Voici des extraits de l’Exhortation apostolique post-synodale Verbum Domini (La parole du Seigneur). Ce document de 210 pages, daté du 30 septembre 2010, fête de saint Jérôme, est adressé aux évêques, au clergé, aux personnes consacrées et aux fidèles laïcs. Il fait suite à la 12e Assemblée générale ordinaire du Synode des Évêques, célébrée au Vatican du 5 au 26 octobre 2008, qui avait eu pour thème «La Parole de Dieu dans la vie et dans la mission de l’Église»:
Comme nous le montre de manière claire le Prologue de Jean (Jn 1, 1-18), le Logos désigne à l’origine le Verbe éternel, c’est-à-dire, le Fils unique engendré par le Père avant tous les siècles et qui lui est consubstantiel: le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Mais ce même Verbe, affirme saint Jean, «s’est fait chair» (Jn 1, 14); c’est pourquoi Jésus-Christ, né de la Vierge Marie, est réellement le Verbe de Dieu qui s’est fait consubstantiel à nous. Par conséquent, l’expression «Parole de Dieu» indique ici la Personne de Jésus-Christ, le Fils éternel du Père, fait homme.
Par ailleurs, si au centre de la Révélation divine se situe l’événement du Christ, on doit aussi reconnaître que la création elle-même, le liber naturae (livre de la nature), fait aussi essentiellement partie de cette symphonie à plusieurs voix dans laquelle le Verbe unique s’exprime. En même temps, nous affirmons que Dieu a communiqué sa Parole dans l’histoire du salut, qu’il a fait entendre sa voix; par la puissance de son Esprit, «il a parlé par les prophètes».
La Parole divine se révèle donc au cours de l’histoire du salut et elle parvient à sa plénitude dans le Mystère de l’Incarnation, de la mort et de la Résurrection du Fils de Dieu. La Parole de Dieu est encore celle qui est prêchée par les apôtres, dans l’obéissance au Commandement de Jésus ressuscité: «Allez dans le monde entier. Proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création» (Mc 16, 15). La Parole de Dieu est donc transmise dans la Tradition vivante de l’Église. Enfin, la Parole divine, attestée et divinement inspirée, c’est l’Écriture Sainte, l’Ancien et le Nouveau Testament.
Tout cela nous fait comprendre pourquoi, dans l’Église, nous vénérons beaucoup les Saintes Écritures, bien que la foi chrétienne ne soit pas une «religion du Livre»: le Christianisme est la «religion de la Parole de Dieu», non d’«une parole écrite et muette, mais du Verbe incarné et vivant». L’Écriture doit donc être proclamée, écoutée, lue, accueillie et vécue comme la Parole de Dieu, dans le sillage de la Tradition apostolique dont elle est inséparable. (…)
Le Prologue de saint Jean affirme, en référence au Logos divin, que «par lui tout s’est fait et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui» (Jn 1, 3); de même, dans la Lettre aux Colossiens, il est affirmé en ce qui concerne le Christ, «premier-né par rapport à toute créature» (1, 15), que «tout est créé par lui et pour lui» (1, 16). Et l’auteur de la Lettre aux Hébreux rappelle aussi que «grâce à la foi, nous comprenons que les mondes ont été organisés par la Parole de Dieu, si bien que l’univers visible provient de ce qui n’apparaît pas au regard» (11, 3).
