Le 29 mars 2016, le journaliste italien Sandro Magister, spécialiste des questions portant sur la religion catholique, rapportait sur son site internet Chiesa la sortie d’un livre-interview avec le cardinal allemand Gerhard Müller, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, dans lequel le cardinal exprime clairement l’enseignement de l’Église catholique sur les questions d’actualité :
«Ce livre a été publié ces jours derniers en Espagne, aux éditions de la Biblioteca de Autores Cristianos – Informe sobre la esperanza. Diálogo con el cardenal Gerhard Ludwig Müller, BAC, Madrid, 2016 – et il sera bientôt disponible également en italien, en anglais, en français et en allemand. Le cardinal y est interviewé par Carlos Granados, directeur général de la maison d’édition.
«Le titre de l’ouvrage reprend celui du livre-interview publié en 1985 par le cardinal Joseph Ratzinger, alors préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi (et par la suite Pape Benoît XVI), qui obtint un immense écho dans le monde entier: Entretien sur la foi, en espagnol Informe sobre la fe. Le cardinal Müller n’est pas seulement un disciple de Joseph Ratzinger et son successeur à ce même poste de préfet, il est également l’homme auquel le pape émérite a confié la publication de tous ses ouvrages de théologie.» Voici quelques extraits de ce livre-interview:
par le cardinal Gerhard L. Müller
L’Église, de par son magistère, a la capacité de juger de la moralité de certaines situations. Voici une vérité indiscutable: Dieu est le seul juge qui nous jugera à la fin des temps, et le pape et les évêques ont l'obligation de faire connaître les critères révélés pour ce jugement final qui est déjà anticipé aujourd’hui dans notre conscience morale.
L’Église a toujours affirmé «ceci est vrai, cela est faux» et personne ne peut interpréter de manière subjectiviste les commandements de Dieu, les béatitudes ou les conciles, selon ses propres critères, selon son propre intérêt ou même selon ses propres besoins, comme si Dieu était uniquement l’arrière-plan de l’autonomie de l’homme. La relation qui existe entre la conscience personnelle et Dieu est concrète et réelle, elle est éclairée par le magistère de l’Église; quand une doctrine est fausse, l’Église a le droit et l’obligation de le déclarer, précisément parce qu’une telle doctrine détourne les gens ordinaires du chemin qui conduit à Dieu.
Le pape François dit dans son exhortation apostolique Evangelii gaudium (n° 47) que l'eucharistie «n’est pas un prix destiné aux parfaits mais un généreux remède et un aliment pour les faibles». Il vaut la peine d’analyser cette phrase en profondeur, afin de ne pas créer d’équivoques sur son sens.
En premier lieu, il faut noter que cette affirmation exprime la primauté de la grâce: la conversion ne constitue pas un acte autonome de l'homme, mais elle est, en elle-même, une action de la grâce. Cependant on ne peut pas déduire de cette remarque que la conversion serait une manifestation extérieure de gratitude pour ce que Dieu a fait en moi pour son propre compte, sans moi. Je ne peux pas non plus en conclure que n’importe qui peut se présenter afin de recevoir l'eucharistie, même lorsqu’il n’est pas en état de grâce et qu’il n’est pas dans les dispositions voulues, uniquement parce que l’eucharistie est un aliment pour les faibles.
Nous devrions nous demander avant tout: Qu’est-ce que c’est que la conversion? La réponse est qu’elle est un acte libre de l'homme et que, en même temps, elle est un acte motivé par la grâce de Dieu, qui précède toujours les actes des hommes. Pour cette raison, c’est un acte intégral, incompréhensible si l’on sépare l'action de Dieu de l'action de l'homme. […]
Dans le sacrement de pénitence, par exemple, on remarque de manière tout à fait claire la nécessité d’une réponse libre de la part du pénitent, exprimée dans la contrition de son cœur, dans sa ferme intention de se corriger, dans la confession de ses péchés et dans son acte de contrition. C’est pourquoi la théologie catholique nie que Dieu fasse tout et que l’homme soit uniquement le réceptacle des grâces divines. La conversion est la nouvelle vie qui nous est donnée par la grâce et en même temps elle est aussi une tâche qui nous est proposée comme condition pour que nous persévérions dans la grâce. […]
Il n’y a que deux sacrements qui constituent l’état de grâce: le baptême et le sacrement de la réconciliation. Lorsqu’une personne a perdu la grâce sanctifiante, cette personne a besoin du sacrement de la réconciliation pour retrouver cet état, non pas comme quelque chose qu’elle aurait mérité mais comme un cadeau, comme un don que Dieu lui fait sous la forme sacramentelle. L'accès à la communion eucharistique présuppose certainement la vie dans la grâce, il présuppose la communion dans le corps ecclésial, il présuppose également une vie ordonnée, en conformité avec le corps ecclésial afin de pouvoir dire «Amen». Saint Paul insiste sur le fait que quiconque mange le pain ou boit la coupe du Seigneur indignement, aura à répondre du corps et du sang du Seigneur (1 Co 11. 27).
