Le 24 octobre 2024, le Vatican publiait la quatrième encyclique du pape François, intitulée « Dilexit nos » (les premiers mots en latin de l'encyclique), signifiant « Il nous aimés », d'après les mots de saint Paul dans sa lettre aux Romains (8, 37) en parlant du Christ. L'encyclique porte sur la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, et porte d'ailleurs comme sous-titre « l'amour humain et divin du cœur de Jésus-Christ ».
Cette encyclique coïncide avec le 350e anniversaire des apparitions de Jésus à sainte Marguerite-Marie à Paray-le-Monial, entre 1673 et 1675, dans lesquelles Notre-Seigneur lui demanda de promouvoir la dévotion à Son Sacré Cœur. Voici de larges extraits de cette encyclique, dans laquelle le Saint-Père souligne l'importance de cette dévotion au Sacré-Cœur comme remède aux maux de la société d'aujourd'hui :
par le pape François
Nous avons besoin de l'aide de l'amour divin. Allons vers le Cœur du Christ, le centre de son être qui est une fournaise ardente d'amour divin et humain et qui est la plus grande plénitude que l'homme puisse atteindre. C'est là, dans ce Cœur, que nous nous reconnaissons finalement nous-mêmes et que nous apprenons à aimer.
En définitive, le Sacré-Cœur est le principe unificateur de la réalité, car « le Christ est le cœur du monde ; sa Pâque de mort et de résurrection est le centre de l'histoire qui, grâce à Lui, est histoire de salut » (Jean-Paul II, Angélus, 28 juin 1998.)… Devant le Cœur du Christ, je demande au Seigneur d'avoir à nouveau compassion pour cette terre blessée qu'Il a voulu habiter comme l'un de nous. Qu'Il répande les trésors de sa lumière et de son amour, afin que notre monde, qui survit au milieu des guerres, des déséquilibres socio-économiques, du consumérisme et de l'utilisation anti-humaine de la technologie, puisse retrouver ce qui est le plus important et le plus nécessaire : le cœur.
De nombreux textes de l'Évangile nous montrent comment Jésus est attentif aux personnes, à leurs préoccupations, à leurs souffrances. Par exemple : « À la vue des foules, Il en eut pitié, car ces gens étaient las et prostrés » (Mt 9, 36). Lorsque nous avons l'impression que tout le monde nous ignore, que personne ne s'intéresse à ce qui nous arrive, que nous n'avons d'importance pour personne, Il nous prête attention. C'est ce qu'Il fait remarquer à Nathanaël, solitaire et renfermé : « Avant que Philippe t'appelât, quand tu étais sous le figuier, je t'ai vu » (Jn 1, 48).
C'est justement parce qu'Il est attentif à nous qu'Il est capable de reconnaître chaque bonne intention, chaque bonne petite action que nous faisons. L'Évangile raconte qu'« Il vit une veuve indigente qui mettait [dans le Trésor du Temple] deux piécettes » (Lc 21, 2) et qu'Il en fit part immédiatement à ses apôtres. Jésus est attentif de telle sorte qu'Il admire les choses bonnes qu'Il reconnaît en nous. Jésus est dans l'admiration lorsqu'Il entend le centurion le prier en toute confiance (cf. Mt 8, 10). Qu'il est beau de savoir que si les autres ignorent nos bonnes intentions ou les choses positives que nous faisons, Jésus ne les ignore pas, au contraire Il les admire.
La dévotion au Cœur du Christ n'est pas le culte d'un organe séparé de la personne de Jésus. Nous contemplons et adorons Jésus-Christ tout entier, le Fils de Dieu fait homme, représenté dans une image où son cœur est mis en évidence. Le cœur de chair est considéré comme l'image ou le signe privilégié du centre le plus intime du Fils incarné et de son amour à la fois divin et humain car, plus que tout autre membre de son corps, il est « signe ou symbole naturel de son immense charité ».
Il est indispensable de souligner que nous sommes dans une relation d'amitié et d'adoration avec la personne du Christ, attirés par son amour représenté par l'image de son Cœur. Nous vénérons cette image qui le représente, mais l'adoration ne s'adresse qu'au Christ vivant, dans sa divinité et dans toute son humanité, afin de nous laisser étreindre par son amour humain et divin.
Au-delà de l'image utilisée, il est certain que le Cœur vivant du Christ – jamais une image – est objet d'adoration car il fait partie de son Corps très saint et ressuscité, inséparable du Fils de Dieu qui l'a assumé pour toujours. Il est adoré en tant que « Cœur de la personne du Verbe auquel il est inséparablement uni ». Nous ne l'adorons pas isolément mais dans la mesure où, avec ce Cœur, c'est le Fils incarné lui-même qui vit, aime et reçoit notre amour. Par conséquent, tout acte d'amour ou d'adoration envers son Cœur « s'adresse en réalité au Christ Lui-même », puisqu'il renvoie spontanément à Lui et qu'il est « le symbole et l'image expresse de l'amour infini de Jésus-Christ ».
C'est pouruoi personne ne doit penser que cette dévotion pourrait nous séparer ou nous éloigner de Jésus-Christ et de son amour. De manière spontanée et directe, elle nous oriente vers Lui, et vers Lui seul, qui nous appelle à une précieuse amitié faite de dialogue, d'affection, de confiance et d'adoration. Ce Christ au cœur transpercé et brûlant est le même qui est né à Bethléem par amour, qui a parcouru la Galilée en guérissant, en caressant, en répandant la miséricorde, le même qui nous a aimés jusqu'au bout en ouvrant les bras sur la croix. Enfin, c'est le même qui est ressuscité et qui vit glorieusement au milieu de nous.
