EnglishEspañolPolskie

Le capital étranger

Louis Even le vendredi, 15 mai 1942. Dans Éditorial

Parler de capital étranger, c'est parler d'un rédempteur. Per­sonne ne s'arrête à analyser de quoi ce phénomène peut bien être fait, mais tout le monde soupire après sa venue.

Il y a bien mon voisin Maurice, modeste salarié qui se permet parfois des syllogismes sans avoir étudié la philosophie. "Capital étranger, dit-il, ça n'est ni attrayant ni canadien. Capital égale maître ; donc capital étranger égale maître étranger."

Mais Maurice est hanté par le patriotisme, il oublie que l'ar­gent est roi universel, qu'à l'argent il faut tout immoler, que les autres cultes sont pour les enfants d'école. L'argent n'a ni couleur ni patrie ; or l'argent est rare chez nous, donc vive le capital étran­ger qui nous honore de ses visites et de son séjour !

Nos gouvernants qui possèdent les secrets de la situation ne manquent aucune occasion d'inviter le capital étranger et de lui promettre le meilleur accueil.

De grands panneaux aux abords de certaines villes, invitent le capital étranger : des sites intéressants lui sont offerts, des pou­voirs d'eau formidables l'attendent, une main-d'œuvre ouvrière incomparable lui est assurée.

Les administrations de nos villes promettent des réductions substantielles de taxes au capital étranger qui voudra bien venir mettre en branle les énergies qui foisonnent mais n'ont pas le droit de bouger sans lui.

Et un bon jour, le capital étranger daigne s'installer sur un coin de terre canadien. Le bûcheron va au bois ; l'ouvrier descend dans un trou de mine ou s'enferme dans une usine où le bruit des machines s'accorde avec la poussière du matériel ; la fumée, par­fois aussi les tenaces parfums de l'acide sulfhydrique, sortent de cheminées qui luttent de hauteur avec le clocher de la paroisse.

Tout était mort et morne hier ; tout est, vie et joie aujourd'hui. Le capital étranger a opéré le miracle.

Mais qu'est-ce donc que ce merveilleux capital étranger ?

Demandez-le à l'homme en salopettes qui rentre le vendredi soir avec son enveloppe de paye. Ouvrez l'enveloppe : les rectan­gles de papier imprimé si recherchés, ou un chèque transformable en rectangles de papier imprimé.

Ces rectangles donnent simplement droit à l'ouvrier de se pro­curer la nourriture qui sort des fermes voisines. Et les fermiers voisins pourront à leur tour tirer sur la production de chaussures, de vêtements, de peinture, des villes.

L'animation économique est entrée dans la place avec la dif­fusion des rectangles de papier ; et ces rectangles de papier sont devenus possibles parce qu'un monsieur étranger est venu avec un compte dans un livre de banque.

Pas un monsieur avec des bras pour travailler ; cela s'appelle­rait un ouvrier étranger, et on n'en veut pas, on a déjà trop de ceux de chez nous. Mais un monsieur avec un compte, parce que le compte est la chose rare, la chose qui manque.

C'est pourtant difficile de faire des bras pour travailler, et c'est extrêmement facile d'écrire un compte dans un livre. Mais si le monsieur étranger ne vient pas avec un compte tout fait, pas une autorité au pays, paraît-il, ne pourra innover le compte qui ferait tant de bien. Le bûcheron et l'ouvrier resteront chez eux, on ne tirera pas la nourriture de la terre, on laissera dépérir toute une population.

Tout de même, que ferait-on si un immense tremblement de terre engloutissait tous les pays sauf le nôtre ?

Les fondateurs du Canada ont-ils attendu le capital étranger pour bûcher la forêt et bâtir le pays ? S'ils revenaient, que di­raient-ils de nous ?

Louis Even

Poster un commentaire

Vous êtes indentifier en tant qu'invité.

Panier

Dernière parution

Infolettre & Magazine

Sujets

Faire un don

Faire un don

Aller au haut
JSN Boot template designed by JoomlaShine.com