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Canonisation de Louis et Zélie Martin, parents de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus

le dimanche, 01 mars 2015. Dans Saints & Bienheureux

Un modèle pour tous les couples de la terre

Louis et Zélie Martin

Louis Martin (1823-1894) et Zélie Guérin (1831-1877)

 

Le 18 mars 2015, le Pape François reconnaissait comme authentique le miracle attribué à l’intercession des Bienheureux Louis Martin et Zélie Guérin — les parents de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus — signant ainsi le décret de canonisation. Selon le cardinal Angelo Amato, préfet de la Congrégation pour les Causes des Saints, cette canonisation devrait avoir lieu à Rome en octobre 2015, à l’occasion du Synode sur la famille. Ils deviennent ainsi les premiers époux et parents de toute l’histoire de l’Église à être canonisés.

L’un comme l’autre avaient pensé à s’engager dans la vie religieuse avant de se marier. Ils ont donné naissance à neuf enfants, dont quatre sont morts en bas âge. Les cinq filles qui ont survécu sont toutes devenues religieuses, dont quatre au Carmel de Lisieux. La dernière, Thérèse, a été canonisée en 1925 et proclamée docteur de l’Église en 1997. Le procès en béatification des quatre autres filles Martin est en cours.

Pietro SchiliròLe 26 mars 1994, le pape Jean-Paul II signait les décrets d’héroïcité des vertus de Louis et Zélie Martin et les proclamait tous deux vénérables. Le 17 janvier 2008, la commission médicale de la Congrégation pour les Causes des Saints déclarait inexplicable pour la science la guérison du jeune Pietro Schilirò, de Monza, en Italie. Né le 25 mai 2002, Pietro était atteint, peu après sa naissance, de graves problèmes respiratoires. La guérison imprévue survenue le 29 juin 2002, après une neuvaine de prières, est attribuée à l’intercession des vénérables Serviteurs de Dieu Louis et Zélie Martin.

Le 3 juillet 2008, le Pape Benoît XVI approuvait le miracle de la guérison de Pietro, permettant leur béatification, et déclarait le 12 juillet date de leur fête au calendrier liturgique. (Louis et Zélie Martin se sont mariés à minuit dans la nuit du 12 au 13 juillet 1858 à Alençon.) Louis et Zélie Martin ont été officiellement proclamés bienheureux, à Lisieux, le dimanche 19 octobre 2008. Dans son homélie, le Cardinal José Saraiva Martins, précisait le motif de leur béatification:

«Parmi les vocations auxquelles les hommes sont appelés par la Providence, le mariage est l’une des plus nobles et des plus élevées. Louis et Zélie ont compris qu’ils pouvaient se

Carmen et ses parents avec Mgr Jacques HabertCarmen et ses parents avec Mgr Jacques Habert, évêque de Sées (diocèse dont fait partie Alençon), à Valence, en mai 2013.

sanctifier non pas malgré le mariage mais à travers, dans et par le mariage, et que leurs épousailles devaient être considérées comme le point de départ d’une montée à deux. Aujourd’hui, l’Église reconnaît dans ce couple la sainteté éminente de l’institution de l’amour conjugal, telle que l’a conçue le Créateur Lui-même.»

Le miracle reconnu en mars 2015 pour la canonisation concerne la guérison inexplicable d’une enfant espagnole, Carmen, actuellement âgée de quatre ans et habitant dans le diocèse de Valence, en Espagne. Née prématurément et atteinte de multiples complications dont une hémorragie cérébrale très grave, elle n’aurait pas dû pouvoir survivre. L’équipe médicale qui la suivait a toutefois dû constater non seulement une amélioration spectaculaire mais l’absence totale désormais de séquelles après que ses parents – conseillés par des amis car ils ne connaissaient pas la vie des époux Martin – aient demandé dans la prière et par «leur intercession», le rétablissement de leur fille.

En déclarant saints Louis et Zélie Martin, l’Église offre à tous les couples de la terre un modèle montrant que le mariage et la vie de famille forment un chemin de sainteté aussi efficace que celui de la vie religieuse.