Il faut noter que l'image du Christ avec son cœur, même si elle n'est en aucun cas objet d'adoration, n'est pas pour autant une image parmi d'autres que nous pourrions choisir. Elle n'a pas été inventée dans un bureau ni dessinée par un artiste. « Elle n'est pas un symbole imaginaire, elle est un symbole réel qui représente le centre, la source d'où a jailli le salut de l'humanité tout entière ».
Il est donc compréhensible que l'Église ait choisi l'image du cœur pour représenter l'amour humain et divin de Jésus-Christ et le centre le plus intime de sa personne. Si l'image d'un cœur avec des flammes de feu est un symbole éloquent nous rappelant l'amour de Jésus-Christ, il convient cependant que ce cœur fasse partie d'une représentation de Lui. Son appel à une relation personnelle de rencontre et de dialogue est de cette manière plus significatif. L'image vénérée du Christ, de laquelle se détache son cœur aimant, inclut un regard qui nous appelle à la rencontre, au dialogue et à la confiance ; des mains fortes, capables de nous soutenir ; une bouche qui nous adresse la parole d'une manière unique et très personnelle.
Par ailleurs, nous pouvons trouver certaines de ces images peu attrayantes et invitant peu à l'amour et à la prière. Cela est secondaire car l'image n'est rien d'autre qu'une figure incitative et, comme diraient les Orientaux, nous ne devons pas en rester au doigt qui montre la lune. Bien que bénie, il ne s'agit ici que d'une image nous invitant à aller au-delà, nous incitant à élever notre cœur jusqu'à celui du Christ vivant, et à l'unir à lui ; alors que l'Eucharistie est présence réelle devant être adorée. L'image vénérée convoque, indique et porte, afin de nous faire passer du temps dans la rencontre avec le Christ et dans son adoration, comme il nous semble le mieux de l'imaginer. En regardant l'image, nous nous mettons face au Christ et, devant Lui, « l'amour se fixe, contemple le mystère, en profite en silence ».
En contemplant le Cœur du Christ, nous reconnaissons que dans ses sains et nobles sentiments, dans sa tendresse, dans le tressaillement de son affection humaine, toute la vérité de son amour divin et infini se manifeste. Benoît XVI l'a exprimé ainsi : « De l'horizon infini de son amour, Dieu a voulu entrer dans les limites de l'histoire et de la condition humaine, prenant un corps et un cœur ; si bien que nous pouvons contempler et rencontrer l'infini dans le fini, le Mystère invisible et ineffable dans le Cœur humain de Jésus, le Nazaréen ».
Dans l'image du Cœur du Seigneur un triple amour est en effet représenté et nous éblouit. Tout d'abord, l'amour divin infini qui se trouve dans le Christ. Mais nous pensons aussi à la dimension spirituelle de l'humanité du Seigneur. De ce point de vue, le cœur est « le symbole de cette ardente charité qui, infuse dans le Christ, anime sa volonté humaine ». Enfin, il est « le symbole de son amour sensible ».
Ces trois amours ne sont pas des facultés séparées fonctionnant de manière parallèle ou sans lien, mais elles agissent et s'expriment ensemble en un flux constant de vie : « À la lumière de la foi, par laquelle nous croyons que les deux natures, humaine et divine, sont unies dans la personne du Christ, notre esprit est rendu capable de concevoir les liens très étroits qui existent entre l'amour sensible du cœur physique de Jésus et son double amour spirituel, l'humain et le divin ».
La dévotion au Cœur de Jésus est nettement christologique. Il s'agit d'une contemplation directe du Christ qui nous invite à l'union avec Lui. Cela est légitime si nous gardons à l'esprit ce que demande la Lettre aux Hébreux : courir notre course « fixant nos yeux sur Jésus » (12, 2). Cependant, nous ne pouvons pas ignorer que Jésus se présente en même temps comme le chemin vers le Père : « Je suis le chemin [...]. Nul ne vient au Père que par moi » ( Jn 14, 6). Il veut nous conduire au Père. On comprend pourquoi la prédication de l'Église, et cela dès les origines, ne nous arrête pas à Jésus-Christ, mais nous conduit au Père. C'est Lui qui, en fin de compte, doit être glorifié en tant que plénitude originelle.
Le Cœur du Christ est présent de différentes manières dans l'histoire de la spiritualité chrétienne. Dans la Bible et dans les premiers siècles de l'Église, il apparaît sous la forme du côté blessé du Seigneur, comme source de grâce ou bien comme appel à une rencontre intime d'amour. Il ne cesse de réapparaître dans le témoignage de nombreux saints jusqu'à nos jours. Au cours des derniers siècles, cette spiritualité a pris la forme d'un véritable culte du Cœur du Seigneur.
Nombre de mes prédécesseurs ont évoqué le Cœur du Christ et, de manières très diverses, nous ont invités à nous unir à Lui. À la fin du XIXème siècle, Léon XIII nous invita à nous consacrer à Lui, unissant dans sa proposition l'invitation à l'union avec le Christ à l'admiration de la splendeur de son amour infini. (Lettre encyclique Annum sacrum, 25 mai 1899) Une trentaine d'années plus tard, Pie XI présenta cette dévotion comme une synthèse de l'expérience de foi chrétienne. (Lettre enc. Miserentissimus Redemptor, 8 mai 1928) Pie XII affirma ensuite que le culte du Sacré-Cœur exprime de manière excellente, en une sublime synthèse, notre culte envers Jésus-Christ. (Lettre enc. Haurietis Aquas, 15 mai 1956.)
