Pour la plus grande partie du matériel de cet article, nous sommes redevables à des notes fournies par un religieux bien documenté. Nous nous conformons à son désir en taisant son nom.
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Ceux qui ont décrié le communisme et les plans russes, en disant que le communisme ne pouvait que détruire et jeter les peuples dans la misère matérielles, ont fait une propagande pour le moins très maladroite. Il fallait user d'autres arguments.
Du simple côté de la production matérielle, en effet, le communisme peut très bien réussir, au moins temporairement, puisqu'il a augmenté la production en Russie pendant qu'on la diminuait et qu'on chômait dans nos pays.
Le religieux qui fait ces réflexions cite des journaux, non communistes, de divers pays, qui avouent que, sous le régime soviétique, la Russie a fait d'immenses progrès matériels.
La résistance actuelle du peuple russe n'est pas la résistance d'un peuple fatigué, misérable, dépourvu, anémié ; mais celle d'un peuple fort et bien outillé.
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Voici quelques appréciations du journal français Le Temps. Elles datent de dix ans ; elles sont donc de l'époque où, chez nous, des dizaines de mille familles gémissaient dans le chômage et la pauvreté :
Janvier 1932 : "L'Union Soviétique a gagné la première manche en s'industrialisant sans l'apport de capital étranger."
Été 1932 : "Le communisme aura franchi d'un bond l'étape constructive qu'en régime capitaliste il faut, parcourir à pas lents. En industrialisant leur agriculture (au lieu de laisser la propriété agricole divisée à l'infini entre propriétaires privés comme en France), les Soviets ont pu mécaniser la culture à l'américaine. Pratiquement, les bolchévicks ont gagné la partie contre nous.
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À la même époque, le Financial Times, en Angleterre, écrivait :
"Les succès obtenus dans l'industrie des constructions mécaniques ne peuvent faire aucun doute. L'U. R. S. S. fabrique actuellement tout l'outillage nécessaire à son industrie métallurgique et électrique. Elle a créé la production des outils dans toute leur gamme, depuis les menus instruments de haute précision jusqu'aux presses les plus lourdes. En ce qui concerne les machines agricoles, l'U. R. S. S. ne dépend plus des importations étrangères..."
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En octobre 1932, Gibson Garvey, président de la banque United Dominion, écrivait :
"Je tiens à déclarer d'abord que je suis un capitaliste et un individualiste convaincu, Mais il faut bien reconnaître que la Russie progresse au moment où beaucoup trop de nos usines sont inactives et où près de trois millions d'individus, chez nous, cherchent désespérément du travail. On a raillé le plan quinquennal et on a prédit sa faillite. Mais soyez certains que la Russie a fait plus que le plan quinquennal ne s'était proposé de faire...
"Dans toutes les villes industrielles que j'ai visitées, j'ai vu bâtir, d'après un plan déterminé, de nouveaux quartiers avec de larges rues plantées d'arbres et dotées de squares, avec des maisons du type le plus moderne, avec des écoles, des hôpitaux, des clubs Ouvriers et les inévitables pouponnières et maisons d'enfants, où l'on prend soin des bébés des mères ouvrières... Le plus important...-être, c'est que toute la jeunesse et les ouvriers de la Russie ont une chose qui, malheureusement, fait aujourd'hui défaut dans les pays capitalistes, à savoir, l'espérance..."
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Reproduisons encore une citation, la revue américaine The Nation, novembre 1932 :
"La physionomie du pays (en Russie) change littéralement, au point qu'il devient impossible de la reconnaître... Cela est vrai de Moscou, avec ses centaines de squares et de rues nouvellement asphaltées, avec ses nouveaux édifices, avec ses nouveaux faubourgs et son cordon de nouvelles fabriques suburbaines. Cela est vrai également pour les villes de moindre importance. De nouvelles cités ont surgi dans les steppes et dans les déserts, au moins cinquante villes avec une population chacune de cinquante à deux cent mille habitants...
"L'Union Soviétique a organisé la production en masse d'un nombre infini d'articles que la Russie n'avait jamais fabriqués autrefois : tracteurs, moissonneuses-batteuses, aciers extra-fins, caoutchouc synthétique, roulements à billes, moteurs Diesel, turbines de 50,000 kilowatts, appareillage téléphonique, machines électriques pour l'industrie minière, aéroplanes, automobiles, bicyclettes, sans compter des centaines de types de machines nouvelles...
"Pour la première fois dans son histoire, la Russie extrait l'aluminium, la magnésite, les apatites, l'iode, la potasse et les nombreux autres produits de valeur. Ce ne sont plus les croix et les coupoles des églises qui servent de points de repère dans les plaines soviétiques ; elles sont dépassées par les élévateurs à grain et les tours-silos. Les fermes collectives construisent des maisons, des étables, des porcheries. L'électricité pénètre à la campagne ; la radio et les journaux l'ont conquise. Les ouvriers apprennent à travailler sur des machines modernes. Les jeunes paysans construisent et manient des machines agricoles plus grandes et plus compliquées que celles que l'Amérique a jamais vues."
Sans doute qu'au commencement du régime soviétique, la misère et la famine régnaient en Russie. La révolution y avait contribué. Mais c'était surtout l'accumulation du régime des tsars. Du temps des tsars, une immense misère prévalait dans les masses russes, et la guerre n'avait fait que l'accentuer.
Il fallut vingt ans au nouveau régime pour sortir de cet abîme économique, mais il en est venu à bout, et le niveau de vie matériel des masses est de beaucoup supérieur à ce qu'il était sous l'administration des Alexandres et des Nicolas.