L’abbaye Saint-Joseph de Clairval (www.clairval.com), située au diocèse de Dijon, en France, publie chaque mois une lettre portant sur la vie de saints ou bienheureux. En septembre 1999, elle publie la lettre suivante sur les futurs saints, Louis et Zélie Martin (reproduite avec permission):

 

«Le Bon Dieu m’a donné un père et une mère plus dignes du Ciel que de la terre»
– Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus
Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus

 

par Dom Antoine-Marie, o.s.b.

Oui, la civilisation de l’amour est possible, ce n’est pas une utopie! Mais elle n’est possible que si l’on se tourne constamment avec ardeur vers Dieu, Père de notre Seigneur Jésus-Christ, de qui provient toute paternité dans le monde (Ep 3, 14-15), de qui provient toute famille humaine» (Jean-Paul II, Lettre aux Familles, 2 février 1994, n. 15). C’est, en effet, dans la famille que naît et se développe la civilisation de l’amour.

Or, «depuis quelques temps se répètent les attaques contre l’institution familiale. Il s’agit d’atteintes d’autant plus dangereuses et insidieuses qu’elles méconnaissent la valeur irremplaçable de la famille fondée sur le mariage» (Jean-Paul II, 4 juin 1999). Mais «il n’est pas sans importance pour les enfants de naître et d’être éduqués dans un foyer constitué par des parents unis dans une alliance fidèle» (Id.). Le mariage est cette alliance par laquelle «un homme et une femme constituent entre eux une communauté de toute la vie, ordonnée par son caractère naturel au bien des conjoints ainsi qu’à la génération et à l’éducation des enfants» (Code de Droit Canonique, c. 1055, § 1). Le respect d’une telle union est «d’une extrême importance pour le progrès personnel et le sort éternel de chacun des membres de la famille, pour la dignité, la stabilité, la paix et la prospérité de la société humaine tout entière» (Vatican II, Gaudium et spes, 48). C’est pourquoi l’Église défend fortement l’identité du mariage et de la famille. Dans ce but, elle propose l’exemple des «époux charitables que furent Louis et Zélie Martin, parents de sainte Thérèse de Lisieux», dont le Pape Jean-Paul II a reconnu l’héroïcité des vertus, le 26 mars 1994.

«C’est parce que je crois!»

La vie à la maison à AlençonLa vie à la maison à Alençon avec les cinq filles: on y respecte le dimanche, la «fête de Dieu».

Louis Martin est né à Bordeaux, le 22 août 1823, second d’une famille de cinq enfants. Son père, officier de carrière, est alors en Espagne. La petite enfance des enfants Martin est ballottée au gré des garnisons de leur père: Bordeaux, Avignon, Strasbourg. Au moment de sa mise à la retraite, en décembre 1830, le Capitaine Martin s’établit à Alençon, en Normandie. C’est un officier d’une piété exemplaire. L’aumônier du régiment lui ayant jadis représenté qu’on s’étonnait parmi la troupe de le voir, au cours de la Messe, demeurer si longtemps à genoux après la consécration, il avait répondu sans sourciller: «Dites-leur que c’est parce que je crois!» Louis reçoit en famille, puis chez les Frères des Écoles Chrétiennes, une éducation religieuse très forte. Il ne choisit pas le métier des armes selon la tradition de sa famille, mais celui d’horloger, qui convient mieux à sa nature méditative et silencieuse, et à sa grande habileté manuelle. Il effectue son apprentissage d’abord à Rennes, puis à Strasbourg.

Au seuil de l’automne 1845, Louis prend la décision de se donner tout entier à Dieu. Il se rend à l’Hospice du Grand-Saint-Bernard, au cœur des Alpes, où des chanoines se vouent à la prière et au sauvetage des voyageurs perdus en montagne. Il se présente au Prieur qui l’invite à retourner chez lui pour compléter ses études de latin avant une éventuelle entrée au Noviciat. Après une tentative infructueuse pour se mettre tardivement à l’étude, Louis, non sans regret, renonce à son projet. Pour parfaire son apprentissage, il se rend à Paris. Il revient ensuite s’installer à Alençon, et y habite avec ses parents, menant une vie très réglée, qui fait dire à ses amis: «Louis, c’est un saint».

