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L'importance de la doctrine sociale de l'Église

Alain Pilote le mercredi, 01 mars 2000. Dans Doctrine Sociale

La réforme la plus urgente: corriger le système financier

Christianisme appliqué

C.H. Douglas a déjà dit que le Crédit Social pouvait être défini en deux mots : christianisme appliqué. En effet, les propositions financières du Crédit Social ne sont rien d'autre qu'une méthode, une manière d'appliquer la doctrine sociale de l'Église. En mai prochain, à la demande du Saint-Père, le Conseil Pontifical Justice et Paix publiera : un « Catéchisme de la doctrine sociale de l'Église », qui sera basé sur les encycliques sociales des récents Papes, et sur le chapitre du « Catéchisme de l'Église catholique » consacré au septième commandement, « Tu ne voleras pas ».

Cet enseignement de la doctrine sociale de l'Église est un véritable trésor, mais malheureusement, il est trop peu connu. Qui, par exemple, à part Vers Demain, répète les passages des encycliques des Papes qui dénoncent les contrôleurs de l'argent et du crédit ?

Voici donc un résumé (à suivre dans les prochains numéros) de cette doctrine sociale de l'Église, qui montre jusqu'à quel point l'établissement des propositions financières du. Crédit Social appliquerait à merveille l'enseignement de l'Église sur la justice sociale, que ce soit l'effacement des dettes, le droit de tous à un minimum vital, etc.

Le salut des âmes

Si l'Église intervient dans les questions sociales, et si elle a développé un ensemble de principes connus sous le nom de « doctrine sociale de l'Église », c'est essentiellement parce que, comme le disait le Pape Benoît XV, « c'est sur le terrain économique que le salut des âmes est en danger ». Son successeur immédiat, Pie XI, écrivait aussi :

« Il est exact de dire que telles sont, actuellement, les conditions de la vie économique et sociale qu'un nombre très considérable d'hommes y trouvent les plus grandes difficultés pour opérer l'œuvre, seule nécessaire, de leur salut » (Encyclique Quadragesimo Anno, 15 mai 1931).

Pie XII s'exprimait aussi de manière semblable :

« Comment pourrait-il être permis à l'Église, Mère si aimante et soucieuse du bien de ses fils, de rester indifférente à la vue de leurs dangers, de se taire ou de feindre de ne pas voir et de ne pas comprendre des conditions sociales qui, volontairement ou non, rendent ardue et pratiquement impossible une conduite chrétienne conforme aux commandements du souverain législateur ? » (Radio-message du 1er juin 1941).

Et ainsi parlent tous les Papes, y compris Jean-Paul II aujourd'hui.

Corriger le système financier

L'Église ne peut rester indifférente à des situations telles que la faim dans le monde et l'endettement, qui mettent en péril le salut des âmes, et c'est pourquoi elle demande une réforme des systèmes financiers et économiques, l'établissement d'un système économique au service de l'homme. Les appels de Jean-Paul II en ce sens abondent. On n'a qu'à penser à ses appels répétés en faveur de l'effacement des dettes, à l'occasion du Jubilé de l'an 2000, dans l'esprit des jubilés de l'Ancien Testament, où à tous les 50 ans, les Hébreux effaçaient toutes les dettes :

« Ainsi, dans l'esprit du Livre du Lévitique (25, 8-28), les chrétiens devront se faire la voix de tous les pauvres du monde, proposant que le Jubilé soit un moment favorable pour penser, entre autres, à une réduction importante, sinon à un effacement total, de la dette internationale qui pèse sur le destin de nombreuses nations. » (Lettre apostolique Tertio Millennio Adveniente ; novembre 1994.)

