Les routes sont ouvertes. La saison du tourisme est arrivée. On la salue au Canada. On s'y est préparé pendant de nombreuses semaines.
Pourquoi aime-t-on ça, recevoir des touristes étrangers ? Qu'est-ce donc qui nous fait désirer "un flot de visiteurs" ?
Est-ce parce qu'ils viennent nous aider à travailler ? Parce qu'ils viennent donner un coup de main aux cultivateurs pour traire les vaches, labourer, faire les foins ? Est-ce parce qu'ils viennent augmenter le nombre des maçons, des charpentiers, pour construire des maisons pour les familles canadiennes ? Est-ce parce qu'ils viennent faire leur part pour la réfection et l'entretien des routes ?
Rien de tout cela. Bien au contraire : si l'étranger qui se présente offre ses forces, son habileté, on le repousse impitoyablement.
Ce ne sont pas des bras qu'on veut. Ce qu'on veut, ce sont des estomacs, alliés avec une poche bien garnie d'argent.
Ce sont des consommateurs solvables qui manquent au Canada. Mais plutôt que de rendre les consommateurs canadiens solvables en leur passant quelques bouts de papier canadiens, on préfère se mettre en quatre pour attirer des consommateurs étrangers qui, eux, ont l'avantage d'avoir les bouts de papier.
Et que de respect pour le gros monsieur américain qui entre au Canada pour ne rien faire, pour se distraire, pour se délecter de nos richesses et de nos paysages ! Plus il en prend, plus on l'aime. La moindre impertinence à son égard, le moindre manque de courtoisie sera taxé de péché national : il a l'argent ! Le voisin, lui, le Canadien qui travaille de l'aube à la nuit, vous pouvez le manger, l'exploiter, l'insulter... et le prêcher par-dessus le marché.
Ce qui n'empêche pas M. Louis-Philippe Robidoux d'écrire dans sa "Tribune" du 24 février.
"Nos frontières ne sont, en fait, fermées qu'aux indésirables et qu'aux agents de discorde ; tous les gens honnêtes sont bienvenus au Canada."
En quoi consiste l'honnêteté ? L'homme qui porte ses outils de travail et sa boîte de dîner n'est pas honnête ? S'il est une place où l'argent tient lieu de diplôme, de certificat de vertu, n'est-ce pas à la frontière ? — Soit dit sans détriment pour les nombreuses officines intérieures où le même sauf-conduit ouvre bien des portes.
Ce désordre — car c'en est un — décalque sur les jugements ou au moins les entortille. Un journaliste du "Devoir" écrivait récemment que, pour attirer les touristes américains, il faut conserver notre caractère canadien-français. Beau mobile... celui d'un cirque. Mais il est vrai, pour d'autres raisons, qu'il faut conserver notre culture, notre visage canadien-français. C'est pour nous y aider, sans doute, qu'on invite cette invasion de touristes des deux sexes. N'ont-ils pas l'habitude de semer des exemples de modestie, de sobriété, de respect du dimanche, dans nos villes, dans nos villages, sur nos plages ?
Chut ! on a besoin de leur argent, n'en dites donc que du bien !... Exactement le même sentiment qui prosterne le Canadien sans le sou devant le plus dégoûtant distributeur de patronage !
Peuple d'esclaves, qui doit nourrir, et nourrir bien, les étrangers pour avoir lui-même le droit de vivre dans son propre pays !
Tout de même, l'industrie du tourisme nous aura appris une chose : que seul l'argent manque au Canada.