Plus récemment, saint Jean-Paul II a présenté le développement de ce culte au cours des siècles passés comme une réponse à la croissance de formes de spiritualités rigoristes et désincarnées qui oubliaient la miséricorde du Seigneur, mais aussi comme un appel actuel à un monde qui cherche à se construire sans Dieu : « La dévotion au Sacré-Cœur, telle qu'elle s'est développée en Europe il y a deux siècles, sous l'impulsion des expériences mystiques de sainte Marguerite-Marie Alacoque, a été une réponse au rigorisme janséniste qui avait fini par ignorer la miséricorde infinie de Dieu. [...] L'homme de l'an 2000 a besoin du Cœur du Christ pour connaître Dieu et se connaître lui-même ; il en a besoin pour construire la civilisation de l'amour ». (Catéchèse, 8 juin 1994.)
Benoît XVI a invité à reconnaître le Cœur du Christ comme une présence intime et quotidienne dans la vie de chacun : « Toute personne a besoin d'avoir un "centre" dans sa vie, une source de vérité et de bonté à laquelle puiser pour affronter les diverses situations et difficultés de la vie quotidienne. Chacun de nous, lorsqu'il fait silence, a besoin d'entendre non seulement les battements de son propre cœur, mais aussi, plus profondément, les battements d'une présence sûre, perceptible avec les sens de la foi et pourtant bien plus réelle : la présence du Christ, cœur du monde ». (Angélus, 1er juin 2008.)
La dévotion au cœur du Christ est essentielle à notre vie chrétienne car elle signifie notre ouverture, pleine de foi et d'adoration, au mystère de l'amour divin et humain du Seigneur, au point que nous pouvons affirmer une fois de plus que le Sacré-Cœur est une synthèse de l'Évangile. Nous devons rappeler que les croyants ne sont pas obligés de croire, comme s'il s'agissait de la parole de Dieu, aux visions ou manifestations mystiques racontées par les saints, qui ont proposé avec passion la dévotion au cœur du Christ. Ce sont de beaux stimuli qui peuvent motiver et faire beaucoup de bien, mais personne ne doit se sentir obligé de les suivre s'il ne trouve pas qu'ils l'aident à avancer dans sa vie spirituelle. Cependant, il est important de garder à l'esprit, comme Pie XII l'a déclaré, que l'on ne peut pas dire que ce culte « viendrait d'une révélation privée ».
La proposition de la Communion eucharistique des premiers vendredis du mois, par exemple, était un message fort à une époque où de nombreuses personnes cessaient de recevoir la Communion parce qu'elles n'avaient pas confiance dans le pardon divin, dans sa miséricorde, et considéraient la Communion comme une sorte de prix pour les parfaits.
Dans ce contexte janséniste, la promotion de cette pratique a fait beaucoup de bien, en aidant à reconnaître dans l'Eucharistie l'amour proche et gratuit du cœur du Christ, qui nous appelle à l'union avec Lui. Elle ferait beaucoup de bien également aujourd'hui pour une autre raison : parce qu'au milieu du tourbillon du monde actuel et de notre obsession pour les loisirs, la consommation et le divertissement, les téléphones et les réseaux sociaux, nous oublions de nourrir notre vie de la force de l'Eucharistie.
De même, peronne ne doit se sentir obligé de faire une heure d'adoration le jeudi. Mais comment ne pas la recommander ? Lorsque quelqu'un vit cette pratique avec ferveur, avec de nombreux frères, et qu'il trouve dans l'Eucharistie l'amour du cœur du Christ, « il adore avec l'Église le symbole et comme l'empreinte de la charité divine qui a été jusqu'à aimer le genre humain avec le cœur du Verbe incarné ».
Je voudrais ajouter que le cœur du Christ nous libère en même temps d'un autre dualisme : celui des communautés et des pasteurs qui se concentrent uniquement sur les activités extérieures, les réformes structurelles dépourvues d'Évangile, les organisations obsessionnelles, les projets mondains, les réflexions sécularisées, les propositions qui se présentent comme des prescriptions que l'on veut parfois imposer à tous. Il en résulte souvent un christianisme qui oublie la tendresse de la foi, la joie du dévouement au service, la ferveur de la mission de personne à personne, la fascination pour la beauté du Christ, la gratitude passionnée pour l'amitié qu'Il offre et pour le sens ultime qu'Il donne à la vie. Il s'agit d'une autre forme de transcendantalisme trompeur, tout aussi désincarné.
Ce sont ces maladies très actuelles, dont nous ne ressentons même pas le désir de guérir lorsque nous nous sommes laissés piéger, qui me poussent à proposer à toute l'Église un nouveau développement sur l'amour du Christ représenté dans son saint Cœur. Là nous rencontrons la totalité de l'Évangile, là se résume la vérité à laquelle nous croyons, là se trouve ce que nous adorons et cherchons dans la foi, là se trouve ce dont nous avons le plus besoin.
