Un abonné de Québec nous envoie des extraits d'une lecture qui lui est tombée sous la main. Il l'apprécie ainsi :
On trouve exprimés dans ces quelques lignes :
1) Le primat de la personne humaine ;
2) La nécessité d'une réforme économique ;
3) La justification d'un minimum vital (in concreto) ;
4) La nécessité d'une orientation de la production par la consommation ;
5) La nécessité de favoriser la responsabilité des personnes (contrairement au socialisme) ;
6) La nécessité de conserver l'entreprise privée (contrairement au but poursuivi par le coopératisme, selon Charles Gide) ;
7) La condamnation de l'anonymat dans les sociétés de capitaux ;
8) La nécessité d'une décentralisation par le corporatisme.
Les extraits sont pris dans "Personne et Régimes économiques", par Henri Guitton, chargé de cours à la Faculté de Droit de Nancy (France) ; cours donné aux Semaines Sociales de France, Clermont-Ferrand, 1937. Voici quelques-uns de ces extraits, illustrant les points 1, 2, 3, 4, 6 et 7 :
"Si la notion de personne est gênante pour l'économie, tant pis pour l'économie ! C'est en fonction de la personne qu'un régime doit désormais se construire. Et si un régime ainsi voulu, ainsi construit, transforme ou supprime certaines conséquences du mouvement économique, c'est que ces conséquences, quoique jusqu'alors réputées naturelles, n'avaient pas droit à l'existence." (Compte-rendu, p. 420.)
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"La personne n'est pas un pur esprit. Elle est par essence toujours double, toujours complexe, et en cela toujours gênée par ce qui fait sa complexité profonde. La personne est incarnée ; elle est la synthèse de l'âme et du corps. Oublier les exigences du corps, ce serait construire dans l'irréel, ce serait donc construire dans l'instable. Plus une tour est haute, plus ses fondations matérielles doivent être solides et éprouvées. Et ce n'est pas être matérialiste que d'améliorer des fondations terrestres." (Ibid., p. 422.)
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"Puisque nous sentons la nécessité de transcender les visées purement utilitaristes, puisque nous ne voulons plus nous laisser prendre au jeu des entités, et puisque nous ne voulons pas non plus nous laisser absorber corps et âme par les abstractions communautaires, comment allons-nous définir un nouveau régime économique ?
"En réintégrant la personne à tous les étages de la science et à tous les étages de la vie économique, d'abord dans les concepts et secondement dans les organes concrets de la vie des affaires...
"Un nouveau but... Ce sera l'exaltation de la personne humaine, partout où elle se trouve, la personne des producteurs, la personne des consommateurs.
"D'abord la personne des consommateurs, et non pas le client solvable source de profits monétaires, orientera toute la production, puisqu'elle en est la raison d'être ; mais elle l'orientera dans un certain sens, conformément à une classification adéquate des besoins, selon une échelle personnaliste : besoins fondamentaux, afin que tous les hommes reçoivent d'abord le minimum vital,, besoins superflus plus ou moins élastiques, besoins prohibés parce que contraires à la fin de la personne." (Ibid., pp., 424, 425.)
"Nous ne croyons pas possible de conserver sans des retouches profondes l'entreprise collective qui porte dans notre législation le nom de société de capitaux, de société anonyme. Nous l'avons dit, il n'est pas possible de concilier l'idée de personne et l'idée d'anonymat. Ces deux idées ne peuvent vivre en harmonie, elles se détruisent l'une par l'autre... Il nous paraît donc indispensable de transfigurer la société par actions, non pas par la suppression des actions, mais en intégrant au cœur de leur gestion financière la réalité de la personne qui n'y a pas jusqu'alors beaucoup habité." (Ibid., pp. 425-426.)
"Entreprise privée, exploitation publique, les deux cellules empruntées aux régimes du plan individualiste, nous ne nous repentons pas de les conserver, puisque nous les transfigurons en les hissant sur le plan personnaliste." (Ibid., p. 427.)
"L'économiste classique a voulu comprendre et orienter son comportement économique, purifier l'homme d'une certaine manière, en dissociant ces deux parties de lui-même, cependant indissociables : l'homo œconomieus et l'homo moralis. Nous ne voulons pas à notre tour isoler à l'état pur un homo moralis qui se moquerait des exigences économiques comme l'homo œconomicus s'est moqué des exigences morales. Bien mieux, nous voulons prendre l'homme comme un tout, découvrir en lui les reflets de Celui sans lequel il n'est rien, le considérer comme une personne, c'est-à-dire comme une résonance, représentant dégradé sans doute, mais éminemment digne de la Personne par excellence. À partir de là, nous voulons repenser tous les problèmes que pose la vie économique, et cette nouvelle méditation nous apparaît appelée à transformer la vie concrète elle-même, de même que la pensée utilitariste avait transformé sans le vouloir la vie du 19ème siècle. (Ibid., p. 430.)
Puritanisme économique
Des journalistes à $30,000 par année, genre Walter Lippmann et Dorothy Thompson, accusent l'Amérique d'être amollie par la prospérité. Peut-être leur propre prospérité les invite-t-elle à la mollesse. Mais ils oublient qu'il y a seulement trois ans, 65 pour cent des familles américaines devaient se débattre avec un revenu moyen de $69 par mois, moins de $15 par semaine !
Si l'Amérique a été pourrie avant la guerre, ce n'est pas à cause de la prospérité. Autre chose pourrissait la vie américaine.
Mais voilà. Il y aura toujours des puritains, aux États-Unis et ailleurs (dans notre province de Québec aussi, même sous une apparence de vertu évangélique), qui ont peur de la prospérité pour la masse, peur de l'argent entre les mains des autres, peur de loisirs pour leurs voisins. Selon eux, le système de production doit être une forme de gouvernement moral. Il est bon que le monde — eux exceptés — soit pauvre, aux luttes avec les nécessités de la vie.
S'ils prêchaient d'exemple !...
(D'après Gorham Munson — Men First, No 69).
"C'est un travers inhérent à l'esprit civilisé de nier et de contrecarrer les découvertes, puis d'en insulter les auteurs comme des maniaques et de les laisser mourir de faim." (Victor Considérant).