Mgr Alexandre Taché Premier Oblat, Évêque de l'Ouest |
Quel bien immense ont fait à la population canadienne, non seulement les Sœurs de la Charité et les Oblats de Marie Immaculée, mais aussi les différentes communautés religieuses, par leur vocation spécifique dans l’Église, que ce soit dans la contemplation ou dans les œuvres de toutes sortes ! Puissions-nous voir sur la place publique s’élever des clameurs de gratitude envers l’Église et les communautés religieuses en compensation des critiques injurieuses qui circulent à travers les médias d’information ?
Nous aimons ici citer des grandes œuvres accomplies dans l’Ouest canadien et l’Extrême-Nord, par les Sœurs de la Charité de Montréal et de Nicolet, connues sous le nom de Sœurs Grises. Ces vaillantes ouvrières de l’Évangile sont les dignes émules de sainte Marguerite d’Youville, leur fondatrice. Elles ont fondé des écoles et des hôpitaux pour les races blanche et autochtone dans les missions établies par les Oblats de Marie Immaculée, communauté fondée par saint Eugène de Mazenod, de Marseille. En 1841, ce saint fondateur avait répondu au pressant appel de Mgr Bourget, de Montréal, en lui accordant quatre Pères et deux Frères de sa communauté, voués à la prédication des missions ou des retraites populaires.
Le 13 septembre 1843, Mgr Provencher, premier missionnaire du Nord-Ouest canadien et évêque de Rivière-Rouge, appelée aujourd’hui le Manitoba, visitait les Sœurs de la Charité de l’Hôpital-Général de Montréal. Depuis vingt ans, Mgr Provencher réclamait des religieuses à Rivière-Rouge pour catéchiser les enfants et soigner les malades. Ses démarches restaient vaines auprès de plusieurs communautés, engagées ailleurs.
Le dicton populaire parvint à ses oreilles: "Allez chez les Sœurs Grises, elles ne refusent rien". Mgr Bourget, le saint évêque de Montréal, accompagna Mgr Provencher chez les Sœurs Grises. La supérieure de la communauté désigna quatre religieuses pour l’Ouest qui partirent en canot de Montréal vers ces lieux lointains, en 1844.
Les religieuses atteignirent Rivière-Rouge après 59 jours ininterrompus d’un voyage pénible. Elles furent logées dans une maisonnette ressemblant à l’étable de Bethléem. Quelques jours après leur arrivée, commencèrent les classes. Cinquante-trois enfants y accoururent d’abord, la majorité des Sauteux ou Métis, et quelques Sioux.
Tout l’hiver, une religieuse se chargea de l’enseignement à l’extérieur, à 12 kilomètres de là, pour enseigner le catéchisme aux enfants, aux femmes et aux hommes, tous affamés de la vérité. Elle était en outre le médecin de toute la région.
A Rivière Rouge, les Sœurs Grises se dévouaient auprès des petits, des infirmes et des délaissés. Elles enseignaient aux blanches et aux indigènes.
Un an après les religieuses, les Missionnaires Oblats de Marie Immaculée arrivaient à Rivière-Rouge pour secourir les prêtres séculiers qui ne suffisaient pas à la lourde tâche. En 1853, après le décès de Mgr Provencher, Mgr Alexandre Taché, Oblat de Marie Immaculée, reprenait les rênes de l’évêché de Saint-Boniface.
Le vaste territoire de Mgr Taché s’étendait dans l’ouest jusqu’aux Montagnes Rocheuses et dans le nord jusqu’aux rivières glacées du Mackenzie, pour atteindre finalement l’océan Glacial et le nord-ouest de la Baie d’Hudson où demeurent les Esquimaux. Le vicariat couvrait 1,800,000 milles carrés (2,880,000 kilomètres carrés).
