, qui se retranchèrent au Ministère de la Défense. Alors que les troupes demeurées fidèles au Président Marcos se dirigeaient vers l'édifice pour écraser cette opposition, le cardinal Sin prit la parole sur les ondes, faisant appel à « tous les enfants de Dieu », leur demandant de protéger les deux anciens membres du gouvernement. Pendant les trois jours qui suivirent, un million de Philippins, sans armes, formèrent un bouclier humain autour du Ministère de la Défense, sur l'Avenue de l'Épiphanie des Saints, apportant des chapelets et des sandwiches aux soldats qui étaient dans les chars d'assaut, et insérant des fleurs dans les canons de leurs fusils, les empêchant d'atteindre les deux officiers rebelles à Marcos. Peu après, Marcos fuyait les Philippines pour Hawaï, et Corazon Aquino devenait la nouvelle présidente du pays. Tous ces événements, dit le cardinal Sin, sont un miracle « dont le scénario a été écrit par Dieu, dirigé par la Vierge Marie, et mettant en vedette le peuple philippin. »
Voici comment les événements se sont produits, tels que racontés par le cardinal Sin à un journaliste Wayne Weible :
« C'était en février 1986, lorsque la dictature de 20 ans de Ferdinand Marcos prit fin de façon abrupte et inattendue, à la suite d'une série d'événements extraordinaires. Corazon Aquino, la veuve du candidat assassiné Ninoy Aquino, par une très grande marge avait gagné l'élection présidentielle, déclenchée par Marcos lui-même. Mais en truquant les votes et autres moyens illégaux, en plus du contrôle total des médias, Marcos fut déclaré le gagnant officiel des élections.
« Il était évident pour tous les observateurs et le peuple que les résultats officiels étaient truqués, et que Mme Aquino avait gagné. En quelques jours, des millions de personnes se rassemblèrent dans les rues de Makati et de Manille, et une partie de l'armée se dissocia de Marcos et tenta un coup d'État inattendu. Marcos répliqua à la rébellion populaire et au groupe de soldats rebelles en envoyant les chars d'assaut dans les rues de Manille, déterminé à garder le contrôle du pays, même si cela signifiait le massacre des foules grandissantes.
« Alors qu'un plein convoi de tanks et d'autres équipements militaires, dirigés par les soldats demeurés fidèles à Marcos, fonçaient sur la foule de millions de personnes — plusieurs d'entre elles se sont couchées volontairement sur le sol devant les chars d'assaut pour leur faire obstacle - Marcos donna l'ordre de tirer sur la foule. »
Le cardinal Sin s'avance sur sa chaise, puis dit en souriant : « Ce que je vous dis maintenant m'a été raconté par plusieurs de ces mêmes soldats qui étaient prêts à tirer sur la foule. » Puis il continue :
« Les chars d'assaut essayaient d'avancer sur la foule. Et les gens priaient et montraient leur chapelet. C'est alors que les soldats assis sur les tanks virent une croix dans le ciel. Plusieurs religieuses se trouvaient devant les tanks pour essayer de les arrêter, mais les soldats me dirent qu'ils avaient déjà décidé alors de foncer dans la foule. Ce n'était qu'une question de minutes, et tout le monde serait mort. »
Puis, le cardinal s'avance de nouveau pour dire : « Ensuite, une belle dame est apparue aux soldats. Je ne sais pas si elle apparut dans le ciel ou se trouvait au niveau du sol.
« D'autres soldats m'ont dit par la suite qu'ils pensaient que c'était une religieuse, habillée en bleue, et qu'elle se tenait devant les chars d'assaut. Cette dame était si belle, et ses yeux brillaient. Et la belle dame parla ainsi aux soldats : "Chers soldats, arrêtez ! Ne tirez pas ! Ne faites pas de mal à mes enfants !" Et lorsqu'ils entendirent cela, les soldats ont tout laissé tomber. Ils sortirent des chars d'assaut, et joignirent le peuple. C'était la fin du groupe de soldats loyal à Marcos. »
Le cardinal fait une pause, en levant les mains : « Je ne sais pas qui sont ces soldats. Tout ce que je sais c'est qu'ils sont venus me voir en pleurant. Ils ne m'ont pas dit que c'était la sainte Vierge. Ils m'ont dit seulement que c'était une belle religieuse. Mais, vous savez (et le cardinal rit de bon coeur en disant cela), j'ai vu toutes les religieuses de Manille, et il n'y en a pas de belles parmi elles. Alors ce devait être la sainte Vierge ! »
Puis, continuant sur un ton plus sérieux, le cardinal dit : « Oui, mon coeur me disait que c'était Marie. Et puisqu'ils avaient obéi à cette dame qui leur était apparue, et n'avaient pas suivi les ordres de tirer sur la foule, Marcos n'avait plus personne de son côté, et n'avait pas d'autre choix que de s'enfuir du pays. Ce fut la fin pour lui. »
Le cardinal Sin demeura le confident de la nouvelle présidente, Mme Aquino, et pendant un certain temps, les choses se passèrent bien. Mais ensuite, tous les vieux problèmes de l'ancien régime réapparurent. Un nouveau président fut élu, Joseph Estrada, une ancienne vedette de cinéma et coureur de jupons, dont une des politiques fut de distribuer des condoms pour contrôler les naissances. Son implication dans des affaires louches fut mis en lumière, et le cardinal Sin et Mme Aquino lancèrent une autre démonstration du « pouvoir du peuple », qui poussa le Sénat philippin à destituer Estrada et à le mettre en prison, puis à le remplacer à la présidence du pays par Mme Gloria Macapagal Aroyo. Mais après une brève lune de miel avec le peuple, elle aussi est contestée, car la pauvreté existe encore dans le pays. Ce dont les Philippines ont besoin maintenant, ce n'est pas de changer de président, mais de changer le système financier actuel d'argent-dette, et d'appliquer les principes du Crédit Social pour mettre fin au scandale de la pauvreté ! (C'est ce qu'ont compris Mgr Almoneda et plusieurs autres évêques philippins amis de Vers Demain.)