Nous aimerions savoir lequel des ministres ou des députés de Québec, du groupe qu'on est convenu d'appeler administrateurs et législateurs de la province, lequel de ces hommes, s'accommoderait de $21 par mois, pendant tout un hiver, pour faire vivre une femme et six enfants ? Comment, au bout de quatre ou cinq mois à ce régime, ils envisageraient la fin même de cette pitance, la perspective de l'inconnu comme ressource, coïncidant avec l'arrivée d'un septième enfant dans la maison ?
Pourtant, des cas comme celui-là, et peut-être de pires encore, existent dans la province confiée à leurs soins — ce qui ne les empêche sans doute pas de dormir sur leurs deux oreilles, de se balader à l'occasion et de faire des discours pour se vanter et vanter leurs œuvres.
Le 3 mai dernier, un modeste père de famille de Mont-Saint-Michel (comté de Labelle), M. Arcade Dumoulin, travaillait à l'emploi de la Voirie provinciale, lorsqu'il se fit écraser un doigt. L'accident fut assez grave pour nécessiter l'hôpital et une opération. Le doigt dut être coupé entre les deux premières jointures, à l'hôpital de Mont-Laurier, et M. Dumoulin reçut les soins nécessaires.
Le 16 juillet, il fut envoyé à Montréal pour l'examen de son doigt, qui ne guérissait pas. Une nouvelle opération fut jugée nécessaire et le doigt presque tout entier enlevé. Après dix jours d'hôpital, on le renvoya chez lui.
Pendant tout ce temps, le gouvernement lui fit servir un dédommagement de salaire de $50 par mois. Ce versement prit fin le 11 octobre. Mais M. Dumoulin restait incapable de reprendre un travail normal. Ce que constatèrent deux médecins qui envoyèrent leur rapport à la Commission des Accidents de Travail.
M. Dumoulin fut mandé à Montréal le 20 janvier, examiné par les experts de la Commission, et on lui adjugea une compensation définitive de $95 pour la perte de son doigt. Et tout finit là en ce qui concerne le côté du gouvernement.
Mais il reste l'homme et sa famille.
M. Arcade Dumoulin nous écrit le 22 février qu'il est encore incapable de reprendre un emploi normal, incapable donc de gagner aucun salaire et ne sait comment s'y prendre pour faire vivre sa famille : une femme et six enfants, avec un septième attendu pour avril.
Si on fait le calcul, on trouve que, sans aucun salaire depuis le 11 octobre,, M. Dumoulin n'a eu que sa compensation finale de $95 pour couvrir les dépenses de ces quatre mois et demi — $21 par mois, et rien de plus à venir désormais.
Le gouvernement n'a plus de piastres pour M. Dumoulin. Et quand les piastres ne sont pas là, le bétail humain n'est d'aucun poids. Toujours la religion de l'Argent et le sacrifice des hommes.
Qu'on relise maintenant les questions posées ci-dessus.