Le cardinal Francis George. o.m.i., archevêque de Chicago aux États-Unis de 2007 jusqu'en septembre 2014, a été un grand défenseur de l'Église catholique contre les attaques de l'État et des laïcistes. Maintenant âgé de 77 ans et devant combattre un cancer, il avait écrit en novembre 2012 dans le "Catholic New World", journal officiel de l'archidiocèse de Chicago, des mots laissant entrevoir une persécution accrue de l'Église catholique avant des jours meilleurs: «Je mourrai dans mon lit, mon successeur mourra en prison et son successeur à lui mourra martyrisé sur la place publique. Mais, après celui-là, un autre évêque recueillera les restes d’une société en ruines et il aidera lentement à reconstruire la civilisation, comme l’Église l’a fait à de nombreuses reprises au cours de l’Histoire».
Le 7 septembre 2014, dans le même journal diocésain, le cardinal Georges signait un éditorial qu'on pourrait qualifier de testament spirituel, déclarant que les États-Unis ont désormais leur «religion d’État»: le laïcisme. Une religion qui s’impose parfois avec la même brutalité que «la charia». Voici ce texte en entier du cardinal Georges, dans sa traduction française. Le titre choisi par le cardinal pour son éditorial, A Tale of Two Churches (Le conte de deux Églises — l'Église catholique fondée par Jésus Christ, et la religion d'État, le laïcisme), est dérivé du titre d'un célèbre roman de l'écrivain anglais Charles Dickens, A Tale of Two Cities (le conte de deux cités):
Il était une fois une Église fondée au moment où Dieu est entré dans l’histoire humaine afin de donner à l’humanité un chemin vers le salut éternel et le bonheur avec lui. Le Sauveur envoyé par Dieu, son Fils unique, n’écrivit pas de livre mais fonda une communauté, une Église, sur le témoignage et le ministère de douze apôtres. Il envoya à son Église le don de l’Esprit-Saint, l’esprit d’amour entre le Père et le Fils, l’Esprit de la vérité que Dieu avait révélée sur lui-même et sur l’humanité en faisant irruption dans l’histoire de l’humanité pécheresse.
Cette Église, communion hiérarchique, a continué son chemin au cours de l’histoire, vivant parmi différents peuples et cultures mais toujours guidée pour ce qui fait l’essentiel de sa vie et de son enseignement par le Saint-Esprit. Elle se disait «catholique» parce qu’elle avait pour raison d’être et pour but de prêcher une foi universelle et une moralité universelle, qui embrassent tous les peuples et toutes les cultures. Cette prétention devait souvent provoquer des conflits avec les classes dominantes de nombreux pays. Au bout de quelque 1800 ans de son histoire souvent orageuse, cette Église s’est retrouvée en tant que tout petit groupe dans un nouveau pays de l’Amérique du Nord-Est qui promettait de respecter toutes les religions parce que cet État ne serait pas confessionnel; il n’allait pas tenter de jouer le rôle d’une religion.
Cette Église savait qu’elle était loin d’être socialement acceptable dans ce nouveau pays. L’une des raisons pour lesquelles celui-ci avait été créé était précisément de protester contre la décision du roi d’Angleterre de permettre la célébration publique de la messe catholique sur le sol de l’Empire britannique dans les territoires catholiques du Canada nouvellement conquis. Il avait trahi le serment de son couronnement par lequel il s’était engagé à combattre le catholicisme, défini comme «le plus grand ennemi de l’Amérique», et de protéger le protestantisme, en mettant la religion pure des colonisateurs en danger, leur donnant ainsi le droit moral de se révolter et de rejeter son règne.
Pour autant, bien des catholiques dans les colonies américaines pensaient que leur vie pourrait être meilleure dans ce nouveau pays plutôt que sous un régime dont la classe dominante les avait pénalisés et persécutés depuis la moitié du XVIe siècle. Ils ont pris ce nouveau pays comme le leur et l’ont servi fidèlement. Leur histoire sociale n’a pas manqué de conflits, mais de manière générale l’État (américain) a gardé sa promesse de protéger toutes les religions et de ne pas s’opposer à leur égard en faux rival, comme une fausse Église. Jusqu’à tout récemment. (...)
