Cet homme a les yeux dans un télescope. Le télescope est un instrument pour observer les objets éloignés. Observation qui peut être très utile. Mais on plaindrait l'homme tellement soudé à son télescope qu'il ne verrait plus rien à deux pas de lui.
Il y en a plus qu'on pense, de ces hommes à télescope, qui fouillent les horizons lointains et semblent tout ignorer dans l'horizon immédiat.
C'est le cas de ce cher monsieur qui cherche, au-delà des océans, des misères à soulager. Où quelques billets sortis de son portefeuille gonflé feraient-ils du bien? Et le voilà triomphant, comme un astronome qui fait une découverte, lorsqu'au bout de son télescope il voit, tendus et suppliants, des bras chinois, des bras russes, des bras polonais, et quelle autre constellation encore!
Le brave homme n'oublie qu'une chose: la misère des familles canadiennes tout à côté de lui.
Mais la misère canadienne, c'est un simple fait courant. La soulager ne signifierait qu'un geste sans éclat.
Comme les hommes à télescope sont souvent aussi des hommes à trompette, leur préférence est acquise aux aides-à-l'étranger, bien claironnées, accompagnées de discours de hauts personnages à la radio, et assez modernes pour aligner les noms des bienfaiteurs dans les colonnes des journaux.
L'homme au télescope éprouve ainsi une double satisfaction: soulager le prochain, même si ce prochain n'est pas proche du tout; puis se faire une renommée à la mesure des piastres accollées à son nom dans les organes de publicité.
Mais que pense de tout cela la famille qui souffre dans la rue voisine?
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Il est une autre sorte d'hommes à télescope, non plus dans le champ de la philanthropie, mais dans celui de l'économique. Ce sont ceux qui scrutent tous les pays du monde, excepté le leur, pour y trouver un débouché aux produits de leur pays.
La production canadienne est énorme; les besoins canadiens, béants. Mais il faut des marchés étrangers, sinon toute la production nationale va à l'eau.
Cette fois, les gouvernements s'en mêlent., Politiciens et économistes à télescopes cherchent où est l'argent, et ils doivent chercher bien loin.
Pas un d'eux ne semble songer que le marché domestique devrait être le premier servi, et qu'il ne le sera bien que si les besoins domestiques sont d'abord comblés.
Mais il faudrait pour cela entreprendre une opération, assez simple en elle-même. Ils préfèrent ne point l'entreprendre, craignant de risquer une position dans laquelle ils ont le privilège de se servir du télescope.
Dieu merci, il y a encore des observateurs qui se passent du télescope. Munis de bons yeux normaux, d'un bon jugement normal, et mus par un coeur bien canadien, ils ont décidé qu'il y a quelque chose à faire autour d'eux, dans leur propre pays, en Nouvelle-France. Et ils le feront.