Il ne manque pas de gens assez candides pour proclamer que l'Angleterre et les satellites de l'Angleterre (dont le Canada), les États-Unis, la Chine, la Russie, etc., se battent pour la défense de la chrétienté.
On a assez coutume d'insister sur ce point dans la province de Québec, parce que la Province de Québec est encore un pays chrétien. On peut se demander quel refrain on chante en Chine ou en Russie.
Le Jour, de Montréal, publiait, le 3 avril, le point de vue d'un professeur américain, J. Hutton Hynd. Selon M. Hynd, ce n'est point du tout pour la civilisation chrétienne, mais pour leur simple survivance que les Nations-Unies se battent. Le professeur juge même qu'au contraire, le monde va sortir de cette guerre moins attaché à ses théologies et mieux orienté vers une "parfaite humanité", une humanité moins divisée par les théologies et plus unies par un idéal purement humanitaire.
C'est l'idéal maçonnique, qui n'a pas besoin des croyances religieuses. L'humain au-dessus du surnaturel :
"En Grande-Bretagne, s'il n'y a que peu de chrétiens convaincus, il y a par contre des millions d'êtres prêts à faire le suprême sacrifice pour un idéal humain... Les peuples des Nations-Unies, qu'ils soient chrétiens ou non, se battent pour un mode de vie qui dépasse l'esprit des sectes qui les a divisés... Cette affirmation laisse derrière elle les diverses théologies et unit les hommes pour une cause et une lutte commune — une sorte de commonwealth de l'homme. Au delà du christianisme, du bouddhisme, de l'hindouisme, du parsisme, du mahométisme, du taôisme ou de toute autre religion, au delà des crédos et des sanctions surnaturelles, au-delà de l'athéisme et de l'agnosticisme, l'homme entrevoit un mode de vie supérieur à tout cela... Partout, les hommes tentent de quitter les chambres étroites où brûlent depuis des siècles les lumières artificielles des théologies et des mythologies antiques..."
Voilà un professeur que le gouvernement canadien n'engagera pas pour faire de la propagande de guerre dans la province de Québec ; le capitaine Sabourin est sans doute mieux désigné pour y obtenir des résultats.
Tout de même, d'autres que le professeur Hynd jugent que l'Empire britannique se bat pour l'Empire britannique, que la Russie se bat pour la Russie, et ainsi de suite. Et des observateurs ne sont pas sans voir que, de cette guerre-ci, comme de l'autre, la franc-maçonnerie espère bien sortir un monde plus maçonnisé, moins ouvert à la théologie et plus épris de l'idéal du "commonwealth de l'homme."
* * *
Les citations suivantes, reproduites dans le Documentaire Antimaçonnique du 20 mars, démontrent que la franc-maçonnerie entend bien exercer sa tutelle spirituelle sur un commonwealth de l'homme, sur une Société des Nations en attendant un gouvernement central universel.
Le 13 mai 1917 (durant l'autre guerre), le grand-maître Magalhaes Lima déclarait à Lisbonne :
"La victoire des Alliés doit être le triomphe des principes maçonniques."
Un mois plus tard, au grand Convent Maçonnique International de juin 1917, une proposition, moussée par la clique apatride, disait :
"Il est indispensable de créer une autorité supra-nationale. La Franc-maçonnerie, ouvrière de la paix, se propose d'étudier ce nouvel organisme : la Société des Nations."
Et la Société des Nations fut fondée : le souffle maçonnique ne la quitta point. Il l'animera sans doute encore lorsqu'elle sortira de son hôpital.
Le Lennhoff pouvait écrire en 1927, sans crainte d'être contredit :
"La Société des Nations est née des idées maçonniques."
Le rapport officiel du Grand-Orient, de 1932, revient sur cette paternité :
"N'est-ce pas au sein des Loges que jaillit l'étincelle qui provoqua l'éclosion de la Société des Nations, du Bureau International du Travail et de tous les organismes internationaux qui constituent l'ébauche laborieuse, mais féconde, des États-Unis d'Europe et peut-être du monde ?"
Ce n'était qu'une ébauche. À parfaire après cette guerre-ci. Bien naïf qui croirait que la Franc-maçonnerie se désintéresse du monde d'après-guerre. L'ordre de demain est en préparation, et l'on ne voit pas que ses artisans attitrés soient différents de ceux d'hier.
Le 17 février dernier, le Révérend Malcolm-A. Campbell, de Montréal, ancien grand-maître de la grande loge maçonnique du Québec, déclarait à Saint-Jean (Nouveau-Brunswick) :
"Un nouvel ordre est entré dans le monde... un autre monde, avec d'autres standards, où les principes de la franc-maçonnerie prendront une plus grande place dans la vie de chacun."