Le mot "responsable " est pratiquement exclus du vocabulaire démocratique.
On entend bien des expressions comme celles-ci : Le gouvernement est responsable au parlement ; le parlement est responsable au peuple.
Mais, dans la pratique, un ministre vous envoie à un autre — ou à ses subalternes, et ceux-ci à des co-fonctionnaires ou à l'an 40. Le gouvernement fédéral vous envoie au provincial, le provincial au fédéral.
Quant au gouvernement responsable au parlement, on sait ce que cela signifie lorsque la majorité doit fidèlement suivre le gouvernement, sous peine de voir décréter une élection générale, avec l'incertitude du résultat. Le député ordinaire préfère rester carpe et bénéficier de tout son terme, car :
Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras ;
L'un est sûr, l'autre ne l'est pas.
Quant au parlement responsable au peuple, voit-on bien souvent les députés prendre contact avec le peuple pour connaître sa volonté et rendre compte de leur mandat ?
Une seule chose compte : l'élection. Celle-ci gagnée, moins le député voit l'électeur, plus tranquillement il jouit de ses honoraires. Plus aussi c'est conforme à la discipline du parti ; un député trop près de ses électeurs risquerait de compromettre les plans qui viennent d'ailleurs et qu'il doit appuyer, sous peine d'être laissé à ses propres ressources aux prochaines élections.
Mais le peuple a aussi sa responsabilité — s'il est réellement majeur et capable de porter une responsabilité. S'il ne l'est pas, il n'est pas mûr pour la démocratie, et celle-ci n'est qu'une farce pour l'amuser.
Si gouvernants et députés endossent si peu leur responsabilité envers le peuple, ne serait-ce pas parce que le peuple est le premier à ignorer ses propres responsabilités ?
Et quelle est la responsabilité du peuple ? C'est de savoir ce qu'il veut, et de voir à ce que ses représentants en soient avertis et en tiennent compte.
Si le peuple est ignorant, indolent, apathique, il aura beau se glorifier de représentants élus par lui, ceux-ci seront bien plus attentifs aux voix qui savent parler, aux pressions qui savent se faire sentir.
Dans la préface d'un opuscule publié à Edmonton (Alberta), pour exposer les grandes lignes du programme de restauration d'après-guerre, suggérées par la Conférence tenue dans cette même ville l'an dernier, on lit :
"Dans une démocratie, le peuple, comme autorité constitutionnelle suprême, est responsable de tout ce qui est fait en son nom. Les privilèges de la démocratie portent avec eux des responsabilités correspondantes et tout peuple qui les néglige perd inévitablement ses privilèges. L'histoire l'a prouvé plus d'une fois. À moins que le peuple canadien reconnaisse ce fait et assume la pleine responsabilité de la restauration d'après-guerre, il n'a aucune chance d'obtenir la rénovation financière et économique qu'il désire. Trop d'intérêts puissants, appliqués à la poursuite d'objectifs très différents de ceux que désire le peuple dans son ensemble, ne seront que trop avides de mouler le monde d'après-guerre selon leur goût."
Si la démocratie signifie quelque chose, c'est le peuple lui-même qui doit dire ce qu'il veut. Il le dit à ses représentants, qui transmettent cette volonté au gouvernement ; et le gouvernement la fait exécuter. Évidemment, il s'agit d'objectifs d'ordre communs qui rencontrent la volonté commune. La préface citée continue :
"En modelant la restauration d'après-guerre, il est important d'avoir à l'esprit l'espèce d'ordre social que TOUTE la population veut. Il est de l'essence même de la démocratie qu'elle donne au peuple les résultats que le peuple désire. Nos institutions démocratiques ont malheureusement failli à cette tâche dans le passé...
"Tout programme d'après-guerre doit avoir l'appui de la grosse majorité du peuple. En fait, ce programme doit venir du peuple lui-même. C'est une question qui doit dominer toute considération partisane. La volonté du peuple, de l'ensemble des citoyens, doit être mobilisée et s'exprimer en termes définis."
Mais, pour que le peuple prenne conscience de sa volonté commune, il faut qu'il réfléchisse, qu'il se rende compte, qu'il ait les yeux ouverts. Il doit savoir distinguer entre des biens privés, circonscrits, et des biens qui correspondent aux désirs de toute la communauté. C'est pourquoi l'instruction générale touchant la chose publique est une nécessité si l'on veut que la démocratie fonctionne effectivement.
Puis, il faut que le peuple possède un moyen d'exprimer sa volonté commune, après en être devenu conscient.
Il ne suffit pas qu'une, deux, ou trente personnes, dans un comté, aient le privilège d'aborder leur représentant, moussant surtout l'obtention de faveurs pour elles-mêmes, sans se soucier de la masse. Il faut que la masse elle-même, au moins la masse devenue consciente, ait le moyen de dire à son député ce que, après étude et réflexion, elle reconnaît être la volonté commune des personnes qui la composent. Citons encore le même opuscule :
"Non seulement est-il nécessaire que le peuple déclare, en termes définis, l'espèce d'ordre d'après-guerre qu'il désire, mais il est essentiel, pour lui, de s'organiser pour pouvoir insister sur l'obéissance à ses désirs. Jamais des individus en nombre ne peuvent obtenir l'accomplissement d'un objectif de leur choix sans une organisation. Cela est aussi vrai de l'électorat d'une démocratie que c'est vrai des médecins, des avocats, des ouvriers d'une usine, qui doivent s'organiser s'ils veulent atteindre un objectif commun."
Depuis assez longtemps déjà, dans les pays démocratiques, on a donné à chaque électeur l'occasion de participer, par son vote, au choix du représentant de sa circonscription. Sous cet aspect, la démocratie fonctionne le jour de l'élection.
Mais on n'a pas encore mis à la disposition des électeurs un mécanisme pour exprimer à leur représentant élu ce qu'ils désirent d'un commun accord. Encore moins, pour faire pression, afin que le représentant exprime, à l'endroit où il faut et d'une manière effective, cette volonté commune de ses mandants.
C'est justement pour combler cette lacune que les créditistes, démocrates entre tous les démocrates, ont fondé l'Union des Électeurs.
C'est la continuation naturelle du travail d'éducation, dans le domaine économico-politique, qu'ils ont entrepris et conduit avec brio. La lumière pour voir et comprendre ; puis l'organisation pour dicter l'objectif et se faire servir.