Devant le Cœur du Christ il est possible de revenir à la synthèse incarnée de l'Évangile et de vivre ce que je proposais il y a peu, en rappelant la chère sainte Thérèse de l'Enfant Jésus : « L'attitude la plus appropriée est de placer la confiance du cœur hors de soi-même, en la miséricorde infinie d'un Dieu qui aime sans limites et qui a tout donné sur la Croix de Jésus-Christ ». Elle a vécu cela intensément parce qu'elle avait découvert dans le cœur du Christ que Dieu est amour : « À moi Il a donné sa Miséricorde infinie, et c'est à travers elle que je contemple et adore les autres perfections Divines ». C'est pourquoi la prière la plus populaire, adressée comme une flèche au Cœur du Christ, dit simplement : « J'ai confiance en toi ». (sainte Faustine Kowalska, Journal, 22 février 1931.) Aucune autre parole n'est nécessaire.
Saint Augustin a ouvert la voie à la dévotion au Sacré-Cœur en tant que lieu de rencontre personnelle avec le Seigneur. Pour lui, la poitrine du Christ (son côté transpercé sur la croix) n'est pas seulement la source de la grâce et des sacrements, mais elle la personnalise en la présentant comme symbole de l'union intime avec Lui, comme lieu de la rencontre d'amour. Là se trouve l'origine de la sagesse la plus précieuse qui consiste à Le connaître. Augustin écrit en effet que Jean, le bien-aimé, lorsqu'il pencha la tête sur la poitrine de Jésus, s'approcha du lieu secret de la sagesse. Il ne s'agit pas de la simple contemplation intellectuelle d'une vérité théologique. Saint Jérôme explique qu'une personne capable de contempler « ne jouit pas de la beauté des cours d'eau, mais boit l'eau vive du côté du Seigneur ».
Saint Bernard reprend le symbolisme du côté transpercé du Seigneur en le comprenant explicitement comme une révélation et un don de l'amour de son Cœur. À travers la blessure, le grand mystère de l'amour et de la miséricorde devient accessible et nous pouvons le faire nôtre : « Je prends avec confiance ce qui me manque dans les entrailles du Seigneur, car elles débordent de miséricorde et ne manquent pas d'ouverture par où jaillir. Ils lui ont percé les mains et les pieds, et ils lui ont perforé le côté. À travers ces fissures, je peux boire le miel du rocher et l'huile de la pierre la plus dure, autrement dit goûter et voir comme est bon le Seigneur [...]. Le fer a transpercé son âme, et son cœur s'est fait proche : il n'est plus incapable de comprendre mes faiblesses. Les blessures ouvertes dans son corps nous révèlent le secret de son cœur, elles nous font contempler le grand mystère de la compassion ».
Le côté blessé, où réside l'amour du Christ et d'où jaillit la vie de la grâce a, peu à peu, pris la forme du cœur, surtout dans la vie monastique… Plusieurs saintes femmes ont raconté des expériences de rencontre avec le Christ, caractérisées par le repos dans le Cœur du Seigneur, source de vie et de paix intérieure. C'est le cas de sainte Lutgarde, de sainte Mechtilde de Hackeborn, de sainte Angèle de Foligno, de Julienne de Norwich, entre autres.
Sainte Gertrude de Helfta, moniale cistercienne, a raconté un moment de prière au cours duquel elle posa sa tête sur le Cœur du Christ et entendit ses battements. Dans un dialogue avec saint Jean l'Évangéliste, elle lui demande pourquoi il n'a pas parlé dans son Évangile de ce qu'il avait ressenti lorsqu'il avait fait la même expérience. Gertrude conclut que « la douce éloquence de ces battements est réservée aux temps actuels, afin qu'en les écoutant, le monde, déjà vieilli et engourdi dans son amour envers Dieu, puisse retrouver sa ferveur ». Pourrions-nous y voir une affirmation pour notre époque, un appel à reconnaître combien ce monde est devenu "vieux" et a besoin de percevoir le message toujours nouveau de l'amour du Christ ? Sainte Gertrude et sainte Mechtilde ont été considérées comme les « confidentes les plus intimes du Sacré-Cœur ».
La dévotion au Cœur du Christ a progressivement dépassé la vie monastique et a rempli la spiritualité de saints maîtres, prédicateurs et fondateurs de congrégations religieuses qui l'ont répandue dans les régions les plus reculées de la terre. L'initiative de saint Jean Eudes est particulièrement intéressante. « Après avoir mené avec ses missionnaires, à Rennes, une mission très fervente, il réussit à faire approuver par l'évêque de ce diocèse la célébration de la fête du Cœur adorable de Notre-Seigneur Jésus-Christ. C'était la première fois que cette fête était officiellement autorisée dans l'Église. Par la suite, les évêques de Coutances, d'Évreux, de Bayeux, de Lisieux et de Rouen autorisèrent la même fête pour leurs diocèses respectifs entre 1670 et 1671 ».
À l'époque moderne, la contribution de saint François de Sales est à souligner. Il a souvent contemplé le Cœur ouvert du Christ qui nous invite à y demeurer dans une relation personnelle d'amour où les mystères de la vie sont éclairés. On peut voir dans la pensée de ce saint Docteur comment, face à une morale rigoriste et à une religiosité de simple observance, le Cœur du Christ se présente comme un appel à la pleine confiance en l'action mystérieuse de sa grâce. Il l'exprime ainsi dans une proposition à la Baronne de Chantal : « Il m'est bien d'avis que nous ne demeurerons plus en nous-mêmes, […] nous nous logerons pour jamais dans le côté percé du Sauveur ; car, sans lui, non seulement nous ne pouvons, mais quand nous pourrions, nous ne voudrions rien faire ».
