La sagesse a-t-elle déserté la terre ?
Il n'y a pas si longtemps, des montagnes de nourriture se dressaient en face de foules affamées. Que trouvait-on de mieux à faire ? Détruire la nourriture.
Il n'y a pas si longtemps, des bras libres en grand nombre s'offraient au travail ; des maçons, des charpentiers, des peintres, sans emploi à cœur d'année ; du bois plein les forêts, des pierres plein les carrières, des briqueteries oisives. En face de ces hommes prêts à construire, en face de ce matériel pour faire de bonnes et grandes maisons, des foules vivotaient à l'étroit dans des taudis et des fonds de cour ? Que trouvait-on de mieux à faire ? Laisser les chantiers du bâtiment déserts et les ouvriers du bâtiment dans le chômage.
Puis la guerre est venue. Le monde s'est mis en mouvement. Les gouvernants, les parlements, qui avaient l'habitude de discuter et de ne rien faire, se sont mis à bouger comme des fous.
Lorsqu'il fallait vivre, inertie. Lorsqu'on a décidé de tuer, branle-bas général.
On n'avait pas su dire : Le monde a faim, il y a du pain, que le monde mange. On n'avait pas su dire : Le monde est mal logé, il y a des hommes et du matériel, bâtissons des maisons.
Par contre, on n'a pas hésité à dire : Il faut tuer, faisons des engins pour semer la mort. Il nous faut des avions et des bombes, des bateaux et des torpilles, des chars d'assaut, des canons et des obus ; nous avons des hommes et du matériel, faisons des avions et des bombes, des bateaux et des torpilles, des chars d'assaut, des canons et des obus.
Pour tout cela, il faut des milliards. Faisons des milliards pour remplir les cimetières.
Et les hommes ont fait les milliards, et ils ont fait les choses terribles qui remplissent les cimetières. Mais, ils sont tellement occupés avec les choses terribles qui remplissent les cimetières, qu'ils ne peuvent pas maintenant faire les bonnes choses qu'ils n'ont pas voulu faire avant la guerre.
Où loger les hommes et les femmes qui travaillent pour fournir des engins de mort aux artisans de la mort ? Construire, c'est trop tard, il n'y a plus de bras.
Tassons les vivants dans les maisons, comme nous tassons les morts dans les cimetières.
Ce coin de maison, où jouait bébé, mettons-y une famille. Ce haut inachevé, parquons-y des travailleurs et des travailleuses. Ce lit, où dorment la nuit deux travailleurs de jour, où dorment le jour deux travailleurs de nuit, n'y pourrait-on pas coller trois personnes ?
À l'œuvre, fonctionnaires. Mesurez la largeur de ce matelas : 48 pouces. Mesurez la largeur des épaules des types qu'il faut coucher : 18 pouces. Faites la division : quotient, 2 et 2/3. Ils se coucheront sur le côté. O. K. ça va. Trois hommes là-dedans, en vertu du décret fédéral No 43499-X.
Beau grand Canada, il n'y a pas de place, entre tes deux océans pour loger convenablement tes fils et tes filles. Faudra-t-il entreprendre une guerre pour l'espace vital ?