Déjà, dans sa première Encyclique (Redemptor Hominis, 4 mars 1979), le Pape parlait « d'indispensables transformations des structures économiques... de la misère en face de l'abondance qui met en cause les structures et mécanismes financiers... l'homme ne peut devenir esclave des systèmes économiques... »

Et n'ajoutons pour le moment sur le sujet que cette autre citation de Jean-Paul II, dans un message à la 6e Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, Genève, le 26 septembre 1985 :.. « Je tiens encore à aborder une question délicate et douloureuse. Je veux parler du tourment des responsables de plusieurs pays, qui ne savent plus comment faire face à l'angoissant problème de l'endettement... Une réforme structurelle du système financier mondial est sans nul doute une des initiatives les plus urgentes et nécessaires. »

L'Église présente donc les principes sur lesquels doit être jugé tout système économique et financier. Et afin que ces principes soient appliqués de manière concrète, l'Église fait appel aux fidèles laïcs (vous et moi), dont le rôle propre, selon le Concile Vatican. II, est justement de renouveler l'ordre temporel et de l'ordonner selon le plan de Dieu, pour travailler à la recherche de solutions concrètes et à l'établissement d'un système économique conforme aux principes de la doctrine sociale de l'Église. C'est exactement ce que fait le journal Vers Demain.

Primauté de la personne

La doctrine sociale de l'Église peut se résumer dans ce principe de base : la primauté de la personne humaine : « La doctrine sociale chrétienne a pour lumière la Vérité, pour objectif la Justice et pour force dynamique l'Amour... Son principe de base est que les êtres humains sont et doivent être fondement, but et sujets de toutes les institutions où se manifeste la vie sociale. » (Jean XXIII, encyclique Mater et Magistra, 15 mai 1961, nn. 219 et 226.).

Le Crédit Social partage la même philosophie. C.H. Douglas écrivait au début de son tout premier livre, Economic Democracy : « Les systèmes sont faits pour l'homme, et non pas l'homme pour les systèmes, et l'intérêt de l'homme, qui est son propre développement, est au-dessus de tous les systèmes. »

Et Jean-Paul II écrivait dans sa première encyclique, Redemptor Hominis (n. 16) : « L'homme ne peut renoncer à lui-même ni à la place qui lui est propre dans le monde visible, il ne peut devenir esclave des choses, esclave des systèmes économiques, esclave de ses propres produits. »

Tous les systèmes doivent être au service de l'homme, y compris les systèmes financiers et économiques : « En tant que société démocratique, veillez attentivement à tout ce qui se passe dans le puissant monde de l'argent ! Le monde de la finance est aussi un monde humain, notre monde, soumis à la conscience de nous tous ; pour lui aussi il y a des principes éthiques. Veillez donc surtout à ce que vous apportiez une contribution au service du monde avec votre économie et vos banques, et non une contribution – peut-être indirecte - à la guerre et à l'injustice ! » (Jean-Paul II, Fluëli, Suisse, 14 juin 1984.)

L'intérêt est condamné

Dans de prochains numéros, nous parlerons de beaucoup d'autres aspects de la doctrine sociale de l'Église : la dénonciation des contrôleurs de l'argent et du crédit, les dettes impayables, le droit à la propriété privée et la destination universelle des biens, l'arrivée de l'automation, la protection de l'environnement, etc. Nous conclurons cette première partie avec l'enseignement de l'Église sur l'usure, ou le prêt à intérêt. L'Église a bien raison de dénoncer tout intérêt sur le prêt d'argent car, comme il a souvent été expliqué dans Vers Demain, c'est justement l'obligation de remettre au banquier de l'argent qu'il n'a pas créé (l'intérêt), qui crée des dettes impayables.