Pris entre ses occupations diverses, Louis ne cherche pas à se marier. Sa mère s’en désole, mais, à l’école dentellière, où elle suit des cours, elle remarque une jeune fille, habile et de bonnes manières. Ne serait-ce pas la «perle» qu’elle désire pour son fils? Cette jeune fille est Zélie Guérin, née à Gandelain, dans l’Orne (Normandie), le 23 décembre 1831, deuxième de trois enfants. Son père et sa mère sont de familles profondément chrétiennes. En septembre 1844, ils s’installent à Alençon, où les deux filles aînées reçoivent une formation soignée au pensionnat des Religieuses du Sacré-Cœur de Picpus.

Zélie pense à la vie religieuse, tout comme son aînée qui deviendra Sœur Marie-Dosithée à la Visitation du Mans. Mais la Supérieure des Filles de la Charité, à qui Zélie demande son admission, lui répond sans hésiter que telle n’est pas la volonté divine. Devant une affirmation si catégorique, la jeune fille s’incline, non sans tristesse. Dans un bel optimisme surnaturel, elle s’écrie: «Mon Dieu, j’entrerai dans l’état de mariage pour accomplir votre volonté sainte. Alors, je vous en prie, donnez-moi beaucoup d’enfants, et qu’ils vous soient consacrés». Zélie entre alors dans une école dentellière pour se perfectionner dans la confection de Point d’Alençon, technique de dentelle particulièrement réputée. Le 8 décembre 1851, fête de l’Immaculée Conception, elle reçoit une inspiration: «Fais faire du Point d’Alençon». Dès lors, elle s’installe à son compte.

Un jour, croisant un jeune homme dont la noble physionomie, l’allure réservée et la tenue pleine de dignité l’impressionnent fortement, Zélie perçoit une parole intérieure: «C’est celui-là que j’ai préparé pour toi». L’identité du passant, Louis Martin, lui est bientôt révélée. Les deux jeunes gens ne tardent pas à s’apprécier et à s’aimer. Leur accord s’établit si promptement qu’ils se marient le 13 juillet 1858, trois mois après leur première rencontre. Louis et son épouse se proposent de vivre comme frère et sœur, suivant l’exemple de saint Joseph et de la Vierge Marie. Dix mois de vie commune dans une totale continence leur permettent de fondre ensemble leurs âmes dans une intense communion spirituelle. Mais une prudente intervention de leur confesseur et le désir de donner des enfants au Seigneur, les décident à interrompre cette sainte expérience. Zélie écrira à sa fille Pauline: «Pour moi, je désirais avoir beaucoup d’enfants, afin de les élever pour le Ciel». En moins de treize ans, ils auront neuf enfants. Leur amour sera beau et fécond.

Aux antipodes

«Un amour qui n’est pas “beau”, c’est-à-dire un amour réduit à la seule satisfaction de la concupiscence, ou à un “usage” mutuel de l’homme et de la femme, rend les personnes esclaves de leurs faiblesses» (Jean-Paul II, Lettre aux familles, 13). Dans cette perspective, les personnes sont utilisées comme des choses: la femme peut devenir pour l’homme un objet de plaisir, et réciproquement; les enfants, une gêne pour les parents; la famille, une institution encombrante pour la liberté de ses membres. On se trouve alors aux antipodes du véritable amour. «En ne cherchant que le plaisir, on peut en venir à tuer l’amour, à en tuer le fruit, dit le Pape. Pour la culture du plaisir, le fruit béni de ton sein (Lc 1, 42) devient en un sens un “fruit maudit”», c’est-à-dire indésirable, que l’on veut supprimer par l’avortement. Cette culture de mort s’oppose à la loi divine: «La Loi de Dieu à l’égard de la vie humaine est sans équivoque et catégorique. Dieu ordonne: Tu ne tueras pas (Ex 20, 13). Aucun législateur humain ne peut donc affirmer: Il t’est permis de tuer, tu as le droit de tuer, tu devrais tuer» (Ibid., 21).

