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"Vers Demain" subversif ?

Maître J.-Ernest Grégoire le mardi, 15 juillet 1941. Dans La politique

À l'occasion de certaines arrestations opérées à Québec en rapport avec la loi des mesures de guerre, on lisait dans les journaux des phrases comme celles-ci :

"Le prévenu appartient à l'organisation du Crédit Social".

"La gendarmerie royale a saisi chez le prévenu une liste de souscriptions au journal VERS DEMAIN."

Pourquoi chercher ainsi à lier les actes reprochés aux personnes arrêtées avec leur participation plus ou moins active au mouvement du Crédit Social ?

Pourquoi n'avoir pas écrit aussi bien :

"Le prévenu appartient à la religion catholique."

"La gendarmerie royale a trouvé chez le prévenu un missel et un vespéral romains... une liste des prêtres et religieux de sa paroisse."

On nous rapporte même, sans que nous ayons pu le vérifier, que la "Gazette" aurait écrit :

"une liste de souscriptions au journal subversif, VERS DEMAIN."

* * *

Ce dernier texte serait simplement un libelle. Un journal serait-il subversif parce qu'il réclame que l'argent soit au service de l'homme ? Parce qu'il demande à ses lecteurs d'étudier la chose publique ? Parce qu'il rappelle que les gouvernements doivent poursuivre comme objectif le bien commun de la multitude formant la société ?

Dans ce cas, c'est la doctrine sociale de l'Église catholique qu'il faudrait condamner comme subversive, C'est tout un chapitre de l'encyclique Quadragesimo Anno auquel il faudrait interdire le droit à la circulation.

Nous ne croyons pas à cette intention de la part des responsables de la rédaction des nouvelles. Ils reçoivent simplement des rapports et les publient sans plus en scruter la composition. La perfidie — car perfidie il y a — est commise sans doute en dehors des salles de rédaction et compte sur l'inadvertance de journalistes pressés d'ouvrage.

Mais, pour l'honneur de nos lecteurs et de tous les créditistes ainsi blessés, nous protestons avec énergie contre ces méthodes.

Les créditistes sont, autant et nous dirions plus que quiconque, attachés aux principes démocratiques. Personne n'est plus qu'eux opposé aux mesures dictatoriales. Nul plus qu'eux soucieux de la liberté de la personne humaine.

Nous ajouterons que tous les créditistes bien nés sont prêts, sans hésiter, à sacrifier leur vie pour la défense de leur pays. Ils souffrent assez de la dictature de l'argent et ne voudraient pour rien au monde la voir doubler d'une dictature militaire ou se voir enlever, par de simples décrets, le droit de s'assembler, d'étudier en commun les problèmes de leur pays, de s'associer pour leur trouver une solution.

Nous avons mis nos propagandistes en garde contre tout acte qui serait ou semblerait être en contravention avec la loi des mesures de guerre de leur pays. Les instructions aux conférenciers de l'Institut d'Action Politique stipulent formellement que tout orateur qui s'écarte de cette ligne de conduite perd ipso facto l'autorisation de parler de la part de l'Institut.

De là à s'abstenir de critiquer des méthodes de finance, une dispensation de crédit qu'avec le Pape nous jugeons arbitraire et instrumentale d'une vie horriblement dure, implacable et cruelle pour un grand nombre, il y a une marge.

Dieu merci, on le comprend au Canada, comme dans tous les pays où l'on n'a pas encore étouffé tout privilège démocratique. La poste de Sa Majesté a déjà distribué quarante éditions de VERS DEMAIN, et ce n'est pas du jour au lendemain que certains jaloux ou quelques thuriféraires d'adversaires politiques soient justifiables de taxer de journal subversif une publication qui ne prêche rien de plus radical que dans ses premiers numéros.

Que VERS DEMAIN ait remarquablement augmenté le nombre de ses lecteurs, il n'y a rien là-dedans pour rendre mauvais ce qui ne l'était pas auparavant. L'expansion de l'Évangile en a-t-elle changé le caractère ?

Comme le soulignait d'ailleurs M. Laurent dans "L'Action Catholique" du 2 juillet, la doctrine du Crédit Social ne peut être plus dangereuse dans la province de Québec qu'à l'étranger. Qui s'aviserait de déclarer la province d'Alberta subversive et d'envoyer son gouvernement et les deux tiers de sa population dans un camp de concentration ?

Si c'est du chantage politique qu'on veut pratiquer, pour mater un mouvement qui englobe un nombre croissant de partisans, on comprend bien mal l'esprit et le cœur des créditistes. Ils ne sont pas gens à placer la lumière sous le boisseau ni à s'agenouiller pieusement et silencieusement devant le veau d'or et ses grands-prêtres.

Maître J.-Ernest Grégoire

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