Saint Thomas d'Aquin, dans sa Somme Théologique (2-2, question 78), résume l'enseignement de l'Église sur le prêt à intérêt :

« Il est écrit dans le livre de l'Exode (22, 24) : "Si tu prêtes de l'argent à quelqu'un de mon peuple, au pauvre qui est avec toi, tu ne seras point à son égard comme un créancier, tu ne l'accableras pas d'intérêts." Recevoir un intérêt pour l'usage de l'argent prêté est de soi injuste, car c'est faire payer ce qui n'existe pas ; ce qui constitue évidemment une inégalité contraire à la justice... c'est en quoi consiste l'usure. Et comme l'on est tenu de restituer les biens acquis injustement, de même l'on est tenu de restituer l'argent reçu à titre d'intérêt. »

En réponse au texte de l'Évangile sur la parabole des talents (Matthieu 25, 14-30 et Luc 19, 12-27), qui, à première vue, semble justifier l'intérêt (« Serviteur mauvais... tu aurais dû placer mon argent à la banque, et à mon retour, j'aurais retiré mon argent avec les intérêts »), saint Thomas d'Aquin écrit :

« Les intérêts dont parle l'Évangile doivent s'entendre dans un sens métaphorique ; ils désignent le surcroît de biens spirituels exigé par Dieu, qui veut que nous fassions toujours un meilleur usage des biens qu'il nous a confiés, mais c'est pour notre avantage et non pour le sien. »

Ce texte de l'Évangile ne peut donc pas justifier l'intérêt puisque, dit saint Thomas, « on ne peut fonder un argument sur des expressions métaphoriques ».

Saint Ambroise dit aussi : « Qu'est-ce que le prêt à intérêt, sinon tuer un homme ? »

Saint Jean Chrysostome : « Rien n'est plus honteux, ni plus cruel que l'usure. »

Saint Léon : « C'est une avarice injuste et insolente que celle qui se flatte de rendre service au prochain alors qu'elle le trompe... Celui-là jouira du repos éternel qui entre autres règles d'une conduite pieuse n'aura pas prêté son argent à usure... tandis que celui qui s'enrichit au détriment d'autrui, mérite en retour la peine éternelle. »

En 1311, au Concile de Vienne, le pape Clément V déclarait nulle et vaine toute la législation civile en faveur de l'usure, et « si quelqu'un tombe dans cette erreur d'oser audacieusement affirmer que ce n'est pas un péché que de faire l'usure, nous décrétons qu'il sera puni comme hérétique et nous ordonnons à tous les ordinaires et inquisiteurs de procéder vigoureusement contre tous ceux qui seront soupçonnés de cette hérésie. »

Le 1er novembre 1745, le pape Benoît XIV publiait l'encyclique Vix Pervenit, adressée aux évêques italiens, au sujet des contrats, où l'usure, ou prêt à intérêt, - est clairement condamnée. Le 29 juillet 1836, le pape Grégoire XVI étendait cette encyclique à l'Église universelle. Il y est écrit :

« L'espèce de péché qu'on appelle usure, et qui réside dans le contrat de prêt, consiste en ce qu'une personne, s'autorisant du prêt même, qui par sa nature demande qu'on rende seulement autant qu'on a reçu, exige qu'on lui rende plus qu'on a reçu et soutient conséquemment qu'il lui est dû, en plus du capital, quelque profit, en considération du prêt même. C'est pour cette raison que tout profit de cette sorte qui excède le capital est illicite, et usuraire.

« Et certes, pour ne pas encourir cette note infamante, il ne servirait à rien de dire que ce profit n'est pas excessif, mais modéré ; qu'il n'est pas grand, mais petit.... En effet, la loi du prêt a nécessairement pour objet l'égalité entre ce qui a été donné et ce qui a été rendu... Par conséquent, si une personne quelconque reçoit plus qu'elle n'a donné, elle sera tenue à restituer pour satisfaire au devoir que lui impose la justice dite commutative...)

