La demande des 2,585 colons de 40 paroisses de l'Abitibi et du Témiscamingue, portée par M. Réal Caouette, de Rouyn, au sous-ministre de la colonisation, M. Brown, ne semble pas avoir été agréablement accueillie du ministre de la colonisation, qui se trouve être le premier ministre lui-même, l'honorable Adélard Godbout.
M. Godbout, écrivant à M. Caouette, le 10 mai, dit que les colons nécessiteux reçoivent chaque année, depuis longtemps, les graines de semence dont ils ont besoin. Le ministère connaît parfaitement — sans doute mieux que les colons eux-mêmes — les besoins des colons. Il a ses inspecteurs de colonisation pour cela.
Les renseignements transmis par M. Caouette sont, d'après l'Honorable Godbout, très inexacts.
Cela veut dire que les 2,585 colons qui ont spécifié leur demande ne savent pas ce qu'ils veulent. Ce sont des trompeurs. Ce sont des gens qui ne sont pas dans le besoin et peuvent très bien payer eux-mêmes leurs graines de semence.
Le premier-ministre trouve très étrange que les demandes de graines qui lui ont été soumises mentionnent, pour chaque paroisse, un homme pour recevoir et distribuer les graines que le gouvernement est prié de fournir. Oublie-t-on donc ses inspecteurs ?
* * *
Si les colons demandent des graines de semence, ce n'est toujours pas pour les placer dans un musée. C'est parce qu'ils en ont besoin. Même la présence d'inspecteurs n'empêche pas ces besoins, que les colons sont les premiers à reconnaître.
Puis, si les colons ont, dans chacune des 40 paroisses, choisi un homme de confiance, va-t-on les en blâmer ? Cet homme a en main la demande détaillée de chaque colon ; chaque colon l'a apportée lui-même ; et si les graines venaient à cet homme de confiance, chaque colon serait à même d'en vérifier la distribution.
Cela, il est vrai, favorise moins le patronage politique et oblige moins le colon à faire de beaux yeux à telle ou telle des créatures du gouverne-Ment. Mais les colons de l'Abitibi et du Témiscamingue ont cru que le temps est venu de reconnaître, dans la pratique, ce que l'on affirme depuis longtemps dans les discours.
Quoi qu'il en soit, comme l'écrit M. Caouette en répondant au premier-ministre, ce sont les résultats que les colons demandent, et tous les intéressés sont prêts à laisser le gouvernement s'en attribuer tout le crédit.
M. Godbout trouve indécent qu'un marchand, comme M. Caouette, vienne à Québec présenter la demande enregistrée des colons. Fallait-il que les 2,585 colons y vinssent eux-mêmes ? A-t-on pris l'habitude, à Québec, même sous le gouvernement de M. Godbout, de confier les fonctions du ministère de la colonisation, à commencer par le ministre lui-même, à des colons pur-sang ?
* * *
À ceux qui ne connaissent pas le Crédit Social ; à ceux qui pensent qu'il est impossible de toucher aux choses du pays sans la permission de ceux qui font et défont l'argent sans rapport avec les choses du pays, la demande des colons peut présenter des difficultés. Où prendre l'argent pour payer les graines ?
Ou il y a, ou il n'y a pas de graines de semence réclamant d'être mises en terre pour reproduire cinq, dix, cent pour un.
Puis, ou il y a ou il n'y a pas de terre pour recevoir la graine de semence avec des soins appropriés pour en tirer cinq, dix, cent pour un.
Si la graine n'existe pas, il faut le dire aux colons. Si la terre n'existe pas, il faut le dire aux marchands de graines.
Mais si les graines existent et la terre aussi, est-ce le manque de rectangles de papier ou de chiffres faciles à faire, qui doit empêcher la graine de trouver place en terre ?
Cela semble très simple, et c'est très simple. Mais c'est sans doute encore trop compliqué pour des têtes de ministres. Il leur faudra d'autres arguments, auxquels ils sont trop sensibles.