Les événements de Paray-le-Monial, à la fin du XVIIème siècle, se sont déroulés sous l'influence salutaire de cette spiritualité salésienne. Sainte Marguerite-Marie Alacoque a fait le récit d'importantes apparitions entre la fin de décembre 1673 et juin 1675. De la première grande apparition, ressort essentiellement une déclaration d'amour. Jésus dit : « Mon divin Cœur est si passionné d'amour pour les hommes, et pour toi en particulier, que, ne pouvant plus contenir en lui-même les flammes de son ardente charité, il faut qu'il les répande par ton moyen et qu'il se manifeste à eux pour les enrichir de ses précieux trésors que je te découvre ».
Sainte Marguerite-Marie résume cela avec force et ferveur : « Il me découvrit les merveilles de son amour et les secrets inexplicables de son Sacré-Cœur qu'Il m'avait toujours tenus cachés, jusqu'alors qu'Il me l'ouvrit pour la première fois, mais d'une manière si effective et sensible qu'Il ne me laissa aucun lieu d'en douter ». Dans les déclarations suivantes, la beauté de ce message est réaffirmée : « Il me découvrit les merveilles inexplicables de son pur amour, et jusqu'à quel excès il l'avait porté d'aimer les hommes ».
Cette reconnaissance intense de l'amour de Jésus-Christ que sainte Marguerite-Marie nous a transmise nous offre de précieux stimulants pour notre union avec Lui. Cela ne signifie pas que nous nous sentions obligés d'accepter ou d'assumer tous les détails de cette proposition spirituelle, où, comme c'est souvent le cas, l'action divine est mêlée à des éléments humains liés à nos désirs, à nos préoccupations et à nos images intérieures. Il faut toujours la relire à la lumière de l'Évangile et de la riche tradition spirituelle de l'Église, en reconnaissant tout le bien qu'elle a fait à tant de sœurs et de frères.
Cela nous permet de reconnaître les dons de l'Esprit-Saint dans cette expérience de foi et d'amour. Plus que les détails, le noyau du message qui nous est transmis peut se résumer dans ces mots que sainte Marguerite-Marie a entendus : « Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes, qu'Il n'a rien épargné jusqu'à s'épuiser et se consommer pour leur témoigner son amour ».
Lorsque saint Claude de La Colombière prend connaissance des expériences de sainte Marguerite-Marie, il s'en fait immédiatement le défenseur et le diffuseur. Il a joué un rôle particulier dans la compréhension et la diffusion de cette dévotion au Sacré-Cœur, mais aussi dans son interprétation à la lumière de l'Évangile… Saint Claude écrit une note en janvier 1677, précédée de quelques lignes évoquant la certitude qu'il a de sa mission : « J'ai reconnu que Dieu voulait que je le servisse en procurant l'accomplissement de ses désirs touchant la dévotion qu'Il a suggérée à une personne à qui Il se communique fort confidentiellement et pour laquelle Il a bien voulu se servir de ma faiblesse ».
Nous sommes parfois tentés de considérer ce mystère d'amour comme un fait admirable du passé, comme une belle spiritualité d'autrefois. Or nous devons toujours nous rappeler, comme le disait un saint missionnaire (saint Daniel Comboni), que « ce cœur divin, qui a supporté d'être transpercé par une lance ennemie afin de répandre, par cette ouverture sacrée, les sacrements par lesquels l'Église a été formée, n'a jamais cessé d'aimer ». D'autres saints plus récents, comme saint Pio de Pietrelcina, sainte Teresa de Calcutta et bien d'autres, parlent avec profonde dévotion du Cœur du Christ.
Et je voudrais aussi rappeler les expériences de sainte Faustine Kowalska qui propose à nouveau la dévotion au Cœur du Christ en mettant fortement l'accent sur la vie glorieuse du Ressuscité et sur la miséricorde divine. À la suite de quoi, motivé par ces expériences de cette sainte et puisant dans l'héritage spirituel de l'évêque saint Józef Sebastian Pleczar (1842-1924), saint Jean-Paul II rattache étroitement sa réflexion sur la miséricorde à la dévotion au Cœur du Christ : « L'Église semble professer et vénérer d'une manière particulière la miséricorde de Dieu quand elle s'adresse au cœur du Christ. En effet, nous approcher du Christ dans le mystère de son cœur nous permet de nous arrêter sur ce point […] de la révélation de l'amour miséricordieux du Père, qui a constitué le contenu central de la mission messianique du Fils de l'homme ». (Lettre enc. Dives in Misericordia, 30 novembre 1980, n. 13.) Le même saint Jean-Paul II, se référant au Sacré-Cœur, reconnaît de façon très personnelle : « Il m'a parlé dès mon plus jeune âge » (Catéchèse, 20 juin 1979.)
L'actualité de la dévotion au Cœur du Christ est manifeste en particulier dans l'œuvre évangélisatrice et éducative de nombreuses congrégations religieuses féminines et masculines qui ont été marquées, dès leurs origines, par cette expérience spirituelle christologique. Les citer toutes serait une tâche interminable. Voici seulement deux exemples pris au hasard : « Le Fondateur [saint Daniele Comboni] trouva dans le mystère du Cœur de Jésus la force de son engagement missionnaire ». « Poussées par l'amour du Cœur de Jésus, nous cherchons à faire grandir les personnes dans leur dignité humaine, comme fils et filles de Dieu, à partir de l'Évangile et de ses exigences d'amour, de pardon, de justice et de solidarité avec les pauvres et les marginalisés ». De même, les sanctuaires consacrés au Cœur du Christ, répandus dans le monde entier, sont une source attirante de spiritualité et de ferveur. À tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, se rendent en ces lieux de foi et de charité, j'adresse ma bénédiction paternelle.