En 1891, le pape Léon XIII écrivait dans son encyclique Rerum Novarum :

« Une usure dévorante est venue ajouter encore au mal. Condamnée à plusieurs reprises par le jugement de l'Église, elle n'a cessé d'être pratiquée sous une autre forme par des hommes avides de gain, et d'une insatiable cupidité... »

Dans tout système économique honnête qui se veut conforme à la doctrine sociale de l'Église, l'argent doit donc être créé sans intérêt. C'est ce qui est proposé par le système du Crédit Social. Pour ceux qui s'inquiètent à savoir s'ils retireront encore de l'intérêt sur leur argent déposé à la banque, Louis Even donne la réponse dans le chapitre 31 de son livre « Sous le signe de l'Abondance » (« L'argent doit-il réclamer de l'intérêt ? »). Tout le chapitre serait à lire, mais en voici l'essentiel :

« Dans la pratique, celui qui apporte son argent à la banque le place indirectement dans l'industrie productive. Les banquiers sont des prêteurs de profession, et le déposant leur passe son argent, parce qu'ils sont mieux que lui capables de le faire fructifier, sans qu'il ait à s'en occuper. Le petit intérêt que le banquier inscrit au crédit du déposant de temps en temps (dans son compte d'épargne), même à un taux fixe, est en réalité un dividende, une partie des revenus que le banquier, avec le concours d'emprunteurs, a obtenus d'activités productrices. »

Lorsque l'argent investi rapporte des profits, il doit y avoir des dividendes remis aux investisseurs, mais lorsqu'il n'y a aucun profit, rien ne justifie un intérêt, puisque l'argent doit refléter les faits, les réalités économiques. On ne parle donc plus d'un intérêt, mais d'un dividende, remis aux actionnaires (ceux qui ont investi) lorsqu'il y a augmentation de la production.

Les banquiers contrôlent l'argent

L'argent devrait être un instrument de service, mais les banquiers, en s'en réservant le contrôle de la création, en ont fait un instrument de domination :

« Ce pouvoir est surtout considérable chez ceux qui, détenteurs et maîtres absolus de l'argent et du crédit, gouvernent le crédit et le dispensent selon leur bon plaisir. Par là, ils distribuent le sang à l'organisme économique dont ils tiennent la vie entre leurs mains, si bien que, sans leur consentement, nul ne peut plus respirer. » (Pie XI, encyclique Quadragesimo Anno, 15 mai 1931.)

La création d'argent sous forme de dette par les banquiers est leur moyen d'imposer leur volonté sur les individus et de contrôler le monde :

« Parmi les actes et les attitudes contraires à la volonté de Dieu et au bien du prochain et les « structures » qu'ils introduisent, deux éléments paraissent aujourd'hui les plus caractéristiques : d'une part le désir exclusif du profit et, d'autre part, la soif du pouvoir dans le but d'imposer aux autres sa propre volonté. » (Jean-Paul II, encyclique Sollicitudo Rei Socialis, sur la question sociale, 30 décembre 1987, n. 37.)

Puisque l'argent est un instrument essentiellement social, la doctrine du Crédit Social propose que l'argent soit émis par la société, et non par des banquiers privés pour leur profit :

« Il y a certaines catégories de biens pour lesquels on peut soutenir avec raison qu'ils doivent être réservés à la collectivité lorsqu'ils en viennent à conférer une puissance économique telle qu'elle ne peut, sans danger pour le bien public, être laissée entre les mains de personnes privées. » (Pie XI, encyclique Quadragesimo Anno.)

Des dettes impayables

L'obligation de remettre au banquier de l'argent qu'il n'a pas créé entraîne des dettes impayables :

« Les pays débiteurs, en effet, se trouvent placés dans une sorte de cercle vicieux : ils sont condamnés, pour pouvoir rembourser leurs dettes, à transférer à l'extérieur, dans une mesure toujours plus grande, des ressources qui devraient être disponibles pour leur consommation et leurs investissements internes, donc pour leur développement.

« Le service de la dette ne peut être acquitté au prix d'une asphyxie de l'économie d'un pays et aucun gouvernement ne peut moralement exiger d'un peuple des privations incompatibles avec la dignité des personnes... S'inspirant de l'Évangile, d'autres comportements seraient à envisager, comme consentir des délais, remettre partiellement ou même totalement les dettes... En certains cas, les pays créanciers pourront convertir les prêts en dons.

