Dans leur plus récente étape vers un contrôle mondial, les financiers internationaux ont présenté l'AMI Accord Multilatéral sur les Investissements qui donne aux compagnies un pouvoir absolu, et fait qu'elles ne sont assujetties à aucune loi fédérale, provinciale ou municipale. Cet accord, s'il est accepté, donnera aux compagnies multinationales le "droit" et la "liberté" illimités d'acheter, de vendre et de déménager leurs activités quand et où ils le veulent partout dans le monde, sans l'entrave d'aucune loi ou intervention des gouvernements.
En d'autres mots, les compagnies pourront passer outre aux lois auxquelles doivent se soumettre les citoyens ordinaires. Comme dirait l'autre, avec un AMI pareil, on n'a pas besoin d'ennemi ! Comment un gouvernement, qui est censé protéger les droits de ses citoyens, peut-il souhaiter signer un tel accord ? Accepter l'AMI est, de la part de nos gouvernements élus, un acte de haute trahison. Les compagnies, au lieu des gouvernements élus, deviendront les dirigeants de fait, et les gouvernements élus n'existeront que pour protéger les droits de ces compagnies.
L'AMI se négocie depuis 1995 par les 29 pays les plus riches de la planète, membres de l'OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économique), dont le siège social est à Paris, en France. Un accord final devait avoir lieu en mai 1998, mais le 28 avril dernier, les négociations étaient suspendues pour six mois jusqu'en octobre 1998, justement parce que plusieurs pays commencent à se réveiller et à trouver cet accord inacceptable. Mais les partisans les plus enthousiastes de cet accord ne lâchent pas prise, et disent que si les négociations n'aboutissent pas à Paris, on reprendra tout le dossier (quitte à donner un nouveau nom à l'accord) devant l'Organisation mondiale du commerce.
L'AMI est modelé sur les dispositions de l'ALÉNA (Accord de Libre Échange Nord-Américain) concernant les investissements. L'AMI contient cependant beaucoup plus de clauses, et elles s'appliqueraient non seulement à l'Amérique du Nord, mais au monde entier. Renato Ruggerio, directeur général de l'Organisation du commerce mondial, a décrit ainsi l'AMI : « Nous écrivons la constitution d'une seule économie mondiale. »
Le principe directeur de l'AMI est que toute compagnie étrangère doit être traitée de la même façon qu'une compagnie nationale ou locale. Ce principe peut sembler juste à première vue, mais il a de sérieuses conséquences sur les économies nationales. Par exemple, aucun gouvernement ne pourrait faire quoi quoi que ce soit pour favoriser certains secteurs de l'économie de son propre pays ou province, comme subventionner des entreprises locales, ou aider des régions avec un taux de chômage élevé. Tout cela serait interdit, étant considéré comme un avantage déloyal, et l'AMI stipule que les gouvernements seraient obligés d'offrir les mêmes subventions à toutes les compagnies étrangères (aussi grosses soient-elles) qui en feraient la demande. Même les lois actuelles de sécurité sociale seraient en péril avec l'AMI, puisque les pays offrant des avantages sociaux plus généreux pourraient être accusés par les compagnies étrangères d'offrir à leur main-d'œuvre nationale des avantages injustes.
De la même manière, les lois nationales qui cherchent à limiter la propriété étrangère de ressources et industries locales y compris les terres agricoles et mines seraient aussi interdites par l'AMI, qui garantit à chaque investisseur étranger le droit d'investir dans tous les secteurs économiques, y compris les banques, les télécommunications, et la construction.
L'AMI est une menace réelle à la souveraineté de tout pays. Il stipule, entre autres, que tout pays peut :
⚫ acheter et posséder unilatéralement toute structure ou capacité de production de tout autre pays signataire de l'accord, sans aucune obligation de maintenir sa viabilité, le niveau d'emploi, ou même sa présence dans le pays ;
⚫ posséder toute ressource naturelle de n'importe quel autre pays, et aussi les droits, concessions, permis ou autorisations pour exploiter son pétrole, ses forêts, minéraux, ou toute autre ressource, sans aucune obligation de s'assurer du renouvellement de ces ressources, ou de les utiliser dans l'intérêt du pays d'accueil ;
⚫ soumissionner pour acheter n'importe quelle infrastructure publique ou bien social sans aucune limite de contrôle étranger permis par la loi.
Lorsqu'une société de la couronne, un service public ou autre entreprise gouvernementale est privatisée, l'AMI stipule que cette entreprise ou société doit être offerte pour soumission à tous les investisseurs du secteur privé de tous les pays membres de l'AMI. Par exemple, si une province privatise ses installations hydroélectriques, il n'y a rien qui empêche qu'elles soient achetées par des étrangers. D'ici quelques années, les transports publics, l'éducation, et la protection de la police pourraient fort bien être fournis non pas par les gouvernements, mais par le secteur privé. C'est la tendance vers laquelle nous dirige les grandes multinationales.
L'AMI va hâter un « nivellement vers le bas en rendant plus facile aux investisseurs le déménagement de leurs compagnies d'un pays à un autre (pour s'installer dans un pays où la main-d'œuvre est moins chère, par exemple). Cela pourrait amener les pays à baisser les salaires de leurs travailleurs et leurs normes concernant la sécurité et l'environnement, afin d'attirer les investissements étrangers.