Saint Augustin affirme que «celui qui t’a créé sans toi ne te sauvera pas sans toi» (Sermo 169). Dieu me demande ma collaboration. Une collaboration qui est aussi un cadeau qu’il me fait, mais qui implique que j’accueille ce don.
Si les choses se présentaient autrement, nous pourrions tomber dans la tentation de concevoir la vie chrétienne à la manière des réalités automatiques. Le pardon, par exemple, serait transformé en quelque chose de mécanique, presque en une exigence, et non pas en une demande qui dépend aussi de moi, puisque c’est moi qui dois la formuler. Dans ce cas-là, j’irais recevoir la communion sans être dans l’état de grâce qu’elle requiert et sans avoir demandé le sacrement de la réconciliation. Je présenterais comme une certitude, sans pouvoir aucunement le prouver à partir de la Parole de Dieu, le fait que le pardon de mes péchés m’est accordé de manière privée par l’intermédiaire de cette même communion. Mais c’est une conception de Dieu qui est fausse, une façon de tenter Dieu. Elle porte également en elle une conception fausse de l’homme et elle sous-évalue ce que Dieu peut susciter en lui.
La question de savoir si le sacerdoce féminin est une affaire disciplinaire que l’Église pourrait simplement modifier ne se pose pas, parce qu’il s’agit d’une question qui a déjà été tranchée.
Le pape François a été clair sur ce point, comme ses prédécesseurs l’avaient été. À ce propos, je rappelle que saint Jean-Paul II, au n° 4 de son exhortation apostolique Ordinatio sacerdotalis publiée en 1994, a renforcé par l’emploi du pluriel de majesté (declaramus), dans l’unique document où ce pape ait employé cette forme verbale, l’affirmation selon laquelle le fait que l’Église n’a pas l’autorité pour admettre les femmes au sacerdoce est une doctrine définitive enseignée de manière infaillible par le magistère ordinaire universel (canon 750 § 2 CDC).
C’est au Magistère qu’il incombe de décider si une question est dogmatique ou disciplinaire; dans le cas qui nous occupe ici, l’Église a déjà décidé que cette proposition était dogmatique et que, étant de droit divin, elle ne pouvait être ni modifiée ni même réexaminée. On pourrait la justifier par de nombreuses raisons, telles que la fidélité à l’exemple du Seigneur ou bien le caractère normatif de la pratique multiséculaire de l’Église; cependant je ne pense pas que cette question doive être de nouveau discutée à fond, étant donné que les documents qui en traitent exposent de manière suffisante les motifs qui permettent de rejeter cette possibilité.
Je ne veux pas manquer de souligner qu’il y a une égalité essentielle entre l’homme et la femme au plan de la nature, ainsi qu’en ce qui concerne leur relation avec Dieu par l’intermédiaire de la grâce (cf. Ga 3, 28). Cependant le sacerdoce implique une symbolisation sacramentelle de la relation entre Jésus-Christ, tête ou époux, avec l’Église, corps ou épouse. Les femmes peuvent exercer, sans aucun problème, de multiples fonctions au sein de l’Église: à ce propos, je saisis volontiers l’occasion de remercier ici, publiquement, le groupe nombreux de femmes, laïques ou religieuses, dont certaines sont qualifiées par des titres universitaires, qui apportent leur indispensable collaboration à la congrégation pour la doctrine de la foi.
D'autre part il ne serait pas sérieux de formuler des propositions dans ce domaine sur la base de simples calculs humains, en affirmant, par exemple, que «si nous ouvrons aux femmes l’accès au sacerdoce, nous surmonterons le problème des vocations» ou que «si nous acceptons le sacerdoce féminin, nous donnerons au monde une image plus moderne de l’Église».
Je crois qu’une telle manière d’engager le débat est très superficielle, idéologique et surtout anti-ecclésiale, parce qu’elle passe sous silence le fait qu’il s’agit d’une question dogmatique, qui a déjà été réglée par ceux dont la mission est de le faire, et non pas d’une question simplement disciplinaire.