Type sauteux avec son plumet d'aigle |
En 1858, les territoires du Nord-Ouest comprenaient cinq missions centrales. Onze Pères missionnaires de la Congrégation des Oblats de Marie Immaculée, à la suite de Mgr Taché, s’étaient lancés dans ces missions et "avaient conquis les Peaux-Rouges jusqu’au cercle polaire". Les longs trajets à parcourir, les multiples travaux de défrichement permettaient à peine d’effleurer les âmes. Les Oblats réclamèrent des religieuses pour l’instruction assidue et l’éducation religieuse fondamentale auprès de l’enfance.
Le Lac Sainte-Anne, l’Île-à-la-Crosse et le Lac La Biche groupaient assez d’autochtones pour être confiés aux Sœurs Grises. Mgr Taché gagna Montréal et réclama des religieuses de la Supérieure générale des Sœurs Grises. Le contrat stipulait que les Sœurs de la Charité "fourniraient des sujets, jusqu’à l’épuisement, à l’unique condition qu’on leur procurerait les secours spirituels, et qu’on leur faciliterait l’accomplissement de leurs saintes Règles."
Les zones du Lac Ste-Anne, du Lac La Biche, et en partie de l’Île-à-la-Crosse étaient, au temps des fondations, le domaine des Cris, comme les Sauteux et les Maskégons, branche de la grande famille algonquine. Mgr Laflèche, ex-missionnaire de l’Île-à-la-Crosse, a tracé un vif portrait des Cris:
"Les indigènes des prairies qui sont les Pieds-Noirs, a écrit Mgr Laflèche, les Assiboines, les Cris et une grande partie des Sauteux, sont de la pire espèce, et je crois qu’il n’y a pas d’exagération à dire que c’est l’homme descendu au dernier degré de l’échelle humaine. Cet état de dégradation et de méchanceté vient de leur manière de vivre; ils sont ordinairement réunis en gros camps de soixante à quatre-vingts loges, et souvent davantage et mènent une vie errante et oisive, à la suite des nombreux troupeaux qui leur donnent la nourriture et l’habillement. Quand on a sous les yeux la vie dégoûtante de ces Aborigènes, on comprend que le travail, qui a été imposé à l’homme comme une pénitence après son péché, l’a été pour son bonheur plutôt que pour son malheur…"
Nakita et sa femme, de la tribu des Cris devenus chrétiens |
Le vol, la débauche, le meurtre ne sont pas l’exclusivité des Cris païens. Ces vices découlent du péché originel, commun à tous les humains. Mais la religion du Christ a, toujours et partout, la même efficacité pour relever la nature déchue et l’initier à la pratique des vertus chrétiennes.
Sous l’influence de la grâce divine, les Cris ont changé leur manière de vivre en mettant un frein à leur vie lascive et à leurs promiscuités honteuses. Les Sœurs Grises sont venues parachever l’œuvre de christianisation des peuples aborigènes entreprise par les Oblats. À chacune des missions, elles instituaient une école, un orphelinat et un hôpital.
Il y a 23 ans que les religieuses se dévouaient à la Rivière-Rouge (Manitoba) et dans les régions du Lac Ste-Anne, l’Île à la Crosse et le Lac La Biche, territoire qui forme aujourd’hui l’Alberta et la Saskatchewan, lorsque "s’ouvrit à leur dévouement le cinquante-cinquième degré de l’altitude et l’océan Glacial (Arctique), immensité connue sous le nom d’Athabaska-Mackenzie, territoire détaché en 1862, de la juridiction de Mgr Taché et confié à Mgr Faraud. En 1901, la division du vicariat fut décidée. Mgr Grouard gardait l’Athabaska et Mgr Breynat recevait le Mackenzie. Ce pays de l’Extrême-Nord était fermé durant ses huit mois de glaces, à tout commerce avec le monde civilisé."
Mgr Gabriel Breynat, O.M.I. |
— Allez, avait dit Mgr Taché à son coadjuteur, choisissez un emplacement central qui conviendra à la résidence de l’Évêque que Rome va donner à l’Athabaska-Mackenzie, et qui soit surtout propice à l’établissement d’un couvent, car sans religieuses nous ne ferons rien de stable là-bas.
