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Fleurs de civilisation

Louis Even le vendredi, 15 janvier 1943. Dans Éditorial

La scène se passe à Loretteville, durant la grande vague de froid de la mi-décembre.

Plus de 30 degrés sous zéro. Une petite fille, mal protégée con­tre les morsures du froid, court dans la rue, un bout de papier à la main.

Elle va au bureau de la Saint-Vincent-de-Paul. Le bout de papier, c'est la formule identificatrice qui lui permettra d'obtenir un peu de bois que ses parents ne peuvent payer.

Au foyer, pour lequel elle quête du bois, le père est malade et au lit. Douze enfants grelottent, la plupart en bas âge. Pas de feu dans la maison.

Elle court, la petite messagère. Elle court, parce qu'elle a froid et parce que, dans la maison où il fait si froid, on a hâte d'allumer un peu de feu.

Personne ne prend la rue pour rien par de telles températures. La fillette n'a pas pris la rue pour rien.

Mais ces deux gros agents de police, bien chaudement habillés, pourquoi donc ont-ils pris la rue, eux ?

Notre Commissaire du Crédit Social, qui, lui, affronte le froid pour la cause, prend la peine de se renseigner. Il vient d'apprendre pourquoi la petite Canadienne court si vite, avec un bout de papier en main. Il veut maintenant savoir pourquoi les deux agents de police sont là, dans un village si tranquille, lorsque tout le monde se presse autour du feu.

Les deux agents de police font simplement la chasse aux jeu­nes gens qui ne répondent pas assez vite à l'avis de mobilisation. Pourquoi, aussi, des jeunes se font-ils tirer l'oreille pour aller défendre une civilisation tellement raffinée qu'elle oublie qu'il y a du bois dans les forêts canadiennes pour réchauffer les membres des petits enfants du Canada ?

Il y a du bois dans les forêts, et il y a des bras pour l'abattre et le transporter. Mais le bois fait par le bon Dieu reste dans les forêts et la souffrance ronge les petits corps innocents, lorsque l'argent fait par les hommes n'est pas là pour payer.

Pour envoyer des jeunes gens tuer ou se faire tuer, l'argent est toujours là. Pour ramasser les jeunes trop peu empressés à obéir aux décrets d'un gouvernement qui les ignorait totalement avant la guerre, l'argent est encore là. Pourquoi donc y en a-t-il eu si peu pour placer les richesses du pays à la portée des hommes, des femmes et des enfants du pays?

Dans quinze ans, peut-être, d'autres agents de police viendront chercher violemment ces petits qui souffrent aujourd'hui dans la cabane du pauvre de Loretteville, pour les pousser à leur tour à la défense d'un pays où il ferait si bon vivre s'il n'était soumis à un régime financier aussi bête que barbare.

Et cela se passe à six milles de la capitale de la Nouvelle-France !

Louis Even

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