«Toutefois, ajoute le Pape, on voit se développer, surtout parmi les jeunes, une nouvelle conscience du respect de la vie depuis la conception... C’est un levain d’espérance pour l’avenir de la famille et de l’humanité» (Ibid.). En effet, dans le nouveau-né se réalise le bien commun de la famille et de l’humanité. Les parents Martin expérimentent cette vérité à travers l’accueil de leurs nombreux enfants: «Nous ne vivions plus que pour nos enfants, c’était tout notre bonheur et nous ne l’avons trouvé qu’en eux», écrira Zélie. Leur vie conjugale ne va cependant pas sans épreuves. Trois enfants meurent en bas âge, dont les deux garçons. Puis c’est le décès brusque de Marie-Hélène, à 5 ans et demi. Prières, pèlerinages se succèdent au milieu des angoisses, spécialement en 1873, durant la grave maladie de Thérèse et la typhoïde de Marie. La confiance de Zélie dans les plus grandes inquiétudes est fortifiée par le spectacle de la foi de son époux, en particulier de son exacte observance du repos du dimanche: jamais, Louis n’ouvre son magasin le dimanche. C’est la “fête du Bon Dieu” qu’on célèbre en famille, d’abord par les Offices paroissiaux, puis par de grandes promenades. On emmène les enfants aux fêtes d’Alençon, jalonnées de cavalcades et de feux d’artifices.

L’éducation des enfants est à la fois joyeuse, tendre et exigeante. Dès l’éveil des intelligences, Madame Martin leur apprend l’offrande matinale du cœur au Bon Dieu, l’acceptation toute simple des difficultés quotidiennes «pour faire plaisir à Jésus». Marque indélébile qui sera la base de la «petite voie» enseignée par leur benjamine: la future sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. «Le foyer est ainsi la première école de vie chrétienne», comme l’enseigne le Catéchisme de l’Église Catholique (n. 1657). Louis seconde son épouse dans sa tâche auprès des enfants: il se met en route dès 4 heures du matin, à la recherche d’une nourrice pour un de ses derniers-nés, malade; il accompagne sa femme à dix kilomètres d’Alençon par une nuit glacée au chevet de leur premier fils, Joseph; il fait le garde-malade auprès de son aînée, Marie, atteinte de la fièvre typhoïde, à l’âge de 13 ans.

Le grand reliquaire de Louis et Zélie MartinLe grand reliquaire de Louis et Zélie Martin Zélie écrira à sa fille Pauline: «Pour moi, je désirais avoir beaucoup d’enfants, afin de les élever pour le Ciel».

 

Le dynamisme que donne l’amour

Très dynamique, Louis Martin n’est pas le «doux rêveur» qu’on a parfois décrit. Pour aider Zélie, débordée par le succès de son entreprise de dentelles, il abandonne l’horlogerie. La dentelle se travaille par pièces de 15 à 20 centimètres. On y emploie des fils de lin de très haute qualité et d’une finesse extrême. La «trace» une fois exécutée, le «morceau» passe de main en main suivant le nombre de points qu’il comporte – il en existe neuf, qui constituent autant de spécialités. Il faut ensuite procéder à l’assemblage: labeur délicat mené à l’aide d’aiguilles et de fils de plus en plus ténus. Zélie réalise elle-même l’invisible raccord des pièces que lui apportent des dentellières travaillant à domicile. Cependant, il faut trouver des débouchés. Louis excelle dans cette partie commerciale et augmente considérablement les bénéfices de l’entreprise. Mais il sait aussi trouver le temps de se détendre et d’aller à la pêche.

Avec cela, les époux Martin font partie de plusieurs associations de piété: Tiers-Ordre de Saint-François, adoration nocturne, etc. Ils puisent leur force dans l’observance amoureuse des prescriptions et des conseils de l’Église: jeûnes, abstinences, Messe quotidienne, confession fréquente. «Les forces divines sont beaucoup plus puissantes que vos difficultés! écrit le Pape Jean-Paul II aux familles. L’efficacité du sacrement de la Réconciliation est immensément plus grande que le mal agissant dans le monde... Incomparablement plus grande est surtout la puissance de l’Eucharistie... Dans ce sacrement, c’est lui-même que le Christ nous a laissé comme nourriture et comme boisson, comme source de puissance salvifique... La vie qui vient de lui est pour vous, chers époux, parents et familles! N’a-t-il pas institué l’Eucharistie dans un contexte familial, au cours de la dernière Cène?... Les paroles prononcées alors gardent toute la puissance et toute la sagesse du sacrifice de la Croix» (Ibid., 18).

