1 nov 1939, page 6 ; Père LOUIS-MARIE, o.c.r. ; 809 mots
(Nous avons pu nous assurer la collaboration du R. P. Louis-Marie des Trappistes d’Oka, professeur à l’Institut Agricole et spécialiste en biologie. Avec sa permission, nous extrayons ce qui suit de son livre "Hérédité". L’éminent professeur fournira aussi de temps en temps des articles originaux spécialement écrits pour les lecteurs de VERS DEMAIN.)
L’hérédité est un de ces mystères de la nature qui défient encore, sur plus d’un point, la perspicacité des savants, et qu’un appétit populaire de merveilleux a entourés, dès l’aube de cette civilisation, d’un vêtement compliqué de superstition naïve. Aujourd’hui, les biologistes européens modernes la traitent avec un respect grandissant, déclarant volontiers que certaines manifestations héréditaires doivent être rangées parmi les "grands problèmes de l’humanité", parmi ceux qu’on n’espère plus résoudre rapidement, à coups d’éprouvette et en moins d’une génération, parmi ces problèmes qui affectent tout le genre humain, la biosphère entière.
Et pourtant, n’est-il pas vrai que chacun de nous croit connaître ce qu’est l’hérédité. Qui n’a pas, sur le bout de la langue, ou quelque part dans ses notes, tout prête, sa petite définition ? Ce qui est certain, c’est qu’on parle de plus en plus de l’hérédité et de ses principes, de ses lois et de ses caprices ; on en dit des choses — d’une fantaisie qui n’est pas toujours exquise — si diverses, si contradictoires même, qu’il faut bien reconnaître enfin que tout ce charabia ne peut pas être vrai, à la fois.
Il y a cependant une science "qui établit, surtout expérimentalement, la notion de l’hérédité qui en étudie le siège et les principales modalités", c’est la génétique.
C’est encore une toute jeune discipline intellectuelle. En effet, la génétique est pratiquement née — comme science biologique autonome — le jour où l’on redécouvrit, en 1900, le modeste mémoire du moine catholique tchécoslovaque, Gregor Mendel, révélant clairement un type élémentaire d’hérédité (lois 1 et 2). Pourtant, si le moine de Brunn se montra un instant génial dans toute sa culture de petits pois, qui dura huit ans, ce fut lorsqu’il énonça, avec un brin d’empirisme, sa troisième loi, celle de "la pureté des gamètes", qui est le pivot de toute la génétique moderne, l’essence du mendélisme et la base de nos plus solides connaissances en hérédité.
L’apparition de Mendel, au seuil du vingtième siècle, fait époque dans l’histoire de la biologie ; elle pousse au second rang la grande figure de Darwin. Devant le mendélisme, le darwinisme recule, et le vaste concept de l’évolution doit s’adapter et faire entrer plus d’un élément nouveau dans sa définition.
Pour celui qui s’instruit uniquement en lisant les grands quotidiens, l’hérédité est un déclenchement sensationnel de qualités rares et de défauts étonnants : c’est l’incendie de l’ivrognerie qui, au premier verre, s’allume dans le gosier d’un fils de soulard, c’est la passion du jeu, etc., c’est l’enfant-prodige qui touche admirablement le piano avant l’âge de raison, qui joue de mémoire une sonate de Beethoven après l’avoir entendue une seule fois ! C’est encore la mascarade des monstruosités dignes des cirques : dédoublement, ramification ou déplacement d’organes ; frères siamois, veaux à deux têtes, à trois queues, gorets à huit pattes, etc. ; malformations mineures, tares, taches, tics, grains, etc.
Dans certains volumes, parfois écrits par des médecins, on expose des cas de transmissions plus obscures de caractères enregistrés non sur les agents sexués de la fécondation, mais sur les organes des sens. À cette télépathie déformante d’un nouveau genre, se rapportent les "impressions maternelles" si redoutées des jeunes mères. Que de précautions certaines d’entre elles ne prennent-elles pas pour éviter d’être impressionnées par des êtres laids et difformes ! N’a-t-on pas entendu une mère âgée, passant près d’une flaque de sang, dire à sa fille enceinte : "Ne regarde pas cela si tu ne veux pas qu’il ait une tache de sang dans la figure."
Le comble serait de supposer le père d’un fils, porteur de tache de vin, coupable d’insobriété ; ce comble se rencontre, si j’en juge par des questions qu’on nous pose à ce sujet.
Et que ne trouve-t-on dans les romans à haute sensation ? Voici deux cas amusants :
1) Jane, fille d’un éleveur de tigres, naît le même jour qu’un jeune tigre dont la mère vient d’effrayer sa propre mère enceinte. Jane et le jeune tigre ont le même tempérament ; ils s’entendent à merveille, ils s’aiment (sic). Lorsque le tigre est battu, Jane éprouve de la douleur ; et lorsqu’un gardien ivre le tuera au fond de sa cage, d’un coup de revolver, Jane tombera morte !
2) Meg, de race blanche, jeune aventurière française, visite l’Afrique. En Éthiopie, elle épouse un noir dont elle a trois enfants noirs. Son mari étant décédé, elle retourne en France où elle se remarie à un blanc. Après avoir donné naissance à deux fils blancs, elle en a un troisième, noir et ressemblant au premier mari !
Père LOUIS-MARIE, o.c.r.