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Le diable ne se convertira pas

le lundi, 01 juin 1942. Dans Réflexions

Il en est qui, en admiration devant une charte d'Atlantique ou des déclarations d'hommes haut perchés, se leurrent de l'espoir d'une après-guerre idéale, toute de sécurité économique et de liberté, avec dégrèvement de taxes et disparitions des mille contrôles vexatoires auxquels on nous sou­met comme "mesures de guerre".

Nous voulons bien espérer cela, nous aussi, mais à condition d'être organisés pour en forcer la réa­lisation. Rien ne viendra tout seul. Ceux qui'con­duisaient le monde avant la guerre en l'endettant et en le liant, continuent, pendant la guerre, de lui faire accepter encore plus de dettes et de liens, et, après la guerre, continueront exactement dans la même direction, si notre passivité leur laisse la manette entre les doigts.

Ceux qui en doutent n'ont qu'à méditer l'extrait suivant d'une déclaration faite en plein Parlement anglais, le 14 avril, par Sir Kingsley Wood, Chan­celier de l'Échiquier (ministre des Finances) du cabinet Churchill :

"Plus on étudie la probabilité de la situation d'après-guerre, plus il devient apparent que, pour plusieurs raisons, on se tromperait complètement en attendant l'élimination, d'un coup de plume, des contrôles économiques et financiers qui ont servi à notre effort de guerre. Il ne peut en être ainsi. Le retour à la normale après la concentra­tion actuelle des programmes d'importation, de la main-d'œuvre domestique et de l'activité produc­tive vers la poursuite de la guerre ; le besoin d'a­méliorer notre balance de commerce après la guerre par une expansion marquée de nos expor­tations ; la situation navale avec laquelle le monde se trouvera confronté en sortant de la guerre ; le besoin de financer notre reconstruction d'après-guerre aux plus bas taux d'intérêts possibles sont de simples exemples pour montrer qu'il ne fau­drait pas abandonner soudain plusieurs de nos contrôles économiques et financiers du temps de guerre..."

Deux fois dans trois phrases, le ministre anglais nous dit qu'il faudra continuer un certains temps (autant dire perpétuer) les rigides contrôles écono­miques et financiers imposés par la guerre. Un contrôle s'impose bien d'un trait de plume, mais ne se déloge point si vite. L'ennemi militaire sera parti, mais le dictateur financier doit demeurer.

Remarquez aussi que le Chancelier de l'Échi­quier nous parle déjà des exportations à pousser. Vous pensiez peut-être l'industrie anglaise affec­tée, paralysée pour longtemps ? Vous vous imagi­niez que le Canada, après la guerre, aurait fort à s'occuper pour approvisionner l'Angleterre ? Que point. L'industrie moderne s'adapte et se met en branle presque du soir au matin. La course aux exportations reprendra bel et bien, le chômage technique aussi, avec un marché domestique sans argent — toujours à supposer qu'on garde les mê­mes règlements de finance. Or le ministre, confrère de cabinet du père anglais de la charte des flots bleus, ne semble point avoir même l'idée d'autres règlements, puisqu'il parle de reconstruction finan­cée par de l'argent-dette, par des réclamations d'intérêts, exactement comme la guerre elle-même.

Les créditistes sont de ceux que les noms, les prestiges, les déclarations retentissantes portées par la propagande aux quatre coins du monde,, n'hypnotisent point. Ils comptent plutôt sur eux-mêmes. Le demain que nous voulons, nous ne l'at­tendons ni des exploiteurs d'hommes, ni de leurs pions de la politique ; nous le préparons nous-mêmes, et dès aujourd'hui.

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