Des fruits durables

À la source eucharistique, Zélie puise une énergie au-dessus de la moyenne des femmes, et son époux, une tendresse au-dessus de la moyenne des hommes. Louis gère les finances. Il acquiesce de bon gré aux demandes de son épouse: «Pour la retraite de Marie à la Visitation, écrit Zélie à Pauline, tu sais comme papa aime peu à se séparer de vous et il avait d’abord formellement dit qu’elle n’irait pas... Hier soir, Marie se lamentait à ce propos; je lui ai dit: “Laisse-moi faire, j’arrive toujours à ce que je veux et sans combat; il y a encore un mois d’ici là; c’est assez pour décider ton père dix fois.” Je ne me trompais pas, car à peine une heure après, lorsqu’il est entré, il s’est mis à parler très amicalement à ta sœur (Marie)... “Bon, me dis-je, voilà le moment!” Et j’ai insinué l’affaire. “Tu désires donc beaucoup faire cette retraite?” dit son père à Marie: “Oui, papa. – Eh bien, vas-y!” Je trouve que j’avais une bonne raison de vouloir que Marie aille à la retraite. Il est vrai que c’est une dépense, mais l’argent n’est rien quand il s’agit de la sanctification d’une âme; et l’année dernière, Marie m’est revenue toute transformée. Les fruits durent encore; cependant il est temps qu’elle renouvelle sa provision».

Les retraites spirituelles produisent des fruits de conversion et de sanctification, car sous l’effet de leur dynamisme, l’âme, docile aux illuminations et aux mouvements de l’Esprit-Saint, se purifie toujours plus des péchés, pratique les vertus, imitant Jésus-Christ modèle absolu, pour arriver à une union plus intime avec lui. C’est pourquoi, le Pape Paul VI a pu dire: «La fidélité aux exercices annuels en milieu préservé assure le progrès de l’âme». Parmi toutes les méthodes d’exercices spirituels, «il en est une, qui a remporté l’approbation entière et répétée du Siège Apostolique... la méthode de saint Ignace de Loyola, de celui qu’il Nous plaît d’appeler Maître spécialisé dans les exercices spirituels» (Pie XI, Encyclique Mens Nostra).

La vie profondément chrétienne des parents Martin s’ouvre naturellement à la charité envers le prochain: aumônes discrètes aux familles nécessiteuses, auxquelles les filles sont associées selon leur âge, assistance aux malades. Ils n’ont pas peur de se battre en justice pour soutenir des opprimés. De même, ils font ensemble les démarches nécessaires pour l’entrée d’un indigent à l’hospice, alors que celui-ci n’y a pas droit, n’étant pas assez âgé. Ces services dépassent les limites de la paroisse et manifestent un grand esprit missionnaire: larges offrandes annuelles à la Propagation de la Foi, participation à l’édification d’une église au Canada, etc.

Mais le bonheur familial intense des Martin ne devait pas durer très longtemps. Dès 1865, Zélie remarque la présence d’une tumeur à son sein, apparue après une chute sur l’angle d’un meuble. Son frère, pharmacien, et son mari n’y accordent pas une grande importance. Fin 1876, le mal se réveille et le diagnostic est formel: «tumeur fibreuse inopérable» parce que trop avancée. Vaillamment, Zélie fait face jusqu’au bout. Consciente du vide que laissera sa disparition, elle demande à sa belle-sœur, Madame Guérin, d’aider son mari pour l’éducation des plus jeunes après sa mort.