En 1867, les Sœurs Grises arrivaient à la mission de La Providence. Les Indiens dispersés dans les bois du Mackenzie appartiennent à la grande famille des Dénés.
De toutes les races indiennes abordées par les missionnaires d’Amérique, la plus sympathique semble être celle des Dénés. Ils portaient eux aussi la marque du paganisme par leurs pratiques païennes que la religion dut combattre… Mais les Dénés avaient de meilleures dispositions que leurs voisins du sud par leur inclination à la piété, par un certain esprit de droiture et de pacifisme. Les missionnaires attribuent cette supériorité morale des Dénés à leur vie nomade, "presque exclusivement familiale, isolée par conséquent des occasions du mal, et privations continuelles qu’ils ont à endurer, et qui sont un frein toujours efficace aux appétits pervers, même si elles ne sont pas recherchées ni aimées".
À l’arrivée des missionnaires, la polygamie et la cruauté envers les femmes et les enfants étaient dans les mœurs. Les hommes aimaient leurs garçons mais méprisaient leurs filles. Ils battaient journellement leurs femmes, les privaient de nourriture, les chargeaient de fardeaux. Ils tuaient même leurs filles. Sans conscience, ils ne voyaient pas de mal dans ces crimes. Le christianisme les sortit assez vite de ces atrocités.
Grâce au dévouement inlassable des Oblats de Marie Immaculée et des ouvrières infatigables de la Communauté de Sœurs de la Charité, les ethnies de Mackenzie, à l’exception de fragments de tribus épars dans la profondeur des forêts, avaient "entendu et suivi l’Évangile".
L’établissement d’orphelinats pour combattre les meurtres d’enfants était un soucis majeur des religieuses à leur arrivée dans le Mackenzie. Voici des notes de ces religieuses en 1867:
"C’était un usage assez général, parmi les autochtones de ces contrées, de se défaire des petits enfants orphelins, surtout des petites filles. La religion a beaucoup changé cela, mais, étant donné qu’elle n’a pas encore pu faire sentir son influence partout, il se présente encore assez souvent des infanticides. Une mère regardant avec dédain sa fille, qui venait de naître, lui dit:
— Ton père m’a abandonnée, je ne prendrai pas la peine de te nourrir.
Aussitôt elle l’emporte hors de sa hutte, la couvre d’une grande peau, l’étouffe et la jette à la voirie."
De semblables actes de cruauté se voyaient fréquemment à cette époque. Au bout de cinquante ans de christianisation, les infanticides devaient se reproduire rarement et se répétaient dans les tribus éloignées des orphelinats. Mais presque toujours, ces enfants échappaient aux mains des bourreaux, grâce à des mains secourables qui allaient les confier aux sœurs.
Des Sœurs Grises de Montréal dans l'Ouest canadien |
Sauver l’enfance, l’instruire, travailler à sa sanctification étaient les principales préoccupations des Sœurs Grises en arrivant à la mission de La Providence dans l’Extrême-Nord. La première classe commença le 7 octobre 1867, la même année que l’arrivée des religieuses à cette mission. Le couvent de La Providence enseignait aux sauvageons et était aussi un refuge des infirmes. Son nom l’indiquait l’Hôpital du Sacré-Cœur.
Les Sœurs de la Charité accueillirent toutes les misères du Mackenzie. Plusieurs malades restèrent auprès des Sœurs de Charité de nombreuses années. Les noms de Marguerite, l’aveugle, Lidwine, la paralytique. Petit-Fou (on ne l’appela jamais autrement) appartenait à la tribu des Esclaves. Comme il était idiot, son père l’avait abandonné sur les bords de la rivière. Les sœurs le trouvèrent là. Pendant vingt ans, elles soignèrent le Petit-Fou sans tenir compte de son état mental et de ses colères. Avec beaucoup de patience et de douceur, elles réussirent à le rendre plus obéissant et à l’initier à la religion.