La blessure du côté d'où jaillit l'eau vive est encore ouverte chez le Christ ressuscité. Cette large blessure faite par la lance, ainsi que les blessures de la couronne d'épines qui apparaissent souvent dans les représentations du Sacré-Cœur, sont inséparables de cette dévotion. Nous contemplons en elles l'amour de Jésus-Christ qui fut capable de se donner jusqu'au bout. Le cœur du Ressuscité conserve ces signes du don total qui entraîna une intense souffrance pour nous. Il est donc en quelque sorte inévitable que le croyant veuille réagir non seulement à ce grand amour, mais aussi à la douleur que le Christ a accepté d'endurer pour tant d'amour.
Il vaut la peine de mentionner cette expression de l'expérience spirituelle qui s'est développée autour du Cœur du Christ : le désir intérieur de Le consoler. Je n'aborderai pas ici la pratique de la "réparation" que je considère mieux placée dans le contexte de la dimension sociale de cette dévotion et que je développerai dans le chapitre suivant. Pour l'instant, je voudrais seulement me concentrer sur ce désir qui apparaît souvent dans le cœur du croyant amoureux lorsqu'il contemple le mystère de la Passion du Christ et qu'il la vit comme un mystère, non pas seulement rappelé mais, par grâce rendu présent, ou mieux, nous rendant mystiquement présents à ce moment rédempteur. Comment ne pas vouloir consoler le Bien-aimé, s'Il est le plus important ?
Le Pape Pie XI a voulu justifier cela en nous invitant à reconnaître que le mystère de la Rédemption par la Passion du Christ transcende, par la grâce de Dieu, toutes les distances de temps et d'espace. S'Il s'est donné sur la croix pour les péchés à venir, les nôtres ; de la même manière nos actes offerts aujourd'hui pour sa consolation parviennent, par-delà le temps, jusqu'à son cœur blessé : « Si, à cause de nos péchés futurs, mais prévus, l'âme du Christ devint triste jusqu'à la mort, elle a, sans nul doute, recueilli quelque consolation, prévue elle aussi, de nos actes de réparation, alors qu'un ange venant du ciel (Lc 22, 43) lui apparut, pour consoler son cœur accablé de dégoût et d'angoisse. Ainsi donc, ce cœur sacré incessamment blessé par les péchés d'hommes ingrats, nous pouvons maintenant, et même nous devons, le consoler d'une manière mystérieuse, mais réelle ». (Lettre enc. Miserentissimus Redemptor, 8 mai 1928.)
Je demande donc que personne ne se moque des expressions de ferveur croyante du peuple saint et fidèle de Dieu qui, dans sa piété populaire, cherche à consoler le Christ. Et j'invite chacun à se demander s'il n'y a pas davantage de rationalité, de vérité et de sagesse dans certaines manifestations de cet amour qui cherche à consoler le Seigneur que dans les froids, distants, calculés et minuscules actes d'amour dont nous sommes capables, nous qui prétendons posséder une foi plus réfléchie, plus cultivée, et plus mature.
Nous sommes consolés dans cette contemplation du Cœur du Christ donné jusqu'au bout…. Et notre souffrance s'unit à celle du Christ sur la croix car affirmer que la grâce nous permet de surmonter toutes les distances c'est affirmer aussi que le Christ, lorsqu'il souffrait, s'unissait aux souffrances de ses disciples tout au long de l'histoire. Ainsi, lorsque nous souffrons, nous pouvons éprouver la consolation intérieure de savoir que le Christ lui-même souffre avec nous. Désireux de le consoler, nous en sortons consolés.
Mais à un moment donné de cette contemplation du cœur croyant, l'appel dramatique du Seigneur doit retentir : « Consolez, consolez mon peuple » (Is 40, 1). Et nous viennent à l'esprit les paroles de saint Paul qui nous rappelle que Dieu nous console « afin que, par la consolation que nous-mêmes recevons de Dieu, nous puissions consoler les autres en quelque tribulation que ce soit » (2 Co 1, 4).
Cela nous invite à chercher à approfondir la dimension communautaire, sociale et missionnaire de toute dévotion authentique au Cœur du Christ. En même temps que le Cœur du Christ nous conduit au Père, il nous envoie vers nos frères. Dans les fruits de service, de fraternité et de mission que le Cœur du Christ produit à travers nous, la volonté du Père s'accomplit. De la sorte, le cercle se referme : « C'est la gloire de mon Père que vous portiez beaucoup de fruit » (Jn 15, 8).
Dans les expériences spirituelles de sainte Marguerite-Marie, à côté de l'ardente déclaration d'amour de Jésus-Christ, il y a aussi une résonance intérieure qui nous appelle à donner notre vie. Se savoir aimé et mettre toute sa confiance en cet amour, ce n'est pas annuler nos capacités de don de soi, ce n'est pas renoncer au désir irrépressible de donner quelque réponse à partir de nos capacités, petites et limitées.
Dans la deuxième grande manifestation à sainte Marguerite-Marie, Jésus exprime sa douleur parce que son grand amour pour les hommes ne reçoit en retour que « des ingratitudes et méconnaissances », « des froideurs et du rebut », « ce qui – dit le Seigneur – m'est beaucoup plus sensible que tout ce que j'ai souffert en ma Passion ».
Jésus parle de sa soif d'être aimé, Il nous montre que son Cœur n'est pas indifférent à la manière dont nous réagissons à son désir : « J'ai soif, mais d'une soif si ardente d'être aimé des hommes au Saint Sacrement, que cette soif me consomme ; et je ne trouve personne qui s'efforce, selon mon désir, pour me désaltérer en rendant quelque retour à mon amour ».