Madame Martin meurt le 28 août 1877. Pour Louis, âgé de 54 ans, c’est un effondrement, une plaie profonde qui ne se refermera qu’au Ciel. Mais il accepte tout, avec un esprit de foi exemplaire et la conviction que sa «sainte épouse» est au Ciel. Il complétera la tâche commencée dans l’harmonie d’un amour sans faille: l’éducation des cinq filles. Pour cela, écrit Thérèse, «le cœur si tendre de papa avait joint à l’amour qu’il possédait déjà un amour vraiment maternel». Madame Guérin s’offre à aider la famille Martin et invite son beau-frère à transplanter son foyer à Lisieux. La pharmacie de son mari sera pour les petites orphelines une seconde maison, et l’intimité qui unit les deux familles ne fera que grandir, dans les mêmes traditions de simplicité, de labeur et de droiture. Malgré les souvenirs et les amitiés fidèles qui pourraient le retenir à Alençon, Louis se résout au sacrifice et déménage à Lisieux.

Un grand honneur

Thérèse demande à som père la permission d’entrer au CarmelThérèse demande à son père la permission d’entrer au Carmel à 15 ans.

La vie aux «Buissonnets», la nouvelle maison de Lisieux, est plus austère et retirée qu’à Alençon. La famille entretient peu de relations, et cultive le souvenir de celle que Monsieur Martin désigne toujours à ses enfants comme «votre sainte maman». Les plus jeunes filles sont confiées aux Bénédictines de Notre-Dame du Pré. Mais Louis sait leur ménager des distractions: séances théâtrales, voyages à Trouville, séjour à Paris, etc., recherchant à travers toutes les réalités de la vie, la gloire de Dieu et la sanctification des âmes.

Sa sainteté personnelle se révèle surtout dans l’offrande de toutes ses filles, puis de lui-même. Zélie prévoyait déjà la vocation de ses deux aînées: Pauline entre au Carmel de Lisieux en octobre 1882, et Marie en octobre 1886. En même temps Léonie, enfant de caractère difficile, inaugure une série d’essais infructueux d’abord chez les Clarisses, puis à la Visitation, où après deux échecs elle finira par entrer définitivement, en 1899. Thérèse, la benjamine, la «petite Reine», va surmonter tous les obstacles pour entrer au Carmel à 15 ans, en avril 1888. Deux mois plus tard, le 15 juin, Céline dévoile à son père qu’elle aussi se sent appelée à la vie religieuse. Devant ce nouveau sacrifice, la réaction de Louis Martin est splendide: «Viens, allons ensemble devant le Saint-Sacrement remercier le Seigneur qui me fait l’honneur de prendre tous mes enfants».

À l’exemple de M. Martin, les parents doivent accueillir les vocations comme un don de Dieu: «Vous, parents, rendez grâces au Seigneur s’il a appelé l’un de vos enfants à la vie consacrée, écrit le Pape Jean-Paul II. Comme cela a toujours été, il faut se sentir très honoré que le Seigneur porte son regard sur une famille et choisisse l’un de ses membres pour l’inviter à prendre la voie des conseils évangéliques. Gardez le désir de donner au Seigneur l’un de vos enfants pour la croissance de l’amour de Dieu dans le monde. Quel fruit de l’amour conjugal pourrait être plus beau que celui-là?» (Exhortation apostolique Vita consecrata, 25 mars 1996, n. 107).

La vocation est avant tout une initiative divine. Mais une éducation chrétienne favorise la réponse généreuse à l’appel de Dieu: «C’est au sein de la famille que les parents sont par la parole et par l’exemple, pour leurs enfants, les premiers hérauts de la foi, au service de la vocation propre de chacun et tout spécialement de la vocation sacrée» (CEC, 1656). Aussi, «si les parents ne vivent pas les valeurs évangéliques, le jeune garçon et la jeune fille pourront difficilement entendre l’appel, comprendre la nécessité des sacrifices à consentir ou apprécier la beauté du but à atteindre. C’est en effet dans la famille que les jeunes font la première expérience des valeurs évangéliques, de l’amour qui se donne à Dieu et aux autres. Il faut aussi qu’ils soient formés à l’usage responsable de leur liberté, afin d’être prêts à vivre, selon leur vocation, les plus hautes réalités spirituelles» (Vita consecrata, ibid.).