Même si les religieuses, au Mackenzie, se dévouaient particulièrement pour les Indiens, tout malade quelle que soit sa race ou sa confession "trouva toujours, chez elles, l’accueil cordial et le dévouement sans mesure". Les malades du dehors, dans l’arrondissement du Fort, recevaient aussi des soins médicaux. Chaque jour, la Sœur Supérieure avec remèdes, cachets, bistouris et charpie en main, allait d’un pas vif secourir les souffrants de loge en loge, de cabane en cabane, d’ulcère en ulcère, "distribuant à tous le sourire de la charité".
À La Providence, seule la pauvreté mettait obstacle aux soins des orphelins et des malades. Ce dénuement extrême permettait de mettre en pratique la volonté souvent exprimée par sainte Marguerite d’Youville: "Il ne faut pas que les Sœurs aient plus de confort que les pauvres".
Jusqu’en 1899, date de l’inauguration du nouveau couvent, "les enfants étaient couchés dans des meubles fort curieux qui ressemblaient à des rayons étagés de bibliothèque, allant du plancher au plafond. Les sœurs occupaient le coin restant du dortoir, grabat contre grabat. Longtemps elles n’eurent pas le nécessaire pour s’habiller… Il y eut des robes grises, confectionnées avec des toiles d’emballement."
En 1849, le Père Faraud avait fondé la mission de la Nativité du Lac Athabaska. En 1874, sept ans après leur arrivée dans l’Extrême-Nord, les Sœurs Grises de La Providence vinrent y établir le Couvent des Saints-Anges. Outre les Montagnais qui constituent la population principale, une partie considérable de la tribu des Cris s’y rencontrait.
La nouvelle demeure était un vieux hangar. Au bout de huit jours, la petite école accueillait une quinzaine d’enfants. La rigueur du premier hiver imposa d’énormes incommodités. La neige et le vent entraient comme chez eux dans la masure. Toutes les provisions de l’année consistaient en un sac de farine, un petit baril de sucre, cinq de froment, sept ou huit d’orge et des patates. Ce hangar provisoire servit sept ans. Les uniques sièges étaient des bouts de planches sur des tréteaux; une seule couchette servait à une des sœurs; l’une d’elles s’étendait sur la table; les petites, roulées dans leur couverture, dormaient sur le plancher autour de leurs maîtresses.
Selon Mgr Faraud, Athabaska semble avoir battu les records pour les jeûnes les plus longs, les tempêtes les plus désastreuses, les travaux les plus durs. Voici les raisons: l’aridité du sol, la rareté des animaux sauvages, les incertitudes de la pêche, les tempêtes fréquentes du lac.
Malgré les épidémies et les disettes qui secouaient les couvents de ces régions, le Couvent des Saints-Anges a atteint un degré de prospérité qui lui permit de recevoir de nombreux élèves, et de leur donner une éducation complète, fruit et honneur de notre sainte religion. L’un des enfants du Couvent des Saints-Anges devint prêtre chez les Oblats de Marie Immaculée. Il exerça son ministère à Athabaska.
D’autres fondations se sont ajoutées à l’Hôpital du Sacré-Cœur et au Couvent des Saints-Anges dans le vicariat du Mackenzie. Elles prospérèrent elles aussi à travers les intempéries.
En 1903, les Sœurs Grises arrivaient au Fort-Résolution du Grand Lac des Esclaves et y fondaient l’Hospice Saint-Joseph, si célèbre dans les missions du Nord. Cette mission Saint-Joseph eut pour père Mgr Faraud qui vint planter la croix au Grand Lac des Esclaves en 1852. Il y fit dès sa première visite cent soixante-huit baptêmes. Déjà ces bons indigènes, les Montagnais, avaient envoyé une délégation au Père Taché, au Lac Athabaska, en 1848:
—"Hâte-toi, lui faisait dire un vieillard, mes cheveux sont tout blancs; je crains de me coucher dans ma tombe avant d’avoir entendu ta parole".