La demande de Jésus est l'amour. Lorsque le cœur croyant le découvre, la réponse qui jaillit spontanément n'est pas une pesante quête de sacrifices ni le simple accomplissement d'un devoir pénible, mais elle concerne l'amour : « Je reçus de mon Dieu des grâces excessives de son amour, et me sentis touchée du désir de quelque retour, et de lui rendre amour pour amour ». (sainte Marguerite-Marie Alacoque, Autobiographie.) Léon XIII enseigne cela lorsqu'il écrit que, par l'image du Sacré-Cœur, la charité du Christ « nous pousse à l'aimer en retour ».
Nous devons revenir à la Parole de Dieu pour reconnaître que la meilleure réponse à l'amour de son cœur est l'amour pour nos frères. Il n'y a pas d'acte plus grand que nous puissions offrir pour Lui rendre amour pour amour. La Parole de Dieu le dit avec une totale clarté :
« Dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait » (Mt 25, 40).
Toute la Loi trouve sa plénitude dans un seul précepte : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Ga 5, 14).
« Celui qui n'aime pas son frère, qu'il voit, ne saurait aimer Dieu qu'il ne voit pas » (1 Jn 4, 20).
L'amour pour les frères ne se fabrique pas, il n'est pas le résultat de notre effort naturel mais il exige une transformation de notre cœur égoïste. C'est alors que surgit spontanément la célèbre supplique : "Jésus, rends notre cœur semblable au tien". C'est pour cette même raison que l'invitation de saint Paul n'est pas : "Efforcez-vous de faire de bonnes œuvres". Son invitation est plus précisément : « Ayez entre vous les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus » (Ph 2, 5).
S'identifiant aux derniers de la société (cf. Mt 25, 31-46) « Jésus a apporté la grande nouveauté de la reconnaissance de la dignité de toute personne, aussi et surtout de ces personnes qualifiées d'"indignes". Ce principe nouveau dans l'histoire de l'humanité, selon lequel les êtres humains sont d'autant plus "dignes" de respect et d'amour qu'ils sont plus faibles, plus misérables et plus souffrants – jusqu'à perdre leur "figure" humaine –, a changé la face du monde en donnant naissance à des institutions qui s'occupent des personnes en situation défavorisée : bébés abandonnés, orphelins, personnes âgées laissées seules, malades mentaux, personnes atteintes de maladies incurables ou de graves malformations, personnes vivant dans la rue ».
Regarder la blessure du cœur du Seigneur qui « a pris nos infirmités et s'est chargé de nos maladies » (Mt 8, 17) nous aide à être plus attentifs aux souffrances et aux besoins des autres, nous rend assez forts pour participer à son œuvre de libération en tant qu'instruments de diffusion de son amour. Lorsque nous contemplons le don du Christ pour chacun, nous nous demandons inévitablement pourquoi nous ne sommes pas capables de donner notre vie pour les autres « À ceci nous avons connu l'Amour : celui-là a donné sa vie pour nous. Et nous devons, nous aussi, donner notre vie pour nos frères » ( 1 Jn 3, 16).
Sœurs et frères, je propose que nous développions cette forme de réparation qui consiste, en définitive, à offrir au Cœur du Christ une nouvelle possibilité de répandre en ce monde les flammes de son ardente tendresse. S'il est vrai que la réparation implique le désir de compenser les outrages commis contre l'Amour incréé par les oublis ou les offenses, le chemin le plus approprié est que notre amour donne au Seigneur une possibilité de s'étendre en échange de toutes ces fois où il a été rejeté ou nié. Cela se produit en allant au-delà de la simple "consolation" au Christ dont nous avons parlé dans le chapitre précédent, et se traduit par des actes d'amour fraternel par lesquels nous guérissons les blessures de l'Église et du monde. De cette manière, nous offrons de nouvelles expressions de la puissance restauratrice du Cœur du Christ.
Les renoncements et les souffrances qu'exigent ces actes d'amour pour le prochain nous unissent à la Passion du Christ et, en souffrant avec le Christ en « cette crucifixion mystique dont parle l'Apôtre, nous recevrons les fruits plus abondants de propitiation et d'expiation, pour nous et pour les autres ». Seul le Christ nous sauve par le don de Lui-même sur la Croix, seul il rachète car « Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même, qui s'est livré en rançon pour tous » (1 Tm 2, 5-6). La réparation que nous offrons est une participation que nous acceptons librement à son amour rédempteur et à son unique sacrifice. Ainsi, nous complétons dans notre chair « ce qui manque aux épreuves du Christ pour son Corps qui est l'Église » (Col 1, 24) et c'est le Christ lui-même qui prolonge à travers nous les effets de son don total d'amour.
Les souffrances sont souvent liées à notre ego blessé, mais c'est précisément l'humilité du Cœur du Christ qui nous montre le chemin de l'abaissement. Dieu a voulu venir à nous en s'humiliant, en se faisant petit. L'Ancien Testament nous l'enseigne à travers diverses métaphores montrant un Dieu qui entre dans la petitesse de l'histoire et se laisse rejeter par son peuple. Son amour se mêle à la vie quotidienne du peuple aimé et devient le mendiant d'une réponse, comme s'il demandait la permission de montrer sa gloire. D'autre part, « peut-être une seule fois Notre Seigneur Jésus a-t-il parlé de son cœur. C'était pour mettre en évidence sa douceur et son humilité, comme s'il signifiait que c'est seulement de cette manière qu'il veut conquérir l'homme ». Lorsque le Christ dit : « Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur » ( Mt 11, 29), il nous indique que « pour s'exprimer, il a besoin de notre petitesse, de notre abaissement ».