« L'Église rappelle la priorité à accorder aux hommes et à leurs besoins, par-delà les contraintes et les techniques financières souvent présentées comme seules impératives. » (Une approche éthique de l'endettement international, document de la Commission Pontificale Justice et Paix, 27 décembre 1986.)

« Il n'est pas licite de demander et d'exiger un paiement quand cela reviendrait à imposer en fait des choix politiques de nature à pousser à la faim et au désespoir des populations entières. On ne saurait prétendre au paiement des dettes contractées si c'est au prix de sacrifices insupportables. Dans ce cas, il est nécessaire - comme du reste cela est en train d'être partiellement fait – de trouver des modalités d'allégement, de report ou même d'extinction de la dette, compatibles avec le droit fondamental des peuples à leur subsistance et à leur progrès. » (Jean-Paul II, encyclique Centesimus Annus, 1er mai 1991, n. 35.)

Et l'on connaît tous le plus récent et urgent appel du Saint-Père pour l'effacement des dettes, à l'occasion du Jubilé de l'an 2000, comme cela se faisait à tous les 50 ans dans l'Ancien Testament (Lévitique 25, 8-28).

Non au communisme

La doctrine sociale de l'Église se situe au-dessus des systèmes économiques existants, puisqu'elle se confine au niveau des principes. Un système économique sera bon ou non dans la mesure où il applique ces principes de justice enseignés par l'Église.

C'est la raison pour laquelle l'Église « adopte une attitude critique vis-à-vis du capitalisme libéral et du collectivisme marxiste... deux conceptions du développement imparfaites et ayant besoin d'être radicalement corrigées. » (Jean-Paul II, Sollicitudo Rei Socialis.)

Il est facile à comprendre pourquoi l'Église condamne le communisme, ou collectivisme marxiste qui, comme le rappelait le Pape Pie XI, est « intrinsèquement pervers » et anti-chrétien, puisque son but avoué est la destruction complète de la propriété privée, de la famille, et de la religion. Déjà, le Pape Léon XIII, dans son encyclique Rerum Novarum, prévoyait les conséquences négatives, sous tous les aspects, du socialisme qui, sous prétexte d'aider les pauvres, ne faisait qu'empirer leur situation, « le remède se révélant pire que le mal ». De plus, en niant l'existence de Dieu, le socialisme nie l'existence de toute loi morale, de toute dignité et tous droits de la personne, ce qui mène aux dictatures, où l'État décide ce qui est bon pour l'individu.

Oui à un capitalisme corrigé

Mais l'échec évident du socialisme ne signifie pas pour autant que le capitalisme actuel soit sans reproche, car même après la chute du communisme, il existe encore des millions de pauvres et de situations d'injustice sur la planète :

« La solution marxiste a échoué, mais des phénomènes de marginalisation et d'exploitation demeurent dans le monde, spécialement dans le Tiers-Monde, de même que des phénomènes d'aliénation humaine, spécialement dans les pays les plus avancés, contre lesquels la voix de l'Église s'élève avec fermeté. Des foules importantes vivent encore dans des conditions de profonde misère matérielle et morale. Certes, la chute du système communiste élimine dans de nombreux pays un obstacle pour le traitement approprié et réaliste de ces problèmes, mais cela ne suffit pas à les résoudre. » (Jean-Paul II, Centesimus Annus.)