Quinze ans après la fondation, dix sœurs missionnaires y préparaient à la vie chrétienne cent enfants, venus de tous les bois, qui bordent le Grand Lac des Esclaves.
En 1920, l’Extrême-Nord possédait cinq couvents de Sœurs Grises, quatre dans le Mackenzie et l’autre dans l’Athabaska. Ces fondations, composées d’écoles-pensionnats, orphelinats, hospices et hôpitaux, commencèrent dans une pauvreté extrême et coûtèrent d’énormes sacrifices aux défricheurs et fondateurs.
Une joyeuse fête avec les fillettes d'Aklavik |
En 1860, au fort MacPherson, à la tête du delta du Mackenzie, le Père Grollier avait rencontré pour la première fois les Esquimaux, mangeurs de chair crue, peuplade agressive d’abord et affreusement farouche. Ces âmes, esclaves de leurs superstitions, étaient fermées aux paroles du missionnaire.
Le Père Lefebvre essaya de nouveau la conversion des Esquimaux en 1890. Ses tentatives restèrent vaines. Les missionnaires Oblats comprirent qu’ils ne gagneraient pas la conversion des Esquimaux, sans la fondation d’une œuvre de charité pour soulager toutes les misères corporelles et morales de "ces indigènes intelligents, énergiques, hardis, il est vrai, mais méfiants par-dessus tout".
En 1924, les Sœurs Grises, devenues enfin missionnaires des Esquimaux, établissaient la mission de l’Immaculée Conception à Aklavik, au bout du delta du fleuve Mackenzie, près de l’océan Arctique, dans le Grand-Nord canadien. Une cabane était dressée. Les Sœurs l’occupèrent, en attendant que s’achevât l’hôpital avec l’école.
Un an après, les religieuses d’Aklavik suppliaient leurs supérieures et le gouvernement canadien de leur accorder la faveur d’y ouvrir aussi une crèche pour les nouveaux-nés. Comme les Dénés d’autrefois, les Esquimaux étaient très attachés aux enfants qu’ils avaient décidé de garder, cependant ils étaient prêts à exterminer les non-désirés en les écrasant impitoyablement ou en les abandonnant dans le désert des ours et des loups. Les petites filles étaient souvent les malheureuses victimes. Les Sœurs Grises devinrent bientôt les mères adoptives de nombreuses jeunes âmes qui apprendront à connaître et à aimer Dieu.
Un couple esquimau de Minto Inlet |
Après ces multiples fondations, énumérées ci-haut, la soif conquérante de nos religieuses n’était pas encore apaisée. Le territoire à mille milles à l’est d’Aklavik, entre le Grand Lac de l’Ours et l’océan "Glacial", le long du fleuve de Coppermine, a été arrosé du sang de deux martyrs, les Pères Rouvière et Le Roux, Oblats de Marie Immaculée. Depuis le récit de la mort tragique de ces deux apôtres, les filles de sainte Marguerite d’Youville, prêtes à affronter le martyre, voulaient aller y implanter le christianisme par leurs œuvres de charité.
Mgr Turquetil et le Père Ducharme avec leurs chrétiens de Chesterfield |
De partout, les Esquimaux réclamaient les missionnaires. Les Oblats fondront des missions sur les bords de l’océan Arctique et sur les îles du Cercle Arctique, là où des indigènes demeurent dans des iglous. Les Sœurs Grises, prêtes à tous les sacrifices, "s’inscrivaient à l’avant-Garde". "C’est la terre stérile et nue. Si le charbon manque, elles mangeront crue la chair du gibier ou du poisson", disait l’évêque inquiet.
En douze ans, de 1928 à 1940, cinq missions esquimaudes s’établirent dans cette partie de l’Arctique proche du golfe du Couronnement (Coronation Gulf), du fleuve Coppermine et de la grande Île Victoria.
