Tous les quatre ou cinq ans, parfois plus souvent, les électeurs du Canada sont appelés à se choisir un gouvernement fédéral. Même cérémonie cyclique dans les provinces.
Ces événements-là ont eu l'habitude de créer beaucoup d'intérêt dans le public. Les meneurs, les profiteurs, y consacrent un peu plus de temps; quelques-uns en vivent et, entre deux élections, doivent voir au rétablissement de la caisse vidée, aux cabales, aux alliances, aux achats de conscience, aux promotions et aux contrats de reconnaissance, au dénigrement des non-partisans, et autres occupations aussi intéressantes.
Pour le grand public, toutefois, c'est l'annonce de la dissolution du Parlement et du jour de l'élection générale qui secoue de la routine quotidienne. Puis à mesure qu'approche le grand jour de la démocratie, les discours se multiplient, la littérature foisonne, le tapage s'organise, et les vibrations atteignent les plus lymphatiques, les plus chrysalidés et les plus éloignés des centres de civilisation.
On s'agite. Qui va-t-on mettre au Parlement? Les mêmes? D'autres? Tout a été bien. — Non, tout a été mal. — Le pays est prospère. — Non, le pays est ruiné. — Cet homme est un génie. — Non, c'est une taupe.
Le soir de l'élection, on se pend au radio jusqu'à minuit. On commente les rapports. Des figures s'il- luminent. D'autres s'allongent.
Le lendemain, on se précipite sur les journaux. On écoute les remerciements parfumés de quelques élus, les déclarations confites, de quelques vaincus. Quelques télégrammes de félicitations. Quelques prophéties lugubres. Puis, c'est le décrescendo, plus rapide encore que le crescendo électoral.
Finalement, il ne reste plus rien que le fonctionnement de la guillotine de temps en temps pour des fonctionnaires de couleur malchanceuse et l'investiture de quelques dépouilles à des chiens fidèles. Et la vie recommence.
Le peuple canadien a élu ses gendarmes et ses taxeurs : sa fonction est terminée. La politique pour lui s'arrête là. Il lui reste évidemment le loisir de se lamenter, maugréer ou rire jaune. Mais sa politique est remisée jusqu'à la prochaine répétition.
Le peuple a fait de la politique d'élection. Il n'en connaît pas d'autre, il n'en conçoit pas d'autre.
Ces campagnes électorales, qui activent la circulation du sang chez les foules, n'ont point l'air d'émouvoir tant que cela les directeurs de la vie économique et financière du pays. Quelles que soient les grandes questions poussées de l'avant, voit-on bien souvent les financiers, les banquiers, les directeurs des trusts prendre une part active à ces agitations?
Les candidats et les organisateurs d'élections, qui puisent à la caisse électorale, se démènent comme des généraux qui conduisent des troupes à l'assaut. Mais ceux qui remplissent la caisse électorale le font sans bruit.
Ils sont donc bien sages et bien vertueux, bien modestes et bien résignés, les capitaines de l'industrie, les magnats du commerce, les dieux de la finance!
Sont-ils donc si détachés et si peu soucieux de la manière dont sera conduite la politique et l'administration du pays?
Bien bénêt qui le croira.
Ces messieurs font, eux ausi, de la politique.
Mais ils font une politique autrement effective que la politique d'élection.
Nos banquiers ne se mêlent point aux luttes électorales. Mais, quel que soit le parti élu pour gouverner, ils voient à ce que la loi des banques maintienne leurs privilèges de décade en décade.
Nos trustards ne rédigent point de feuillets électoraux; ils ne parlent point sur les tribunes. Mais, que l'un ou l'autre parti prenne les rênes, ils sont organisés pour que le chariot roule selon leurs désirs.
Pour le public débonnaire, faire de la politique, c'est choisir qui va siéger au parlement. Pour ceux qui tirent profit du pays, faire de la politique, c'est commander les services de ceux qui sont au Parlement.
Le peuple se contente d'élire ses législateurs. Les maîtres de la finance acceptent volontiers les législateurs élus, mais commandent la législation.
C'est que les exploités font de la politique d'élection, tandis que les exploiteurs font de la politique de pression.