Plusieurs personnes dans le passé ont souligné avec raison certaines déficiences du capitalisme libéral, mais ont faussement cru que la seule solution de rechange pour corriger les maux du capitalisme était le marxisme, comme s'il ne pouvait exister d'autres choix. C'est ce qui amenait le Pape Jean-Paul II à écrire, dans la même encyclique (Centesimus Annus) : « Dans un passé récent, le désir sincère d'être du côté des opprimés et de ne pas se couper du cours de l'histoire a amené bien des croyants à rechercher de diverses manières un impossible compromis entre le marxisme et le christianisme. »

Tous capitalistes

Ce que l'Église reproche au système capitaliste actuel n'est ni la propriété privée ni la libre entreprise. Au contraire, loin de souhaiter la disparition de la propriété privée, l'Église souhaite plutôt sa diffusion la plus large possible pour tous, pour que tous soient réellement propriétaires d'un capital, soit réellement « capitalistes » :

« La dignité de la personne humaine exige normalement, comme fondement naturel pour vivre, le droit à l'usage des biens de la terre ; à ce droit correspond l'obligation fondamentale d'accorder une propriété privée autant que possible à tous.... (Il faut) mettre en branle une politique économique qui encourage et facilite une plus ample accession à la propriété privée des biens durables : une maison, une terre, un outillage artisanal, l'équipement d'une ferme familiale, quelques actions d'entreprises moyennes ou grandes. » (Jean XXIII, Mater et Magistra, nn. 114-115.)

Ce que l'Église reproche au système capitaliste, c'est que tous et chacun des êtres vivants sur la planète n'ont pas accès à un minimum de biens matériels, permettant une vie décente, et que même dans les pays les plus avancés, il existe des milliers de personnes qui ne mangent pas à leur faim. C'est le principe de la destination universelle des biens qui n'est pas atteint : la production existe en abondance, mais c'est la distribution qui est défectueuse.

Ce principe est d'une importance capitale dans l'enseignement de l'Église : « Il est nécessaire de rappeler encore une fois le principe caractéristique de la doctrine sociale chrétienne : les biens de ce monde sont à l'origine destinés à tous. Le droit à la propriété privée est valable et nécessaire, mais il ne supprime pas la valeur de ce principe. » (Jean-Paul II, Sollicitudo Rei Socialis, n. 41.)

« Dieu a destiné la terre et tout ce qu'elle contient à l'usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la création doivent équitablement affluer entre les mains de tous, selon les règles de la justice, inséparables de la charité. » (Concile Vatican II, Constitution Gaudium et Spes, n. 69.)

« Dieu a donné la terre à tout le genre humain pour qu'elle fasse vivre tous ses membres, sans exclure ni privilégier personne. C'est là l'origine de la destination universelle des biens de la terre... C'est un strict devoir de justice et de vérité de faire en sorte que les besoins humains fondamentaux ne restent pas insatisfaits et que ne périssent pas les hommes qui souffrent de ces carences. » (Jean-Paul II, Centesimus Annus.)

« L'organisme économique et social sera sainement constitué et atteindra sa fin, alors seulement qu'il procurera à tous et à chacun de ses membres tous les biens que les ressources de la nature et de l'industrie, ainsi que l'organisation vraiment sociale de la vie économique, ont le moyen de leur procurer. Ces biens doivent être assez abondants pour satisfaire aux besoins d'une honnête subsistance et pour élever les hommes à ce degré d'aisance et de culture qui, pourvu qu'on en use sagement, ne met pas obstacle à la vertu, mais en facilite au contraire singulièrement l'exercice. » (Pie XI, Quadragesimo Anno.)

Le capitalisme a été vicié par le système financier

Dans le système actuel, l'instrument qui permet la distribution des biens et des services, le signe qui permet d'obtenir les produits, c'est l'argent. C'est donc le système d'argent, le système financier qui fait défaut dans le capitalisme actuel. Les maux que l'Église reproche au système capitaliste ne proviennent donc pas de sa nature (propriété privée, libre entreprise), mais du système financier qu'il utilise, un système financier qui domine au lieu de servir, qui vicie le capitalisme. Le Pape Pie XI le disait dans son encyclique Quadragesimo Anno : « Le capitalisme n'est pas à condamner en lui-même, ce n'est pas sa constitution qui est mauvaise, mais il a été vicié. »

Ce que l'Église condamne, ce n'est pas le capitalisme en tant que système producteur, mais, selon les mots du Pape Paul VI, le « néfaste système qui l'accompagne », le système financier :