«Je suis trop heureux»

Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face témoignera de la manière dont son père vivait concrètement l’Évangile: «Ce que surtout j’avais remarqué, c’était les progrès que papa faisait dans la perfection; à l’exemple de saint François de Sales, il était parvenu à se rendre maître de sa vivacité naturelle au point qu’il paraissait avoir la nature la plus douce du monde. Les choses de la terre semblaient à peine l’effleurer, il prenait facilement le dessus des contrariétés de cette vie». En mai 1888, Louis revoit les étapes de sa vie, au cours d’une visite dans l’église où avait été célébré son mariage. Il raconte ensuite à ses filles: «Mes enfants, je reviens d’Alençon, où j’ai reçu dans l’église Notre-Dame de si grandes grâces, de telles consolations, que j’ai fait cette prière: Mon Dieu, c’en est trop! oui, je suis trop heureux, il n’est pas possible d’aller au Ciel comme cela, je veux souffrir quelque chose pour vous! Et je me suis offert...» Le mot «victime» expire sur ses lèvres, il n’ose pas le prononcer, mais ses filles ont compris.

Dieu ne tarde pas à exaucer son serviteur. Le 23 juin 1888, affligé de poussées d’artériosclérose qui l’affectent dans ses facultés mentales, Louis Martin disparaît de son domicile. Après bien des angoisses, on le retrouve au Havre, le 27. C’est le début d’une lente et inexorable déchéance physique. Peu après la prise d’habit de Thérèse, où il se montre «si beau, si digne», il est victime d’une crise de délire qui nécessite son internement à l’hôpital du Bon-Sauveur de Caen: situation humiliante qu’il accepte avec une foi extraordinaire. Quand il peut s’exprimer, il répète: «Tout pour la plus grande gloire de Dieu», ou encore: «Je n’avais jamais eu d’humiliation dans ma vie, il m’en fallait une». Lorsque ses jambes sont atteintes de paralysie, en mai 1892, on le ramène à Lisieux. «Au revoir, au Ciel!» peut-il juste dire à ses filles, lors de sa dernière visite au Carmel. Il s’éteint doucement à la suite d’une crise cardiaque, le 29 juillet 1894, assisté par Céline qui a différé son entrée au Carmel pour s’occuper de lui.

Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face pourra dire: «Le bon Dieu m’a donné un père et une mère plus dignes du Ciel que de la terre». Puissions-nous, en suivant leur exemple, parvenir à la Demeure éternelle que la sainte de Lisieux appelle «le foyer Paternel des Cieux».

Dom Antoine Marie o.s.b., abbé

Les cinq filles de Louis et Zélie Martin

Les cinq filles de Louis et Zélie Martin, toutes devenues religieuses: de gauche à droite, rangée du haut: Céline, Pauline, Léonie (dans le médaillon); rangée du bas: Mère Marie de Gonzague (supérieure), Marie et Thérèse. Photo prise au Carmel de Lisieux en novembre 1894.

Les enfants de Louis et Zélie Martin

De 1860 à 1873, Louis et Zélie Martin ont neuf enfants (sept filles et deux garçons) dont quatre meurent en bas âge. Les cinq autres enfants, toutes des filles, deviendront religieuses:

Marie, née le 22 février 1860, en religion sœur Marie du Sacré-Cœur, carmélite à Lisieux le 15 octobre 1886. Décède le 19 janvier 1940 à 80 ans.

Pauline, née le 7 septembre 1861, en religion mère Agnès de Jésus, carmélite à Lisieux le 2 octobre 1882. Décède le 28 juillet 1951 à l'âge de 90 ans.

Léonie, née le 3 juin 1863, en religion sœur Françoise-Thérèse; elle est la seule des cinq sœurs qui ne soit pas devenue carmélite. Elle entre trois fois en religion avant de finalement rejoindre le monastère des Visitandines de Caen le 28 janvier 1899. Décédée le 16 juin 1941, à l'âge de 78 ans.

Céline, née le 28 avril 1869, en religion sœur Geneviève de la Sainte-Face, carmélite à Lisieux le 14 septembre 1894. Décède le 25 février 1959 à l'âge de 89 ans.

Thérèse, née le 2 janvier 1873, en religion sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte-Face, carmélite à Lisieux le 9 avril 1888, décède le 30 septembre 1897 à l'âge de 24 ans. Canonisée le 17 mai en 1925, et proclamée docteur de l'Église le 19 octobre 1997.

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