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Lettre à mes deux députés

le dimanche, 15 septembre 1940. Dans Réflexions

Mes chers députés,

Vous m'excuserez de vous rédiger une lettre collective. Mais je vous trouve tellement pareils, que, avec quelques circonstances atténuantes différentes, ce que j'écris à l'un peut aussi bien être lu par l'autre.

L'un de vous deux, il est vrai, touche $4000 par année, tandis que l'autre n'en a que $2,800. Mais le premier va plus loin, bâille plus longtemps, m'enchaîne plus brutalement et me vend plus lâchement.

Par ailleurs, tous les deux, vous aviez le cœur sur les lèvres et trois octaves de trémolo dans la voix pendant votre blitz-tournée à travers mon comté aux dernières élections. Qu'on vous a donc applaudis ! C'était si beau de vous entendre ! Et ce "Je reviendrai vous voir, parce que je vous appartiendrai tout entier !"

On ne vous a pas revus. Mais c'est que vous étiez bien occupés. Une session à Ottawa. Une session à Québec. Vous travailliez pour nous, mes bons députés, et on en a eu la preuve. La conscription à Ottawa, la taxe de vente à Québec — sans parler d'autres souvenirs savamment élaborés au cours de vos laborieuses veilles parlementaires. Vous n'avez oublié ni nos personnes ni nos portefeuilles.

Reviendrez-vous bientôt nous voir ? Je vous dis qu'il est grand temps, si vous ne voulez pas qu'il se monte de cabales contre vous.

Je viens d'en faire, moi aussi, une veillée parlementaire ; pas dans vos grandes bâtisses, parce que personne ne me verse d'indemnité. Mais j'ai tout de même parlementé, et c'était aussi animé que dans vos débats d'avocats.

Mon neveu, pour un, celui qui travaille à Québec, ne se gêne pas pour dire que, malgré tous vos engagements solennels pour améliorer la machine publique, il ne fait pas un sou de plus par semaine, il n'a rien de plus pour vivre, mais il doit payer plus cher ce qu'il achète. Tous les ouvriers sont dans le même cas, ajoute-t-il.

Puis il y a mon cousin, celui qui chôme à Montréal. Il peste contre le plan Bouchard et trouve que, travail ou pas travail, la même misère règne dans ses quatre murs. Pas plus de chance de quitter son taudis, pas plus d'adoucissement pour sa femme et ses enfants.

Il y a bien moi aussi. J'ai exactement la même difficulté à vendre mes produits agricoles. L'argent manque partout et vos gouvernements m'en demandent de plus en plus. Trois grands garçons à établir. L'un vient de finir ses études ; une seule carrière ouverte : l'enrôlement.

Vous aurez beau tourner votre langue comme vous voudrez, ce sont les résultats qui comptent pour nous autres qui n'avons pas encore appris à vivre dans les nuages et qui n'avons pas encore eu le privilège de vivre aux dépens des payeurs de taxes.

Il se fait bien des murmures contre vous et, si vous n'y mettez la main, vous pouvez vous attendre à du nouveau dans votre comté.

Savez-vous bien que, pendant que vous restez dans votre bureau, quelqu'un est venu tenir une grande assemblée publique dans ma paroisse, mardi soir dernier. Un homme ordinaire, pas un politicien.

Je ne sais comment ça se fait, mais presque tout le monde y était. Même qu'il en est venu de paroisses voisines.

L'orateur nous a parlé pendant deux heures. On écoutait tous comme des enfants d'école. Et c'était beau. Pas de l'éloquence comme vous autres. Ah ! non. Il parle comme nous et on comprend tous les mots. Mais il nous explique des choses qu'on n'avait jamais apprises. Il ne nous fait pas applaudir, mais c'est la clarté même.

Et maintenant, mes chers députés, tout le monde dans la paroisse dit qu'il a raison. Vous autres, vous ne nous avez jamais rien enseigné. Vous nous considérez comme des badauds qu'on amuse ou comme un troupeau qu'on exploite.

Lui, dans la soirée, nous a démontré pourquoi on manque d'argent, et pourquoi on ne manque que d'argent dans le pays. Puis ce qu'il faudrait faire. Et nous sommes de plus en plus convaincus que nous devrons nous débarrasser des ignorants et des incompétents qui nous divisent au lieu de nous unir, qui nous gavent de mots pendant qu'on nous met de plus en plus dans le pétrin.

Je brûle de vous faire un petit discours et de vous prouver que j'en sais maintenant plus long que vous. Mais me feriez-vous l'honneur de m'écouter, vous qui n'avez de respect pour vos électeurs que trois ou quatre semaines tous les quatre ou cinq ans ? Je préfère vous envoyer un exemplaire du petit journal Vers Demain, qui se lit de plus en plus dans la paroisse depuis la visite dont je vous ai parlé.

Sur ce, remerciez-moi.

Électeur oublié.

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