Jean a faim. Et Jean sait dire qu'il a faim !
— Maman, si l'on se mettait à table ?
— Non, mon petit Jean, il faut attendre.
— Mais, j'ai faim, maman.
— Moi aussi, mon enfant. Et ton père aussi a faim. Mais impossible de manger encore.
— Comment, impossible ? La table n'est-elle pas prête ? Est-ce que ce n'est pas pour nous toutes ces choses-là, maman ?
— C'est pour nous. Oh ! oui, c'est pour nous.
— Alors, appelons papa.
— Oh ! mais non, Jean. Si tu l'appelles ; nous ne mangerons jamais.
— Comment ça, maman ? Il n'y a qu'à se mettre à table.
Mais, mon Jean, nous n'avons pas encore la permission. Il faut attendre la permission. Et ton père cherche justement la permission.
Où est-elle, la permission, maman ?
— Elle est sous terre, mais on ne sait pas où. Et ton père cherche. S'il la trouve, nous mangerons. S'il prend du temps à la trouver, nous souffrirons. S'il ne la trouve point, nous mourrons.
Maman, je n'y comprends rien.
Non, parce que tu n'as pas encore fait tes grandes études. Mais c'est comme cela. Ton père cherche de l'or dans la terre. Tant que l'or ne sort pas de la terre, les hommes n'ont pas le droit de manger.
Qui est-ce qui a fait ce règlement-là, maman ?
— Je ne sais pas, Jean. Mais ce que je sais, c'est qu'il faut suivre ce règlement comme un commandement de Dieu.
* *
Cela s'appelle l'étalon-or. Pas d'or, par d'argent. Pas d'argent, pas d'achat. Pas d'achat, pas de vente. Pas de vente, pas de production. Pas de production, chômage et misère.
Exception : La guerre.
Dès que vient la guerre, on met le non-sens financier de côté. Or ou pas or, argent ou pas argent, il faut des canons, des avions, des corvettes, des chars d'assaut, des bombes.
Or, tous ces jolis objets se font avec du matériel et du travail, pas avec des piastres, pas avec de l'or.
Quand vient la guerre, on envoie les règlements de l'or au diable, parce qu'il faut tuer, et au plus vite.
Mais quand revient la paix, on rétablit les règlements de l'or, parce qu'il faut remettre le monde en pénitence, et au plus vite.
C'est pourquoi on continue de conserver sous bonne garde les briques d'or précieusement enfouies sous le fort Knox, en Kentucky.
C'est pourquoi on maintient les mines d'or, malgré les hommes qu'elle enlève à la production plus nécessaire.
C'est pourquoi les projets de stabilisation monétaire d'après‑guerre, montés par les financiers internationaux, comportent une réhabilitation de l'or.
Comme ni Jean, ni sa mère, ni son père, ni vous, ni moi, ne sommes dans les conseils des financiers internationaux, nous aurons à choisir entre nous organiser pour nous moquer de leurs règlements ou crever de faim.