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Le vent tourne

le mercredi, 01 avril 1942. Dans La politique

Les journaux nous apprennent que, le 31 mars, le Dr William Temple, archevêque d'York (An­gleterre), succède au Dr Cosmo Lang sur le siège primatial de Cantorbéry. Il s'agit évidem­ment d'évêques protestants, nommés, non pas par le Pape, mais par le roi d'Angleterre. Tout de mê­me, comme l'Église anglicane possède une grande influence en Grande-Bretagne, et comme la Gran­de-Bretagne possède une grande influence dans l'empire britannique, il vaut la peine de considé­rer le caractère du primat protestant d'Angleterre.

D'abord, celui qui s'en va, le Docteur Cosmo Lang, âgé de 77 ans, est un ami intime du grand financier-banquier américain (ou mieux interna­tional) J. Pierpont Morgan. Morgan et l'arche­vêque Lang ont l'habitude de prendre vacances ensemble et faire des croisières sur le yacht privé de Morgan. Qui se ressemble s'assemble. Morgan et Lang ne doivent pas trouver difficulté à com­munier à la même philosophie. L'archevêque Lang se trouve sans doute plus à l'aise en compagnie de millionnaires qu'avec les pauvres membres du Christ.

On se rappelle aussi que l'archevêque de Can­torbéry, le Docteur Lang, joua un rôle de premier plan dans ce qu'on appela la crise du trône, pour forcer la démission du roi Edouard VIII. Ce roi avait le tort impardonnable de critiquer publique­ment un système qui tient le monde dans la pau­vreté en face de l'abondance. Plusieurs y ont vu la cause principale de sa mise au rancart. Il y avait bien, il est vrai, une idylle, une juive, une divorcée ; mais cela, c'est l'occasion, et lorsque la cause existe, il est relativement facile de trouver ou faire naître une occasion qui aura l'avantage de camoufler la relation de cause à effets.

À la même époque, d'ailleurs, Stanley Baldwin était premier-ministre d'Angleterre. Âgé, Bald­win ne voulut pas se retirer avant d'avoir réglé la question d'Edouard VIII, qu'il considérait com­me le principal acte de son passage au pouvoir. Or, ce M. Stanley Baldwin était l'ami intime de Montagu Norman, gouverneur de la Banque d'Angleterre et despote financier du monde. C'est aussi sous le ministère Baldwin que le gouverne­ment céda ses dernières prérogatives monétaires à la Banque d'Angleterre, que la figure du roi cessa de paraître sur les livres sterling pour faire place à celle de la dame mûre représentant la Banque. Cela ne parut sans doute pas un acte important à Baldwin ni à son cabinet.

Comme on voit, les dirigeants anglais d'hier s'entendaient bien : politiciens de la haute, banquiers de la haute, titulaires ecclésiastiques de la haute ; ni peuple ni roi n'y changeaient rien.

Mais le nouveau primat d'Angleterre ?

Le nouveau primat d'Angleterre, l'archevêque William Temple, alors archevêque d'York, fut à la tête du groupe d'évêques anglais de diverses religions qui énoncèrent en 1940 le fameux pro­gramme de Justice Sociale et de Reconstruction Économique pour l'après-guerre.

Un auteur anglais écrivait récemment : "L'ar­chevêque Temple ne s'est jamais déclaré créditis­te ; mais il en a le ferment. La même personne qui m'a gagné au Crédit Social a aussi orienté les idées économiques de l'archevêque d'York".

C'est l'archevêque Temple qui, blâmant la phi­losophie qui veut faire du travail la fin de l'écono­mique, disait : "Si vous avez de l'argent, vous avez des loisirs ; mais si vous n'avez pas d'argent, vous avez le chômage. Personnellement, je doute pas­sablement de la bénédiction du travail." ( dans le sens restreint ordinaire). Le nouveau primat comprend que, dans le monde motorisé actuel, le choix n'est pas entre l'emploi et le non-emploi, mais entre les loisirs et le chômage, et c'est la pré­sence ou l'absence de l'argent qui confère au non-emploi le caractère de loisirs ou celui de chômage.

Le programme social et économique, élaboré par la Commission ecclésiastique dont l'archevêque d'York était le président, renferme des expressions comme celles-ci :

"Le programme se propose de créer une écono­mie d'abondance, avec les intérêts du consomma­teur comme principal régulateur de la produc­tion... Le niveau minimum de vie et d'éducation d'avant-guerre n'avait aucun rapport avec la ca­pacité productive de la société... L'émission de monnaie (y compris le crédit) sera scientifique­ment dirigée pour conserver la stabilité de l'unité monétaire, pour maintenir un flot constant de pro­duction au meilleur niveau possible et pour gar­der le pouvoir d'achat du public au niveau de la production ainsi obtenue".

Le nouveau primat anglican de Grande-Breta­gne est certainement moins loin du Crédit Social que son prédécesseur. Cela ne veut pas dire que le Crédit Social va recevoir de lui son investiture. Mais c'est un signe des temps. Le monde, partout, veut un changement. Même en Angleterre, où la guerre a forcé les grands à se frôler un peu aux gueux.

Un changement. Lequel ? Il y a dans maints mi­lieux élevés une forte tendance au socialisme d'É­tat. La présence du pro-communiste Sir Stafford Cripps au premier poste politique après M. Churchill, n'est pas sans laisser penser. Si le vent tour­ne, les créditistes de partout ont besoin d'être at­tentifs pour le prendre dans leurs voiles.

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