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Le jeu des contraires

Louis Even le mercredi, 01 avril 1942. Dans Éditorial

En politique, tout le monde l'admet au moins en théorie, c'est le bien commun qui doit régler tous les actes.

Dans notre démocratie parlementaire, on a une curieuse de manière de poursuivre le bien commun. On attelle les forces de telle sorte qu'un groupe tire vers l'orient pendant que l'autre groupe tire vers l'occident ; si le premier vire au septentrion, le second cherche le midi.

On va au bien commun par le jeu des contraires. Aussi ça marche !

Parlez d'une démocratie sans partis, on vous pense sorti de la lune. L'Évangile, il est vrai, nous rappelle une chose fort sim­ple : Une maison divisée contre elle-même ne saurait subsister. Mais l'Évangile ? Gâte-t-on la politique avec des bouquins de sa­cristie ?

Donc, il faut des partis. Et deux partis, c'est l'idéal, car il est alors possible de prendre deux directions exactement contrai­res. Un nouveau parti renferme toujours un élément de danger : il est à craindre qu'il fasse tomber l'esprit des contraires, et alors finies les belles joutes qui amusent le peuple pendant qu'on le dépouille.

Un parti, c'est en substance un groupe de cabaleurs adroits qui savent flairer les sources de corruption financière d'une part, et d'autre part cajoler vertueusement les électeurs, afin d'ob­tenir le pouvoir.

Et le pouvoir, c'est pour le bien commun.

À droite, on clame : Placez les rouges à la tête du pays, le bien commun l'exige.

À gauche, on crie : Placez les bleus à la tête du pays, le bien commun l'exige.

Pauvre bien commun ! Comment va-t-il subsister ?

Le parti a une tête. On l'appelle chef. Puis le parti a aussi un bras vigoureux : on l'appelle whip. Le mot est intraduisible, mais comme il signifie fouet, il faut croire que le membre du par­ti qui ne marche pas droit se fait terriblement fouetter.

C'est pourquoi sans doute on n'en voit pas beaucoup aller de travers.

Au grand bureau des délibérations nationales, ou provincia­les, qu'on appelle Chambre des députés, le whip est chargé de conduire, non pas la pensée, mais le vote. Le vote, c'est ce qui compte en démocratie.

Et ça compte par le nombre. Aussi, lorsqu'il s'agit de pren­dre un vote, les whips agitent leur clochette pour appeler tous les partisans, même ceux qui, au lieu de suivre la délibération, sont allés se distraire dans les corridors, ou ailleurs. On leur dit com­ment voter, et ça suffit.

D'un côté : Votez pour — en vertu du bien commun.

De l'autre côté : Votez contre — en vertu du bien commun. À droite : Applaudissez. À gauche : Huez.

Aussi, pour ne pas briser la bonne démocratie, a-t-on soin de ne jamais introduire de questions si simples, si conformes à l'ap­pel général que la division serait impossible. Ce que tout le mon­de réclame ne sera jamais mis au vote ! : l'union se ferait, le peu­ple serait servi, mais les lignes de partis crouleraient.

Il y a bien certaines occasions où l'entente se fait momenta­nément — par exemple, pour une participation du Canada à une guerre extérieure. Mais le danger n'est pas grand : d'abord la décision ne nuira en rien au pouvoir invisible ; à la dictature fi­nancière, bien au contraire. Puis la division renaîtra immanqua­blement dès qu'il sera question de la conduite de la guerre.

Parions aussi qu'on aurait l'entente si l'on demandait aux députés de sacrifier leur indemnité parlemerdaire : un NON una­nime !

Mais là, il ne serait plus question du bien commun, ce serait le bien "particulier des députés.

C'est lorsqu'il s'agit du bien commun seulement qu'il faut maintenir le jeu des contraires.

Pauvre peuple !

Louis Even

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