« Ce libéralisme sans frein conduit à la dictature à bon droit dénoncée par Pie XI comme génératrice de « l'impérialisme de l'argent ». On ne saurait trop réprouver de tels abus, en rappelant encore une fois solennellement que l'économie est au service de l'homme. Mais s'il est vrai qu'un certain capitalisme a été la source de trop de souffrances, d'injustices et de luttes fratricides aux effets durables, c'est à tort qu'on attribuerait à l'industrialisation elle-même des maux qui sont dus au néfaste système qui l'accompagnait. Il faut au contraire en toute justice reconnaître l'apport irremplaçable de l'organisation du travail et du progrès industriel à l'œuvre du développement. » (Encyclique Populorum Progressio, sur le développement des peuples, 26 mars 1967, n. 26.)

« Un strict devoir de justice »

S'assurer que chacun ait de quoi manger et un minimum de biens matériels n'est pas seulement un acte de charité, mais comme le dit le Pape Jean-Paul II, « un strict devoir de justice ». Et c'est ce que rappelle aussi le Catéchisme de l'Église catholique. (n. 2446) :

« Il faut satisfaire d'abord aux exigences de la justice, de peur que l'on n'offre comme don de la charité ce qui est déjà dû en justice : 'Quand nous donnons aux pauvres les choses indispensables, nous ne leur faisons point de largesses personnelles, mais leur rendons ce qui est à eux. Nous remplissons bien plus un devoir de justice que nous n'accomplissons un acte de charité' (Saint Grégoire le Grand). »

Le Concile Vatican II a aussi des mots très forts à ce sujet : « Quant à celui qui se trouve dans l'extrême nécessité, il a le droit de se procurer l'indispensable à partir des richesses d'autrui. » (Gaudium et Spes, n. 69.)

Le dividende du Crédit Social

Saint Thomas d'Aquin enseigne que nous sommes propriétaires que du nécessaire, et gérants du superflu. Alors, comment appliquer le droit de tous aux biens matériels tout en respectant la propriété privée ?

Cela serait rendu possible par le dividende du Crédit Social, un revenu garanti versé à chaque citoyen du pays, qui ferait en sorte que tous soient réellement capitalistes et aient au moins le nécessaire pour vivre, sans prendre dans la poche des riches, ni voler ou taxer personne. Ce dividende est basé sur deux choses : l'héritage des richesses naturelles et des inventions des générations précédentes :

« L'homme, par son travail, hérite d'un double patrimoine : il hérite d'une part de ce qui est donné à tous les hommes, sous forme de ressources naturelles et, d'autre part, de ce que tous les autres ont déjà élaboré à partir de ces ressources, en réalisant un ensemble d'instruments de travail toujours plus parfaits. Tout en travaillant, l'homme hérite du travail d'autrui. » (Jean-Paul II, encyclique Laborem Exercens, sur le travail humain, 15 septembre 1981, n. 12.)

La machine : alliée ou ennemie ?

La technologie n'est pas un mal en soi, et avec le dividende, elle pourrait être mise au service de l'homme, on ne la blâmerait plus de supprimer des emplois :

« La technologie a tant contribué au bien-être de l'humanité ; elle a tant fait pour améliorer la condition humaine, servir l'humanité et faciliter son labeur. Pourtant, à certains moments, la technologie ne sait plus vraiment où se situe son allégeance : elle est pour l'humanité ou contre elle... Pour cette raison, mon appel s'adresse à tous les intéressés... à quiconque peut apporter une contribution pour que la technologie qui a tant fait pour édifier Toronto et tout le Canada serve véritablement chaque homme, chaque femme et chaque enfant de ce pays. » (Jean-Paul II, Toronto, Canada, 17 septembre 1984.)