Cela ne veut pas dire que le progrès matériel si rapidement réalisé en Russie soit le fruit du communisme. Non. D'autres facteurs doivent être pris en considération. La Russie était un pays arriéré par rapport aux nations occidentales. Tout était à bâtir ; et lorsque les Russes se sont décidés à bâtir, en partant d'à peu près zéro, ils l'ont fait avec toutes les inventions modernes à leur disposition.
Pendant que les autres nations progressaient graduellement, selon les possibilités des temps, la Russie stagnait ; lorsqu'elle a décollé, elle s'est servie des moyens modernes ; elle n'a pas eu à passer par les transitions de ses voisines : d'où une explication du contraste frappant entre la Russie d'il y a trente ans et la Russie d'aujourd'hui.
Toutefois, ce progrès s'est manifesté sous le régime communiste. Le communisme ne l'a donc pas empêché.
Il conviendra certainement d'abandonner tout à fait les critiques fondées sur l'échec matériel du communisme. Elles font plus de tort que de bien. Lorsque, après des critiques répétées, les faits frappent enfin les yeux, le peuple se demande pourquoi on l'a trompé.
Dans le domaine matériel, reconnaissons que le régime soviétique a fait moins obstacle au progrès que l'administration autocratique des tsars. Moins obstacle aussi que les dictateurs financiers qui, pendant ces développements en Russie, condamnaient nos familles ici, par milliers, à mener une vie de parias en face de l'abondance immobilisée.
Encore une fois, ce n'est pas le communisme qui est la cause du progrès matériel. Le progrès résulte du travail organisé, de la science appliquée. Mais la révolution communiste a jeté à terre les barrières qui, en Russie, s'opposaient à ce progrès matériel.
Il y a sûrement d'autres méthodes pour jeter ces barrières à terre.
Chez nous, par exemple, nous n'avons nullement besoin du communisme pour généraliser l'aisance. Nous pouvons l'atteindre d'une manière beaucoup plus humaine — dans le sens complet du mot sans attenter à la liberté des personnes, sans enrégimenter les travailleurs au service de l'État.
Pas besoin de changer les méthodes de production de pays qui, comme le nôtre, peuvent fournir abondamment plus que pour les besoins de toutes les familles. Pour généraliser l'aisance, il n'y a que la distribution à reviser. Pour assurer la distribution, à la grande satisfaction des producteurs comme des consommateurs, il n'y a qu'à renverser l'unique obstacle, l'obstacle financier.
Mais, maintenir l'obstacle et le voiler, condamnant le peuple de chez nous à la pénitence pendant qu'un peuple communiste progresse à pas de géant, c'est sûrement orienter les masses mécontentes vers le communisme.
Empêcher l'industrie privée de prospérer, en coupant le pouvoir d'achat de la multitude, en barrant la distribution, puis proclamer ensuite, comme Sir Beveridge est venu le faire au Canada, que l'industrie privée a fait faillite, qu'il faut socialiser, étatiser, c'est faire le jeu des fervents du marxisme.
Sachons aussi élever nos arguments au-dessus du simple matérialisme lorsque nous dénonçons le communisme. Notre lutte contre le communisme ne doit pas consister à championner le capitalisme qui, dans nos pays, amoncelle la production en face de maisons vides.
C'est sur le terrain de la personne humaine qu'il faut se placer. C'est aux arguments chrétiens qu'il faut avoir recours.
Ce sont ces arguments que le Pape a fait ressortir dans ses encycliques.
Le communisme et le socialisme sont des doctrines purement matérialistes, dans lesquelles il n'y a aucune place pour l'idée de Dieu, ni pour aucune réalité spirituelle.
Sous un régime communiste ou socialiste, la communauté humaine n'est constituée qu'en vue du seul bien-être matériel. L'activité économique prime tout. Pour une production maxima, tout doit être mené étatiquement. Les hommes doivent se livrer et se soumettre totalement à l'État pour exécuter de vastes plans de production matérielle.
Il en résulte, remarque toujours le Pape, que "les biens les plus élevés de l'homme, sans en excepter la liberté, seront subordonnés, et même sacrifiés, aux exigences de la production la plus rationnelle. La société communiste ou socialiste ne peut donc se concevoir sans un emploi de la contrainte manifestement excessif."
Ne craignons pas de faire valoir cet argument : la liberté de choix, qui tient tant au cœur de tout homme qui n'est pas complètement abruti.
Les plus belles réalisations matérielles perdent de leur saveur s'il faut les acheter au prix de l'enrégimentation.
Comme l'écrivait mademoiselle Gilberte Côté dans le dernier numéro de Vers Demain, "l'édifice socialiste peut être une magnifique réalisation de la matière. Toutes les puissances du progrès et de la machine sont réunies en lui pour le bâtir. Il édifie le génie de l'homme au service des corps."
Mais ce n'est pas là tout l'homme. Ce n'est même que l'homme animal — animal intelligent si l'on veut, mais avec son intelligence au service de son animalité.
L'homme, l'homme vrai, vaut mieux. Si, par ses inventions, il peut faciliter la production pour les besoins de son corps, il réclame un degré correspondant de libération pour s'occuper d'embellir sa vie. L'embellir par des activités de son choix ; l'embellir par des poursuites culturelles ; l'embellir par l'épanouissement de la vie familiale ; l'embellir par des services à ses frères moins fortunés ou moins éclairés.
C'est un tout autre idéal de vie — idéal depuis longtemps entrevu par les créditistes qui travaillent ardemment à sa réalisation, parce qu'ils la savent possible. Aussi n'est-ce point les créditistes qui tomberont en admiration devant le communisme, même s'ils constatent en Russie des progrès matériels remarquables pendant que des règlements absurdes ligottent le progrès dans notre propre pays.