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Le patronage politique

Louis Even le dimanche, 15 mars 1942. Dans Éditorial

Il n'est pas besoin de définir ce qu'on entend par patronage politique. Cette fleur de la démocratie est cultivée depuis long­temps dans la province de Québec. Elle brillait déjà du temps de Chapleau. Pacaud la fit prospérer sous l'administration d'Hono­ré Mercier, à tel point que le scandale de la Baie des Chaleurs, ajouté à d'autres, fut la cause directe de la chute du grand pa­triote que la province avait porté aux nues.

On a perfectionné les méthodes depuis. Le scandale n'existe plus. C'est la règle du jeu : Ton tour hier, le mien aujourd'hui. Sans le patronage, la politique perdrait sa saveur et ses fervents.

La technique du patronage s'est démocratisée. Il ne se con­fine plus au graissage de quelques ministres et de leurs hauts chargés d'affaires. Le patronage reste hiérarchisé : aux gros, les gros morceaux. Mais il a tout un réseau de ramifications qui, si ténues soient-elles, ont la vertu d'attacher des partisans et d'as­surer des votes jusque dans les couches sociales les moins for­tunées.

Le parti qui voudrait ignorer le patronage serait gauche, idiot et tomberait en miettes. L'art de se servir du patronage fait la force d'un parti et l'ancre au pouvoir.

Il faut toutefois y mettre de l'habileté. Le cynisme ne pla­cerait pas son auteur sur l'autel, pas même sur l'autel souillé de la politique. On aime une apparence de vertu.

Le parti qui vient de prendre les rênes doit déclarer que son prédécesseur a dilapidé les fonds de la province en multipliant les fonctionnaires inutiles. Puis un grand coup de balai — au nom de l'économie. De préférence à la veille des fêtes de l'an, pour que les hommes remerciés soi-disant pour les deniers du fisc, en réalité pour leur couleur inacceptable, sentent vivement ce qu'il en cuit de ne pas être du bon côté.

Le gouvernement proclame alors à toute la province qu'il a assaini l'administration et mérité les hommages des électeurs. Puis, tout doucement, sans bruit, d'une lune à l'autre, on remplit les trous, on loge des amis, on fait avancer d'un cran ceux qui vivent d'espoir. La hiérarchie a tout : des contrats plantureux, des sous-contrats, des fonctions de contremaîtres, des griffon­niers de paperasses dans les bureaux, des jobs sur la voirie — et des promesses de jobs.

L'électeur paie tout cela, mais il ne s'en inquiète pas. Et pourquoi s'en inquiéter ? Même s'il n'est que payant aujour­d'hui, ça peut changer de bord ; il aura alors une chance d'être le moineau qui picore dans le champ et se moquera à son tour de ceux qui font carême sur la branche.

On joue franc jeu. Lorsque le gardien vigilant est rouge, le patronage est rouge, et gais, gais, les moineaux rouges ! Avec un matou bleu, le cheval devient bleu, et gais, gais les moineaux bleus ! Quant au crottin, il garde le même goût et la même vertu.

Louis Even

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