Le plein-emploi mène au matérialisme

Mais si on veut persister à tenir tout le monde, hommes et femmes, employés dans la production, même si la production pour satisfaire les besoins de base est déjà toute faite, et cela, avec de moins en moins de labeur humain, alors il faut créer de nouveaux emplois complètement inutiles, et dans le but de justifier ces emplois, créer de nouveaux besoins artificiels, par une avalanche de publicité, pour que les gens achètent des produits dont ils n'ont pas réellement besoin. C'est ce qu'on appelle « la société de consommation ».

De même, on fabriquera des produits dans le but qu'ils durent le moins longtemps possible, dans le but d'en vendre plus, et faire plus d'argent, ce qui entraîne un gaspillage non nécessaire des ressources naturelles, et la destruction de l'environnement. Aussi, on persistera à maintenir des travaux qui ne nécessitent aucun effort de créativité, qui ne demandent que des efforts mécaniques, qui pourrait facilement être faits uniquement par des machines, des travaux où l'employé n'a aucune chance de développer sa personnalité. Mais pour cet employé, ce travail, si déshumanisant soit-il, est la condition d'obtenir l'argent, le permis de vivre.

Ainsi, pour lui et pour une multitude de salariés, la signification de leur emploi se résume à ceci : aller travailler pour obtenir l'argent qui servira à acheter le pain, qui leur donnera la force d'aller travailler pour gagner l'argent... et ainsi de suite, jusqu'à l'âge de la retraite, s'ils ne meurent pas avant. Voilà une vie vide de sens, où rien ne différencie l'homme de l'animal.

Activités libres

Justement, ce qui différencie l'homme de l'animal, c'est que l'homme n'a pas seulement que des besoins matériels, il a aussi des besoins culturels, spirituels. Comme dit Jésus dans l'Évangile : « L'homme ne vit pas seulement que de pain, mais de toute parole qui vient de la bouche de Dieu. » (Matthieu 4,4.) Vouloir occuper tout le temps de l'homme à l'entretien de sa vie matérielle, c'est du matérialisme, car c'est nier que l'homme a aussi une dimension et des besoins spirituels.

Mais alors, si l'homme n'est pas employé dans un travail salarié, que va-t-il faire de ses temps libres ? Il l'occupera à faire des activités libres, des activités de son choix. C'est justement dans ses temps libres que l'homme peut vraiment développer sa personnalité, développer les talents que Dieu lui a donnés et les utiliser à bon escient.

De plus, c'est durant leurs temps libres que l'homme et la femme peuvent s'occuper de leurs devoirs familiaux, religieux et sociaux : élever leur famille, pratiquer leur religion (connaître, aimer et servir Dieu), venir en aide à leur prochain. Élever des enfants est le travail le plus important au monde, mais parce que la femme qui reste au foyer pour élever ses enfants ne reçoit pas de salaire, on considère qu'elle ne fait rien, qu'elle ne travaille pas ! (Un des points de la doctrine sociale de l'Église est d'ailleurs l'attribution d'un salaire à la mère au foyer. Il en sera question dans le prochain numéro.)

Être libéré de la nécessité de travailler pour produire les biens essentiels à la vie ne signifie aucunement paresse. Cela signifie tout simplement que l'individu est alors en position de choisir l'activité qui l'intéresse. Sous un système de Crédit Social, il y aura une floraison d'activités créatrices. Par exemple, les grandes inventions, les plus grands chefs-d'œuvre de l'art, ont été accomplis dans des temps libres. Comme le disait C. H. Douglas :

« La majorité des gens préfèrent être employés — mais dans des choses qu'ils aiment plutôt que dans des choses qu'ils n'aiment pas. Les propositions du Crédit Social ne visent aucunement à produire une nation de paresseux... Le Crédit Social permettrait aux gens de s'adonner aux travaux pour lesquels ils sont qualifiés. Un travail que vous faites bien est un travail que vous aimez, et un travail que vous aimez est un travail que vous faites bien. »

Alain Pilote

Suite au prochain numéro

Alain Pilote

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