Cette annonce est pour nous une parole libératrice. En effet, les affirmations de l’Écriture indiquent que tout ce qui existe n’est pas le fruit d’un hasard irrationnel, mais est voulu par Dieu, fait partie de son dessein, au sommet duquel il nous est offert de participer, dans le Christ, à la vie divine. (…)
La Parole de Dieu nous pousse à changer notre idée du réalisme: la personne réaliste est celle qui reconnaît dans le Verbe de Dieu, le fondement de tout. Nous en avons particulièrement besoin à notre époque, où de nombreuses choses sur lesquelles nous nous appuyons pour construire notre vie, sur lesquelles nous sommes tentés de mettre notre espérance, se révèlent éphémères. L’avoir, le plaisir et le pouvoir se manifestent tôt ou tard incapables de réaliser les aspirations les plus profondes du cœur de l’homme. En effet, pour construire sa vie, celui-ci a besoin de fondements solides, qui demeurent même lorsque les certitudes humaines s’estompent. (…)
Le Fils, lui-même, est la Parole de Dieu, il est le «Logos: la Parole éternelle s’est faite petite – si petite qu’elle peut entrer dans une mangeoire. Elle s’est faite enfant, afin que la Parole devienne pour nous saisissable». À présent, la Parole n’est pas seulement audible, elle ne possède pas seulement une voix, maintenant la Parole a un visage, qu’en conséquence nous pouvons voir: Jésus de Nazareth. (…)
Lui (Jésus) “qui nous a révélé Dieu” (cf. Jn 1, 18) est la Parole unique et définitive donnée à l’humanité». Saint Jean de la Croix a exprimé cette vérité de façon admirable: «Dès lors qu’il nous a donné son Fils, qui est sa Parole – unique et définitive –, il nous a tout dit à la fois et d’un seul coup en cette seule Parole et il n’a rien de plus à dire. […] Car ce qu’il disait par parties aux prophètes, il l’a dit tout entier dans son Fils, en nous donnant ce tout qu’est son Fils. Voilà pourquoi celui qui voudrait maintenant interroger le Seigneur et lui demander des visions ou révélations, non seulement ferait une folie, mais il ferait injure à Dieu, en ne jetant pas les yeux uniquement sur le Christ et en cherchant autre chose ou quelque nouveauté». (Montée du Carmel, II, 22.)
Par conséquent, le Synode a recommandé d’«aider les fidèles à bien distinguer la Parole de Dieu des révélations privées», dont le rôle «n’est pas de (…) “compléter” la Révélation définitive du Christ, mais d’aider à en vivre plus pleinement à une certaine époque de l’histoire» (Catéchisme de l’Église Catholique, n. 67.)
La valeur des révélations privées est foncièrement différente de l’unique Révélation publique: celle-ci exige notre foi; en effet, en elle, au moyen de paroles humaines et par la médiation de la communauté vivante de l’Église, Dieu lui-même nous parle. Le critère pour établir la vérité d’une révélation privée est son orientation vers le Christ lui-même. Quand celle-ci nous éloigne de Lui, alors elle ne vient certainement pas de l’Esprit Saint, qui nous conduit à l’Évangile et non hors de lui. La révélation privée est une aide pour la foi, et elle se montre crédible précisément parce qu’elle renvoie à l’unique Révélation publique. C’est pourquoi l’approbation ecclésiastique d’une révélation privée indique essentiellement que le message s’y rapportant ne contient rien qui s’oppose à la foi et aux bonnes mœurs. Il est permis de le rendre public, et les fidèles sont autorisés à y adhérer de manière prudente. Une révélation privée peut introduire de nouvelles expressions, faire émerger de nouvelles formes de piété ou en approfondir d’anciennes. Elle peut avoir un certain caractère prophétique (cf. 1 Th 5, 19-21) et elle peut être une aide valable pour comprendre et pour mieux vivre l’Évangile à l’heure actuelle. Elle ne doit donc pas être négligée. C’est une aide, qui nous est offerte, mais il n’est pas obligatoire de s’en servir. Dans tous les cas, il doit s’agir de quelque chose qui nourrit la foi, l’espérance et la charité, qui sont pour tous le chemin permanent du salut. (…)
Les Pères synodaux ont déclaré que le but fondamental de la XIIe Assemblée était avant tout de «renouveler la foi de l’Église dans la Parole de Dieu»; c’est pourquoi, il est nécessaire de regarder là où la réciprocité entre la Parole de Dieu et la foi s’est accomplie parfaitement, c’est-à-dire en la Vierge Marie, «qui par son ‘oui’ à la Parole de l’Alliance et à sa mission, accomplit parfaitement la vocation divine de l’humanité». La réalité humaine, créée par le Verbe, trouve vraiment son plein accomplissement dans la foi obéissante de Marie. De l’Annonciation à la Pentecôte, elle se présente à nous comme la femme totalement disponible à la volonté de Dieu. Elle est l’Immaculée Conception, celle qui est «pleine de la grâce» de Dieu (cf. Lc 1, 28), docile à la Parole divine de façon inconditionnelle (cf. Lc 1, 38). (…)
Rappelant le lien indissociable entre la Parole de Dieu et Marie de Nazareth, j’invite, en union avec les Pères synodaux, à promouvoir parmi les fidèles, surtout dans leur vie de famille, les prières mariales comme une aide pour méditer les saints Mystères racontés par l’Écriture. Un moyen très utile est, par exemple, la récitation personnelle ou communautaire du saint Rosaire, qui reprend avec Marie les Mystères de la vie du Christ, que le Pape Jean-Paul II a voulu enrichir avec les Mystères lumineux. Il est opportun que l’énonciation des différents Mystères soit accompagnée de brefs passages de la Bible relatifs au Mystère annoncé, afin de favoriser la mémorisation de certaines expressions significatives de l’Écriture relatives aux Mystères de la vie du Christ.