Plus à l’est, à Chesterfield Inlet, au cap Esquimo, sur le bord du nord-ouest de la Baie d’Hudson, Mgr Turquetil, O.M.I., a fait appel aux religieuses enseignantes et hospitalières. Là aussi les Esquimaux commençaient à se convertir. L’heure de l’entrée de ces tribus dans le sein de l’Église, avait sonné. En 1931, quatre Sœurs Grises de Nicolet accostèrent à cette mission. Elles devaient prendre soin d’un hôpital bâti de toutes pièces par les Frères Oblats. En 1956, une école-pensionnat ouvrait ses portes à 80 élèves à qui les religieuses enseignaient avec la religion et les éléments de l’instruction, les arts domestiques, initiation au piégeage, la pêche… Dans les écoles des sœurs, les garçons étaient aussi initiés au travail de l’ivoire et les filles à la préparation des peaux et à la couture. A Chesterfield Inlet, en 1956, la population des écoles avec les externes s’élevait à 175 élèves.
Premières religieuses à Chesterfield |
"En 1959, Mgr Marc Lacroix, évêque titulaire de Roso et vicaire apostolique de la Baie d’Hudson, avait sous sa juridiction 26 missionnaires oblats au service de 6350 Esquimaux dont 1,705 étaient catholiques."
En 1960, en plein cœur de l’Arctique, 245 Sœurs de la Charité étaient réparties dans 20 postes-mission, comprenant école ou hôpital, parfois les deux ensembles: soit un en Ontario, un au Manitoba, deux à la Baie d’Hudson, cinq au nord de la Saskatchewan, trois en Alberta, huit au Mackenzie.
Dans le livre «Le Canada français missionnaire» du chanoine Lionel Groulx, il est écrit:
"En 1951, à la mission mère de Chesterfield Inlet, le vicaire apostolique de la Baie d’Hudson, Mgr Marc Lacroix, admettait, parmi les Filles de Mère d’Youville, une jeune Esquimaude de vingt ans, une «fleur des neiges», Sœur «Naya» Pélagie, Inuk. Sœur Pélagie est originaire du Cap Esquimau. C’est une véritable Esquimaude, portée pendant deux ans sur le dos de sa mère, comme tous les bébés de son pays. Elle a vécu sous les iglous et les tentes de Caribou jusqu’à l’âge de quinze ans. Parmi ses amusements d’enfance, sa mère lui a appris à gratter, à découper et à mâcher des peaux destinées aux usages vestimentaires. C’est en langue esquimaude qu’elle prononcera ses vœux de religieuse. En 1953, une deuxième Esquimaude, Blandine Nennaut, de Chesterfield, prenait l’habit des Sœurs Grises… De telles fleurs boréales n’ont pu croître que par une singulière élévation du niveau spirituel dans le monde esquimau et quelque fascination de l’héroïsme chrétien et féminin."
Mgr Ovide Charlebois, O.M.I., évêque Messe célébrée sous l'iglou |
Avec les années, la population esquimaude s’est métamorphosée au contact de la civilisation chrétienne établie dans leur pays de glace par les Oblats de Marie Immaculée et par les filles de sainte Marguerite d’Youville.