Avec cet accord, les compagnies auront le droit de poursuivre les gouvernements, qui seront jugés par un tribunal international, dans les cas où ces gouvernements voteraient des lois qui pourraient porter atteinte aux profits des compagnies. Toute loi visant à protéger l'environnement et la santé publique pourrait ainsi être considérée par un investisseur étranger comme étant injuste. Par exemple, si une loi oblige un producteur étranger d'automobiles à installer un système antipollution sur ses autos, cette compagnie peut trouver cette loi discriminatoire, et poursuivre le gouvernement, qui devrait abolir la loi en question, et payer une amende à la compagnie pour lui avoir causé du tort ! Lorsqu'ils sont poursuivis par une compagnie, les gouvernements sont obligés (par « consentement inconditionnel », dit le traité) de comparaître devant le tribunal international. Les membres de ce tribunal établissent leurs jugements non pas sur les lois du pays poursuivi, mais sur les règles de l'AMI. Tout jugement de cette cour est final et sans appel, ainsi que les dommages-intérêts accordés par la cour.
En fait, l'AMI stipule que toute loi nationale qui viole les règlements de l'AMI peut être abolie (immédiatement, ou après une courte période), et il interdit de passer toute loi semblable dans l'avenir. Cela signifierait l'abolition de plusieurs lois nationales et provinciales existantes protégeant l'environnement, les ressources naturelles, la santé publique, la culture, le bien-être social, et la main-d'œuvre. Il serait interdit, par exemple, de bannir la production ou vente de produits dangereux, ou de voter des lois pour conserver les ressources naturelles ou les terres agricoles. La capacité des gouvernements à encourager le développement économique local serait aussi restreinte, parce que des compagnies étrangères pourraient se considérer comme étant désavantagées par de telles lois.
Une fois que les gouvernements signent cet accord, il est extrêmement difficile pour eux d'en sortir. La plupart des traités internationaux requièrent qu'un pays avertisse six mois à l'avance qu'il veut quitter le traité. L'AMI va beaucoup plus loin. Les pays signataires de l'AMI ne peuvent se retirer de l'accord qu'après cinq ans, et même après cela, les dispositions de l'AMI continuent de s'appliquer pendant quinze ans supplémentaires dans ces pays ayant quitté l'AMI, pour "protéger les investissements en place au moment du retrait. En d'autres mots, une fois qu'un pays a signé cet accord, il est pratiquement pris au piège pour une période de 20 ans, donnant aux compagnies une garantie « blindée que les règles de l'AMI s'appliqueront pendant au moins 20 ans.
Supposons, par exemple, que le Canada ratifie l'AMI à la fin de 1998, mais qu'en 2001, un nouveau gouvernement et premier ministre sont élus, et qu'ils ont une opinion différente concernant cet accord et les investissements étrangers. Eh bien, ils devront attendre jusqu'en 2003 avant de pouvoir retirer le Canada de l'AMI, et les compagnies étrangères déjà installées au Canada pourront bénéficier des droits spéciaux de l'AMI jusqu'en 2013.
Ce qui unifie les compagnies et les investisseurs qui poussent le passage de cet accord est la perspective d'être libérés complètement de toute contrainte nationale, et de n'avoir plus de compte à rendre à aucun gouvernement ni à aucun groupe de citoyens. Ils n'auront pas de compte à rendre à personne concernant la manière dont ils utiliseront ou exploiteront les marchés, ressources, subventions et actifs des 29 pays membres de l'OCDE, et bientôt, de tous les pays de la terre, auxquels on voudra aussi imposer cet accord. Si l'AMI est adopté, les multinationales régneront en maîtres.
Pour les Canadiens, le vrai danger est que l'AMI soit ratifié sans aucun débat public, et sans que les citoyens du pays n'aient connaissance de ses effets néfastes. Heureusement, de plus en plus de personnes et de groupes dénoncent cet accord honteux. Par exemple, 600 organisations non-gouvernementales ont émis un communiqué conjoint pour dénoncer l'AMI.
Le 24 novembre dernier au Vatican, lors de l'Assemblée spéciale du Synode des évêques pour l'Amérique, Mgr Henri Goudreault, o.m.i., archevêque de Grouard-McLennan, en Alberta, déclarait : « La globalisation de l'économie poussée par les multinationales est une réalité. Les géants de la finance mettent les gouvernements en état de concurrence pour obtenir des garanties et des avantages toujours plus généreux. Deux cent multinationales contrôlent plus du quart de l'activité économique mondiale. L'Accord Multilatéral sur l'Investissement (AMI), en voie de négociation, leur donnera encore plus de pouvoir et de liberté. »
Maude Barlow, présidente du Conseil des Canadiens, a dit : « Les multinationales sont maintenant devenues si immenses et puissantes qu'elles ont remplacé l'État-nation en tant que structures de pouvoir dans l'économie mondiale... Pas surprenant que les chefs d'État des différents pays de la planète se rendent maintenant chaque année au Forum Économique Mondial à Davos, en Suisse, pour courtiser les plus puissants dirigeants de compagnies afin d'attirer des investissements dans leurs pays. Ils savent tous trop bien même s'ils ne le diront pas ouvertement à leurs concitoyens que même s'ils sont censés gouverner, ce ne sont plus eux qui nous dirigent.
« L'AMI est une proposition dangereuse et profondément antidémocratique. Elle donne un statut d'État-nation au capital privé, et le pouvoir politique aux multinationales, pour former le monde à leur image. Ce qui est plus grave encore, c'est qu'une fois l'accord signé, on ne peut en sortir avant 20 ans. Nous pouvons, et devons dire non à cet accord. »