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Politique d'écurie

Louis Even le lundi, 15 mars 1943. Dans Éditorial

Trois chevaux dans mon écurie. Je les nourris, je les fais tra­vailler.

C'est moi qui décide quelle sera la ration de foin ou d'avoine du Roux, du Noir, de la Grise. Moi aussi qui décrète les heures du collier. Et les trois bêtes n'ont qu'à obéir.

Je fais les plans, je fais les calculs : elles en sont incapables elles-mêmes, ce sont des bêtes.

Avec un peu d'intelligence et de bonne volonté, qui ne peut apprendre à conduire une écurie ?

Combien de politiciens, d'hommes d'État  —  de moralistes mêmes  —  ne pensent qu'en termes d'écurie !

Ils se croient bons conducteurs d'hommes, lorsqu'ils sont d'habiles palefreniers.

S'il y a eu désordre et souffrance dans le passé, pensent-ils, c'est parce qu'on n'a pas su joindre les hommes et les colliers, parce qu'on n'a pas su atteler chaque numéro humain pour lui donner droit à son picotin d'avoine.

Et de grands esprits se reconnaissent la mission d'élaborer de vastes plans.

Nos politiciens de carrière, qui ont piteusement échoué dans la conduite d'hommes libres, reprennent un courage nouveau avec la formule nouvelle : Changer l'homme en bête. Le reste de­vient un jeu : l'atteler, le dételer, le maintenir en rendement.

Après dix années d'inertie stupide dans la nuit noire de la crise, nos chers hommes d'État ont enfin trouvé la lumière ! Trois années de guerre, confessent-ils, leur ont appris qu'il y a moyen d'enrégimenter les hommes, de les tenir occupés et de leur ra­tionner leur foin quotidien.

Comme le langage conserve encore des reliques de dignité, on ne crie pas : Chaque bête au collier ! On adopte l'expression : L'embauchage intégral. On ne dit pas : Assurance d'une place au râtelier  —  mais : Plan de sécurité sociale.

Et demain se prépare. L'entreprise privée est déclarée en faillite, puisque les banques et le gouvernement l'ont étranglée. Donc, place au régime nouveau : la bureaucratie nationale, cal­quée sur la gérance d'une écurie  —  enregistrement national, ser­vice sélectif, embauchage par l'État, rationnement général.

C'est l'ordre nouveau, messieurs. L'économie dirigée, l'éco­nomie plannifiée. Applaudissez, badauds qui avez toujours soute­nu que l'homme ne mérite pas sa liberté, qu'il manque de pain à cause de sa paresse et de ses péchés. Votre homme ne péchera plus : il est changé en bête.

Louis Even

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