Un pont de la province de Québec. À l'entrée du pont, une petite cabane. À la porte de la petite cabane, un homme.
Bien en vue, une indication : Toll Bridge — Pont de péage.
L'automobiliste qui vient pour trayerser le pont s'arrête, sort son porte-monnaie, et se prépare à payer. Mais, le fonctionnaire de lui dire : "Passez tout droit, monsieur, on ne paye plus".
Autrefois, le fonctionnaire se tenait au pont pour percevoir de l'argent. Alors, l'indication : Pont de péage avait sa raison d'être. Même, on ne l'aurait oubliée pour rien au monde, car aucune précaution n'est inutile lorsqu'il s'agit de mettre de l'argent dans la poche du banquier ou du gouvernement. Même, au pont, on avait toute une organisation de téléphone et de motocyclettes avec polices, pour arrêter ceux qui auraient osé passer le pont sans payer.
Aujourd'hui, la même organisation de fonctionnaires persiste. Les motocyclettes sont là, la police aussi. Le percepteur lui-même n'a pas bougé de son siège, avec la petite-différence qu'autrefois il se tenait debout pour "collecter" et qu'aujourd'hui, il reste bien assis pour dire qu'on ne paye pas.
—Mais, êtes-vous bien sérieux, le rôle de cet homme ne consisterait qu'à démentir l'affiche "Pont de péage" ? Vous vous trompez, il doit se tenir à son poste pour rendre service aux voyageurs.
—Rendre service, que voulez-vous dire ?
—Par exemple, s'il arrive un accident sur le pont, si quelqu'un tombe à l'eau, le fonctionnaire de la cabane est tout indiqué pour aller au secours de la victime.
—Demandez donc au fonctionnaire de la cabane s'il a, dans sa cabane, une ceinture de sauvetage. Demandez-lui s'il a à sa disposition une chaloupe pour sauver un naufragé.
Sur un ancien pont de péage du Saguenay, où l'an dernier, l'on ramassait les quarante sous avec beaucoup de zèle, un accident d'automobile s'est produit cette semaine, à onze heures du soir. Un automobile à l'eau. Cinq hommes qui criaient au secours. La lumière de la cabane était éteinte (rationnement ?). Le gardien du pont dormait. Pas de câble, encore moins de ceinture de sauvetage, pas de chaloupe non plus. Des passants furent obligés d'aller chercher ces choses.
Les gendarmes appelés vinrent avec leur calepin pour prendre des notes, comme d'habitude.
Pour tirer des piastres, système parfait. Pour servir le public, rien du tout.
L'argent d'abord, l'homme ensuite. Comment voulez-vous que cette doctrine qui est celle de nos gouvernements ne soit pas celle des fonctionnaires au service des gouvernements ?
Il y a tellement de choses à l'envers dans nos institutions politiques, que c'est à se demander si ceux qui nous mènent sont des fous ou des criminels. À moins qu'ils soient les deux à la fois.