Par ailleurs, le Synode a recommandé d’encourager parmi les fidèles la récitation de la prière de l’Angelus Domini. Il s’agit d’une prière simple et profonde qui, en union avec la Mère de Dieu, nous permet de nous «remémorer chaque jour le Mystère du Verbe incarné». Il est opportun que le Peuple de Dieu, les familles et les communautés de personnes consacrées soient fidèles à cette prière mariale que la Tradition nous invite à réciter à l’aurore, à midi et au coucher du soleil. Dans la prière de l’Angelus Domini, nous demandons à Dieu, par l’intercession de Marie, qu’il nous soit donné d’accomplir comme elle la volonté de Dieu et d’accueillir en nous sa Parole. Cette pratique peut nous aider à approfondir en nous un authentique amour pour le Mystère de l’Incarnation. (…)
La Parole divine éclaire l’existence humaine et appelle la conscience de chacun à revoir en profondeur sa propre vie, car toute l’histoire de l’humanité est soumise au jugement de Dieu: «Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire. Toutes les nations seront rassemblées devant lui» (Mt 25, 31-32). À notre époque, nous considérons souvent, de manière superficielle, la valeur de l’instant qui passe, comme s’il était sans importance pour l’avenir. Au contraire, l’Évangile nous rappelle que chaque instant de notre existence est important et doit être vécu avec intensité, sachant que chacun devra rendre compte de sa propre vie. Au chapitre 25 de l’Évangile de Matthieu, le Fils de l’Homme juge comme fait ou comme n’étant pas fait envers lui, ce que nous aurons fait ou n’aurons pas fait à un seul de ces «petits qui sont mes frères» (25, 40.45): «J’avais faim, et vous m’avez donné à manger; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire; j’étais étranger, et vous m’avez accueilli; j’étais nu, et vous m’avez habillé; j’étais malade, et vous m’avez visité; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi» (25, 35-36). C’est donc la Parole de Dieu elle-même qui nous rappelle la nécessité de notre engagement dans le monde et notre responsabilité face au Christ, Seigneur de l’Histoire. En annonçant l’Évangile, encourageons-nous les uns les autres à accomplir le bien et à agir pour la justice, la réconciliation et la paix.
La Parole de Dieu pousse l’homme à des relations animées par la droiture et par la justice; elle atteste la valeur précieuse, face à Dieu, de tous les efforts de l’homme pour rendre le monde plus juste et plus habitable. C’est la Parole de Dieu elle-même qui dénonce sans ambiguïté les injustices et qui promeut la solidarité et l’égalité. À la lumière des paroles du Seigneur, reconnaissons donc «les signes des temps» présents dans l’histoire, ne refusons pas de nous engager en faveur de ceux qui souffrent et sont victimes de l’égoïsme. Le Synode a rappelé que s’engager pour la justice et la transformation du monde est une exigence constitutive de l’Évangélisation. Comme le disait le Pape Paul VI, il s’agit «d’atteindre et comme de bouleverser par la force de l’Évangile les critères de jugement, les valeurs déterminantes, les points d’intérêt, les lignes de pensée, les sources inspiratrices et les modèles de vie de l’humanité, qui sont en opposition avec la Parole de Dieu et le dessein du salut».