Tout le monde parle d'ordre nouveau, d'un monde à venir différent de l'ancien, même ceux qui se sont allaités du vieux, même ceux qui continuent de servir les pontifes habitués à faire la pluie et le beau temps et point du tout résignés à céder leur monopole.
Un livre intitulé "Britain's New Order", par MM. Wyatt et Jones, publié à Londres, porte une préface signée de David Lloyd George, le célèbre premier-ministre anglais de l'autre guerre. En voici un extrait :
"... Ainsi en aurait-il été, sans la malheureuse politique financière qui a dominé notre commerce et restreint notre production pendant toute la période entre les deux guerres. Les besoins de toutes sortes étaient criants : Ouvriers et matériel étaient là en abondance, n'attendant que d'être utilisés ; mais les moyens de paiement étaient délibérément réduits pour convenir à une doctrine étroite adaptée seulement aux exigences de la Bourse et d'un système bancaire stérilisant. L'économie des nations était réglée par l'argent et non par les moyens.
"Quelques-uns d'entre nous se sont efforcés d'induire le gouvernement à employer le crédit de la nation pour répondre aux besoins pressants de l'industrie : construction de routes, relèvement d'une agriculture en décadence, réhabilitation des campagnes, approvisionnement d'électricité à bon marché pour l'éclairage et la force motrice dans tout le pays, établissement d'un réseau téléphonique à portée de toutes les bourses, développement de nos canaux, et une multitude d'autres projets pour outiller et enrichir le pays. Mais Mammon siégeait sur le trône et tous ces projets étaient mis hors d'ordre. Aujourd'hui, nous souffrons des suites de cette politique."
Très bien dit. Mais M. David Lloyd George n'a-t-il pas lui-même tenu les rênes du gouvernement pendant plusieurs années ? Et qu'a-t-il fait pour détrôner Mammon ? Il commandait à toute l'Angleterre pendant la première guerre mondiale : la manière de financer la guerre, sous son propre gouvernement, n'a-t-elle pas rendu Mammon plus puissant que jamais ?
On ne voit pas bien comment, à cette guerre-ci, les gouvernements du jour empêchent l'ogre de se fortifier. Les dettes des nations qui se battent ne montent-elles pas toujours ? Et à qui ceux qui se battent signent-ils ces dettes ?
Les puissances d'argent seront-elles moins fortes lorsqu'elles posséderont des milliards de nouvelles créances sur les nations civilisées épuisées par des années de guerre ?
L'ordre nouveau ne viendra pas tout seul, et il ne viendra pas par les méthodes qui ont édifié le régime que personne n'ose vanter, sous peine de faire tomber les armes des mains des défenseurs de la civilisation.