Selon une constatation de Mgr Arsène Turquetil, en 1943, plus de la moitié des Esquimaux n’étaient pas encore convertis. Mais les sorciers étaient à peu près disparus ou sans influence. La dignité de la mère esquimaude était relevée. Les mariages entre proches disparurent par conséquent la race se fortifiait par des bébés plus vigoureux. L’infanticide disparut, l’extermination des petites filles cessa, donc plus de facilité au mariage pour les jeunes garçons; les meurtres entre adultes pour se voler une femme, cessèrent; l’hôpital arrêta les suicides de malades au désespoir; les superstitions qui suscitaient des famines, des maladies, telles que "la défense de chasser le caribou s’il y avait du phoque dans la maison; défense de détruire tout ce qui avait appartenu à un mort; défense de confectionner ses habits d’hiver avant la construction de l’iglou: ce qui permettait à ces braves familles de geler royalement et de prendre toutes sortes de maladies." (Chanoine Lionel Groulx)
Dans les provinces de l’Ouest canadien et dans tous les territoires du Nord-Ouest, les Sœurs de la Charité ont mis en pratique le moto lancé et vécu par leur sainte fondatrice Marguerite D’Youville: "Elles seront toujours prêtes à entreprendre les bonnes œuvres que la Providence leur offrira, et celles qui seront autorisées par leurs supérieurs."
Les races blanche et autochtone de tout l’Ouest canadien ont une dette de reconnaissance envers ces messagers de la miséricorde divine que sont les Oblats de Marie Immaculée et les Sœurs de la Charité.
Nous avons parlé particulièrement des Sœurs de la Charité de Montréal, fondation première de sainte Marguerite d’Youville. Quatre troncs sortirent de cet arbre: les Sœurs de la Charité de l’Hôtel-Dieu de Saint-Hyacinthe (1840), les Sœurs de la Charité de la Croix d’Ottawa (1845), les Sœurs de la Charité de Québec (1849) et les Sœurs de la Charité de l’Hôtel-Dieu de Nicolet (1886). Elles fondèrent par milliers des institutions de charité hospitalières, enseignantes et autres à travers le Canada, les Etats-Unis et aussi à l’étranger.
La majorité des Sœurs Grises qui ont œuvré dans l’Ouest canadien étaient de souche canadienne-française. La Nouvelle-France, jadis le bastion de la chrétienté en Amérique du Nord, a changé graduellement de visage depuis le lancement néfaste de la Révolution Tranquille des années ‘60. Les communautés religieuses enseignantes et hospitalières n’ont plus de nouvelles vocations. Aujourd’hui les missions fondées par les Oblats, les écoles-pensionnats, les orphelinats des Sœurs Grises sont fermés. À présent, ce sont des prêtres itinérants qui vont célébrer la messe dans les réserves indiennes.
En 1982, une Sœur Grise du nord de l’Alberta, alors qu’une école-pensionnat était à vendre, avait dit: "Autrefois nous fondions des écoles-pensionnats et des orphelinats, aujourd’hui, nous devons les fermer".
Par l’influence de la Franc-Maçonnerie, les missions catholiques des Territoires du Nord-Ouest ont été très persécutées. A présent, les écoles et les hôpitaux du Grand Nord relèvent uniquement de l’État. Ce sont des écoles centralisées. Les enfants des réserves indiennes doivent se rendre dans les écoles des grands centres par autobus.
Les ennemis de l’Église, les forces occultes de la franc-maçonnerie ont fait appel aux Aborigènes pour lancer des dénonciations gratuites sur la place publique contre les missions fondées par les Oblats. Les ennemis du christianisme ont dû attendre avant de réussir à en obtenir. Personne n’osait attaquer les Oblats ni les Sœurs Grises qui ont pratiqué la charité jusqu’à l’héroïsme envers les différentes tribus indiennes. A force de lavage de cerveau par les médias, des diffamateurs autochtones ont déblatéré contre les missions, contre des Oblats, contre l’Église, contre les écoles-pensionnats et les orphelinats.
Nous voyons dans ces persécutions le mépris de la religion catholique fondée par Notre-Seigneur Jésus-Christ et des prétextes pour actionner les communautés ou pour recevoir des montants d’argent du gouvernement.
Nous souhaitons de tout cœur que des missions catholiques parmi les Amérindiens soient de nouveau fondées et que l’on y rétablisse des écoles catholiques et des hôpitaux sous la protection de l’Église. C’est le moyen de christianiser de nouveau ces peuples qui reviennent au paganisme. «Tout restaurer dans le Christ» est l’unique moyen de salut pour notre société. «Tout ce qui ne repose pas sur la pierre angulaire du Christ s’écroulera.» Peuple de la Nouvelle-France, convertissons-nous. Travaillons à rechristianiser l’Amérique.