Il est important de noter, dans ce que nous avons dit, plusieurs aspects inséparables. En effet, ces actes d'amour du prochain, avec les renoncements, les abnégations, les souffrances et les peines qu'ils comportent, remplissent cette fonction réparatrice lorsqu'ils sont nourris par la charité du Christ qui nous rend capables d'aimer comme Il a aimé. Et c'est de cette manière qu'Il aime et sert à travers nous.
Si, d'un côté, il semble s'abaisser, s'humilier parce qu'Il a voulu montrer son amour à travers nos gestes, d'un autre côté son cœur est glorifié et manifeste toute sa grandeur dans les œuvres de miséricorde les plus simples. Un cœur humain qui fait place à l'amour du Christ par une confiance totale, et qui Lui permet de se déployer dans sa vie par son feu, devient capable d'aimer les autres comme Lui, en se faisant petit et proche de tous. C'est ainsi que le Christ se désaltère et répand glorieusement en nous et à travers nous les flammes de sa tendresse brûlante. Remarquons la belle harmonie de tout cela.
Enfin, pour comprendre cette dévotion dans toute sa richesse, il faut ajouter, en reprenant ce que nous avons dit sur sa dimension trinitaire, que la réparation au Christ en tant qu'être humain est offerte au Père par l'action de l'Esprit Saint en nous. Notre réparation au Cœur du Christ s'adresse donc en définitive au Père qui se réjouit de nous voir unis au Christ lorsque nous nous offrons par Lui, avec Lui et en Lui.
Quel culte serait rendu au Christ si nous nous contentions d'une relation individuelle, sans nous intéresser à aider les autres à moins souffrir et à mieux vivre ? Peut-on plaire au Cœur qui a tant aimé en restant dans une expérience religieuse intime, sans conséquences fraternelles et sociales ?
Soyons honnêtes et lisons la Parole de Dieu dans son intégralité. Cependant, et pour cette même raison, il ne s'agit pas non plus d'œuvrer à une promotion sociale dépourvue de sens religieux qui, en fin de compte, voudrait donner à l'homme moins que ce que Dieu veut pour lui. C'est pourquoi nous devons conclure ce chapitre en rappelant la dimension missionnaire de notre amour pour le Cœur du Christ.
Saint Jean-Paul II, outre la dimension sociale de la dévotion au Cœur du Christ, a parlé de la « réparation qui est une coopération apostolique pour le salut du monde ». De même, la consécration au Cœur du Christ « doit être envisagée en relation avec l'action missionnaire de l'Église, parce qu'elle répond au désir du Cœur de Jésus de répandre dans le monde, à travers les membres de son Corps, son dévouement total au Royaume ». Par conséquent, à travers les chrétiens, « l'amour se répandra dans le cœur des hommes, pour que se construise le Corps du Christ qui est l'Église et que s'édifie aussi une société de justice, de paix et de fraternité ».
La mission, comprise dans la perspective du rayonnement de l'amour du Cœur du Christ, a besoin de missionnaires amoureux, toujours captivés par le Christ et qui transmettent inlassablement cet amour qui a changé leur vie… Parler du Christ, par le témoignage ou la parole, de telle manière que les autres n'aient pas à faire un grand effort pour l'aimer, voilà le plus grand désir d'un missionnaire de l'âme.
Le Christ te demande, sans négliger la prudence et le respect, de ne pas avoir honte de reconnaître ton amitié pour Lui. Il te demande d'oser dire aux autres qu'il est bon pour toi de L'avoir rencontré : « Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, moi aussi je me déclarerai pour lui devant mon Père qui est dans les cieux » (Mt 10, 32). Mais ce n'est pas une obligation pour le cœur aimant, c'est un besoin difficile à contenir : « Malheur à moi si je n'annonçais pas l'Évangile ! » (1 Co 9, 16). « C'était en mon cœur comme un feu dévorant, enfermé dans mes os. Je m'épuisais à le contenir, mais je n'ai pas pu » (Jr 20, 9).
Aujourd'hui, tout s'achète et se paie, et il semble que le sens même de la dignité dépende de ce que l'on peut obtenir par le pouvoir de l'argent. Nous sommes pressés d'accumuler, de consommer et de nous distraire, prisonniers d'un système dégradant qui ne nous permet pas de voir au-delà de nos besoins immédiats et mesquins.
L'amour du Christ est en dehors de cet engrenage pervers et Lui seul peut nous libérer de cette fièvre où il n'y a plus de place pour un amour gratuit. Il est en mesure de donner du cœur à cette terre et de réinventer l'amour, là où nous pensons que la capacité d'aimer est définitivement morte.
Je prie le Seigneur Jésus-Christ que jaillissent pour nous tous de son saint Cœur ces fleuves d'eau vive qui guérissent les blessures que nous nous infligeons, qui renforcent notre capacité d'aimer et de servir, qui nous poussent à apprendre à marcher ensemble vers un monde juste, solidaire et fraternel.
Et ce, jusqu'à ce que nous célébrions ensemble, dans la joie, le banquet du Royaume céleste. Le Christ ressuscité sera là, harmonisant nos différences par la lumière jaillissant inlassablement de son Cœur ouvert. Qu'il soit béni !
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 24 octobre 2024, en la douzième année de mon Pontificat.
François