─ J'ai appris une nouvelle qui va te surprendre, maman.
─ Laquelle donc?
─ Mon ami Jean se marie.
─ Bon! Enfin !
─ Tu dis "enfin"! Tu avais donc hâte qu'il se marie?
─ Mais, tu ne trouves pas que c'est dans l'ordre, Pierre? Il n'y a pas assez longtemps qu'il aime Raymonde et que Raymonde l'aime?
─ Mais, c'est la mère de Jean qui va souffrir!
─ Souffrir pour quoi?
─ Tu sais bien, maman, qu'elle ne peut pas songer à se séparer de son fils, Elle lui refuse son consentement.
─ Elle a tort.
─ Alors, maman, tu lui reproches d'aimer trop son enfant?
─ Je lui reproche d'aimer son enfant pour elle-même, de l'aimer égoïstement.
─ Mais, non, je t'assure. Nulle mère plus que celle de Jean ne s'est autant sacrifiée pour tout donner à son fils.
─ La mère qui aime vraiment son enfant ne doit pas pour cela satisfaire tous ses caprices (voilà ce que tu entends, toi, par "tout donner").
─ Oh! non, maman, je sais que toi tu m'aimes bien, et combien de choses ne m'as-tu pas refusées ?
─ Et lorsque je te les refusais, le coeur me faisait mal, certainement beaucoup plus qu'à toi-même.
─ Moi, je l'oubliais bien vite, tu sais.
─ Pierre, je ne crois pas qu'il y ait au monde de place où la joie et la douleur fassent meilleur ménage que dans le coeur d'une mère. Le petit qu'elle attend, le bébé qui pleure, l'écolier qui travaille, l'adolescent qui souffre, et l'homme qui s'en va, mais c'est toujours le même, c'est son enfant à elle, c'est elle-même qui l'a tout fait. Tout son être se porte vers lui. Elle voudrait disparaître pour que lui, existe plus, mieux. Toute sa vie à elle, elle la vit pour cet autre elle-même qu'elle veut plus beau, meilleur qu'elle fut elle-même. Mais, lui, le fils, lui aussi, vivra pour un autre. Sa mère, il l'aime bien, mais elle est le passé. C'est pour l'avenir que chacun de nous est fait. L'avenir nous appelle tous. Et le passé doit mourir si l'avenir l'exige. Voilà ce que toutes les mères devraient savoir. Et c'est parce qu'elle ne sait pas cela que la mère de Jean a eu des torts envers son fils.
MARIE