Le peuple s'occupe de savoir à qui il va confier un mandat, à qui il paiera des honoraires. Les exploiteurs se désintéressent de cette épopée qui met des piastres en danse et des fûts en perce; mais ils s'organisent constamment pour se faire servir par ceux que le peuple élit et paie.
Politique d'élection et politique de pression.
La première, temporaire et bruyante, aboutit au servage. La seconde, silencieuse et constante, s'assure le commandement.
La politique d'élection groupe des clans autour de méthodes; elle divise et affaiblit. La politique de pression unit ceux qui s'en servent pour exiger des résultats.
La première mobilise l'opinion, les opinions divisées, pour décider qui va agir. La seconde mobilise la volonté de gens qui savent ce qu'ils veulent pour dicter l'action de ceux que l'opinion a préférés.
La masse du peuple a pour elle le nombre, c'est la multitude assemblée. Mais, malgré sa fiévreuse politique d'élection, elle est restée la proie d'un petit nombre de profiteurs.
Les profiteurs ne sont qu'une poignée. Mais, avec leur politique de pression organisée, ils réussissent à vivre de l'exploitation de la multitude.
Les représentants du peuple, choisis par le peuple, subventionnés par le peuple, obéissent à la pression de gens qui ne les paient point qui ne les ont point choisis et qui ne leur ont point confié de mandat.
La politique d'élection accumule déboires et déceptions, à tel point que nombre d'électeurs se dispensent d'un acte qui ne redresse rien : ils perdent foi en la démocratie, ils perdent foi en eux-mêmes et dans leurs pays, ils s'abandonnent fatalement à une destinée nationale qu'ils croient impossible à conjurer.
La politique de pression obtient les résultats cherchés par ceux qui font pression; ils lui consacrent toute leur énergie, elle ne les a jamais déçus.
Tous ceux qui font consister la politique dans la conquête ou la rétention du pouvoir font de la politique d'élection.
Les libéraux font de la politique d'élection.
Les conservateurs font de la politique d'élection.
L'Union Nationale fait de la politique d'élection.
Le Bloc Populaire Canadien fait de la politique d'élection.
Les créditistes ont décidé qu'il y a assez de partis pour diviser l'électorat; qu'il y a assez de groupes experts en cabale pour choisir et pousser des candidats; qu'il y a assez d'énergies dépensées pour travailler l'opinion et trier 86 hommes pour Québec et 65 pour Ottawa.
Les créditistes ont jugé que la politique d'élection n'a pas besoin d'être promue; elle est suffisamment cultivée et suffisamment pratiquée pour le peu de résultats qu'elle a donnés depuis soixante-quinze ans.
Les créditistes préfèrent monter la politique de pression, ignorée ou tristement délaissée jusqu'ici.
Si la politique de pression a réussi, dans le passé, à faire prévaloir la volonté d'un petit nombre qui s'en servait contre la volonté de la multitude qui ne s'en servait pas, elle doit être capable, à l'avenir, de faire prévaloir la volonté de la multitude qui s'en servira contre la dictature du petit nombre d'exploiteurs même organisés.
La politique d'élection sera continuée par les politiciens intéressés à se loger ou à loger leurs amis aux Parlements et dans le fonctionnariat.
La politique de pression sera menée par les créditistes, qui organiseront le peuple pour se faire servir par ceux qu'il délègue et qu'il paie.
Les politiciens, à intérêts égoïstes et divisés, continueront de tripoter et flagorner l'opinion mobile et légère. Les créditistes s'appliqueront à rendre la masse du peuple consciente de la volonté commune et constante des personnes qui la composent et ont toutes les mêmes besoins primordiaux à satisfaire, le même pays spolié à délivrer de ses voleurs.
Lorsque se posera la question : Qui va aller au Parlement? — La réponse sera nécessairement différente selon les opinions, comme par le passé.
Mais une autre question prendra la vedette : Que devront faire ceux qui sont au Parlement? Et là, l'entente est possible, au moins sur les choses qui constituent le bien commun de la masse du peuple.
La première question restera l'affaire des périodes électorales. La seconde question deviendra l'affaire constamment surveillée par un peuple éclairé, organisé et vigilant.
Pour la stérile politique d'élection : les partis politiques — il n'en manque pas.
Pour une efficace politique de pression : l'Union des Électeurs — à l'Institut d'Action Politique de la bâtir.