Ceux qui entreprennent d'entraver le progrès du Crédit Social s'aperçoivent vite de leur impuissance à détruire le moindre argument de cette doctrine économique. Ils sont alors portés à recourir à l'attaque directe et personnelle, vestiges d'un régime révolu de mesquines luttes politiques, tristes et stériles méthodes que les partis politiques ont implantées, nourries, développées et encouragées chez nous. Ou bien ils passent un jugement sommaire sur le Crédit Social, sans l'étayer sur aucune preuve.
Peut-être, des hauteurs où ils trônent, croient-ils la foule incapable de les comprendre ou indigne d'une explication.
On aimerait tout de même quelque argument, quelque démonstration. Il n'y en a pas dans l'enfilade des clichés usés, répertoire familier aux orateurs de luttes électorales bleues ou rouges :
"Défiez-vous de ce faux prophète !
Gare à cet hypocrite, profiteur camouflé ! Beau parleur, pour exploiter vos poches ! Communiste dissimulé !
Semeur de germes morbides !
Propagateur d'idées révolutionnaires !.
Démolisseur de l'ordre ! Exagérations !"
Et autres condamnations sommaires du même genre. De tout cela, aucune preuve, assertions purement gratuites par lesquelles on espère impressionner les faibles et préjuger les esprits.
Il est une étiquette qu'on aurait voulu particulièrement coller au drapeau du Crédit Social — celle de charlatanisme.
Certes, à la manière dont vont les choses, nous sommes les premiers à penser qu'il doit se trouver quelque part des charlatans. Reste à savoir où.
Ceux-là même qui traitent les créditistes de charlatans admettent donc qu'il y a quelque chose à soigner, que la société réclame des remèdes. Qu'on cherche un médecin ou qu'on cherche un charlatan, c'est parce quelque chose ne va pas. Qui est au chevet du malade aujourd'hui — un expert médical ou un charlatan ?
Des charlatans, des guérisseurs de fortune, des exploiteurs de la confiance d'une société malade, nous ne doutons ni de leur existence, ni de leur habileté à faire accepter leurs prescriptions.
Mais les charlatans sont-ils ceux qui préconisent un ordre nouveau, orienté vers le bien commun, plaçant l'homme au-dessus de l'argent ? Ou ne serait-ce pas plutôt les puissants de l'heure, qui cherchent à maintenir à tout prix le désordre économique, cause de misère, de pauvreté et d'esclavage ?
Charlatans, oui, ces gavés, ces repus, qui tournent autour des maîtres du jour, épiant les moindres faveurs, bien plus attentifs à leurs intérêts égoïstes qu'à la santé de toute une nation.
On a pensé — trop longtemps, — que des docteurs ès-sciences politiques et économiques, occupants de chaires célèbres ; que des hauts diplômés, des porteurs de parchemins accrédités, pourraient régler les crises et alléger les souffrances humaines. Cependant, qu'en fut-il ?
On accuse gratuitement les créditistes d'être des charlatans. Qu'on regarde donc ce qui se passe dans le monde à l'heure actuelle, avec ceux qui nous dirigent. Nulle part, ce ne sont des créditistes qui tiennent le sceptre ; il reste entre les mains des "sages". Et pourtant, presque toutes les nations se ruent sauvagement les unes contre les autres. Qui mène le monde aujourd'hui ? Des hommes d'État ou des charlatans ? Pas même des charlatans de bonne foi.
Hésitera-t-on entre une doctrine comme le Crédit Social, qui prêche la coopération et la paix dans l'abondance, et celle de la privation artificiellement imposée par une finance diabolique, qui pousse les individus et les peuples à s'entre-manger comme des affamés, devant des montagnes de produits de toutes sortes ?
Qui étaient les charlatans au pouvoir lors de l'arrêt subit des activités économiques en 1930 ? N'y avait-il pas un chef libéral du nom de Mackenzie King à Ottawa, un autre chef libéral du nom d'Alexandre Taschereau à Québec ? De crédidistes, point ; et pourtant on a eu pendant dix années le spectacle bête de gens crevant de faim en face de l'abondance.
Vous voulez savoir où sont les charlatans qui se mêlent de conduire le monde ? Dix ans avant 1930, on eut une autre immobilisation sans causes naturelles. Cette fois, en 1920, c'est un chef conservateur, Robert Borden, qui gouvernait à Ottawa depuis 1911, et un libéral, Sir Lomer Gouin, qui dirigeait les destinées de la province de Québec. Et dans ce temps-là, comme aujourd'hui, la science économique avait ses étoiles ; les universités du Canada, d'Amérique et d'ailleurs fournissaient des diplômés en série. Point de créditistes dans tout cela. Où sont les charlatans ?
D'autres périodes de dépression, de râfles, de ruines, qu'on ne peut imputer ni à la Providence ni aux saisons, ont traversé le ciel d'autres administrations rouges ou bleues, pour ne parler que du Canada. Aucun créditiste dans tout cela. Aucun créditiste dans la crise de 1907 ; aucun en 1893, aucun en 1873. Et puisque la pluie continuait de tomber, le soleil de briller, le sol d'être fertile, il y avait du charlatanisme quelque part. Qui sont les charlatans ?
Pendant que des mlultitudes souffrent et s'exaspèrent, on tâtonne, on banquette, on tergiverse, on discutaille. On excuserait des fous de s'amuser ainsi ; mais chez ceux qui tiennent les rênes, c'est simplement criminel.
Que les criminels, criminels de la finance ou de la politique, et ceux qui chantent pour eux, continuent, si ça leur fait plaisir, de traiter les créditistes de charlatans, cela n'empêchera pas les créditistes de poursuivre l'étude et l'organisation pour des résultats. Ceux-ci s'en viennent d'ailleurs. L'époque des gouvernements serviles tire à sa fin, celle des réalisateurs approche.
Dans quelques années, ceux qui crient au charlatanisme du Crédit Social, devront jouer autrement leur flûte s'ils ne veulent pas se faire tout à fait conspuer. "Tout de même, dira-t-on un peu partout, ces tenaces de créditistes avaient le bon remède !" Et, se rappelant les jours où des nullités coloriées se succédaient sur la colline, ceux qui n'auront pas perdu la mémoireajouteront : "À vrai dire, dans ce temps-là, on n'avait pas grand'-chose pour gouverner le pays — pas même des charlatans."
Odilon Guimont