Chef d'œuvre du christianismeDans l’article précédent, en plus du livre du chanoine Lionel Groulx, nous avons aussi puisé nos informations dans les deux volumes intitulés «Femmes Héroïques ! Les Sœurs Grises dans l’Extrême-Nord», par le Rév. Père Duchaussois, Oblat de Marie Immaculé. Les extraits suivants sont tirés du deuxième volume édité en 1920. Les Sœurs Grises n’ont pas détruit la culture amérindienne, mais elles l’ont christianisée, ennoblie, enrichie en adoucissant les mœurs. Vous le constaterez en lisant cet article: …(Dans les missions de l’Ouest canadien), c’est à l’enfance que les sœurs missionnaires (les Sœurs Grises) se consacrèrent premièrement. Qu’est-elle devenue? Le sauvageon trouva dans la Sœur de la Charité l’affection d’une mère. Il ne la vit jamais rebutée de sa vermine, de sa grossièreté, de son inconstance, ni de l’ingratitude de plusieurs. Elle s’est penchée sur sa misère et son ignorance avec toutes les tendresses de l’amour surnaturel. Elle s’est attachée à imprégner de la sève chrétienne dans son esprit, sa volonté et son cœur. Tâche ardueLa tâche devait être ardue. Il ne se trouvait, pour y aider, aucun sillon tracé par d’autres, aucun précédent d’éducation dans la vérité. C’était la terre tout embroussaillée du paganisme à défricher et à ameublir. Les sœurs comprirent que cette éducation se compliquait de la difficulté des méthodes à créer. Elles comprirent que l’erreur serait grande d’élever un autochtone à l’instar d’un civilisé; de donner l’enfant, destiné à reprendre ses forêts, sa hutte, ses raquettes, ses filets, ses fusils, l’impulsion qui dirige l’enfant de nos pays vers la profession d’avocat, de médecin, de commerçant, de simple ouvrier, ou même des travaux de ménage dans nos villes ou nos campagnes. La méprise sur ce point eut été fatale, et le bien poursuivi, pire que le mal combattu. Elles ne se trompèrent pas. La preuve en est que chasseurs et pêcheurs d’aujourd’hui, anciens de La Providence, d’Athabaska et de Résolution, "font honneur à la Mission", selon l’expression du Mackenzie, par leur conduite et leur vie exemplaire. Ils ont gagné au couvent, de mépriser la vanité des mises et des prétentions; d’apprendre que le travail n’avilit pas; que les heures de peine peuvent s’élever à Dieu, comme les heures du plaisir; que la voie du chrétien est celle de la croix; qu’il n’est rien de petit dans la sanctification d’une âme. L’indigène vivait autrefois sa vie dure, naturellement; aujourd’hui, il la vit aussi dure — plus dure même, car son sang va s’appauvrissant, et ses terres de chasse en dépeuplant—, mais il la vit surnaturellement. La Sœur de Charité l’y a initié, jour par jour, détail par détail; elle l’a convaincu que plus on est petit et pauvre, plus on est l’ami du divin Pauvre. Ces enseignements, l’enfant de l’école les répète en sa langue toujours éloquente à ceux qui, laissés dans les bois, n’ont pas eu ce bonheur. Enfin, lorsque ayant peiné toute sa vie en chrétien, il s’endort sur la natte de sa loge, pour s’en aller "par-dessus le firmament", c’est en se souvenant des leçons de la Sœur qu’il sanctifie son dernier souffle, et qu’il se présente à Dieu. Cette transformation de l’âme autochtone par les Sœurs Grises (a été) le chef d’œuvre du christianisme, dans l’Extrême-Nord. Père Duchaussois |