Ces dernières années, la société a revêtu d’approbation sociale et législative toutes sortes de relations sexuelles autrefois qualifiées de «péchés». Puisque la vision biblique de ce que signifie le fait d’être humain nous dit que toute amitié, tout amour ne peut s’exprimer au moyen de relations sexuelles, l’enseignement de l’Église sur ces questions est désormais une preuve d’intolérance à l’égard de ce que la loi civile affirme, voire impose. Là où jadis on demandait de vivre et de laisser vivre, on exige maintenant l’approbation. La «classe dominante» – ceux qui façonnent l’opinion dans les domaines de la politique, de l’éducation, de la communication, du divertissement – utilise la loi civile pour imposer à tous sa propre forme de moralité. On nous dit que, même au sein du mariage, il n’y a pas de différence entre hommes et femmes, alors que la nature et nos corps eux-mêmes apportent la preuve évidente qu’hommes et femmes ne sont pas interchangeables à volonté lorsqu’il s’agit de former une famille. Néanmoins, ceux qui ne se conforment pas à la nouvelle religion – nous avertit-on – mettent leur citoyenneté en péril. (...)
Pour beaucoup de catholiques, le résultat inévitable est une crise de la foi. Tout au long de l’histoire, lorsque les catholiques et les autres croyants de la religion révélée ont été contraints de choisir entre être enseignés par Dieu ou instruits par des politiciens, des professeurs, des éditorialistes de grands journaux et des artistes du monde du divertissement, nombreux sont ceux qui ont choisi d’aller du côté du pouvoir. Cela permet d’amoindrir une importante tension au cœur de leur vie, même si cela entraîne aussi l’idolâtrie d’un faux dieu. On n’a pas besoin de courage moral pour se conformer au gouvernement et à la pression sociale. Il faut une foi profonde pour «nager à contre-courant», ainsi que le pape François a encouragé les jeunes à le faire lors des JMJ de l’été dernier.
Nager à contre-courant signifie limiter son propre accès aux positions de prestige et de pouvoir au sein de la société. Cela veut dire que ceux qui choisissent de vivre conformément à la foi catholique ne seront pas les bienvenus en tant que candidats politiques aux postes nationaux, qu’ils ne feront pas partie des conseils éditoriaux des grands journaux, qu’ils ne seront pas chez eux dans la plupart des facultés universitaires, qu’ils ne feront pas une belle carrière d’acteurs ou d’artistes. Ni eux, ni leurs enfants, qui seront également suspects. Dans la mesure où toutes les institutions publiques, peu importe qui les possède ou les fait fonctionner, seront agents du gouvernement et conformeront leurs activités aux exigences de la religion officielle, l’exercice de la médecine et du droit deviendra plus difficile pour les catholiques fidèles. Cela signifie déjà dans certains États que ceux qui ont des entreprises sont obligés de conformer leur activité à la religion officielle ou payer une amende, de même que les chrétiens et les juifs doivent payer une amende à cause de leur religion dans les pays gouvernés par la charia (la loi islamique).
Celui qui lit le conte des deux Églises, un observateur extérieur, pourrait noter que la loi civile américaine a beaucoup fait pour affaiblir et pour détruire l’unité de base de toute société humaine : la famille. Alors que s’affaiblissent les contraintes internes qu’enseigne toute saine vie familiale, l’État aura besoin d’imposer toujours plus de contraintes extérieures sur l’activité de chacun. L’observateur extérieur pourrait également noter qu’inévitablement, l’imposition par la religion officielle à tous les citoyens et même au monde entier de tout ce que ses adeptes désirent, engendre le ressentiment. L’observateur pourrait faire remarquer que le statut social joue un rôle important dans la détermination des principes de la religion d’État officielle. Le «mariage des couples de même sexe», pour prendre un exemple actuel, n’est pas une question qui intéresse les pauvres ni ceux qui sont en marge de la société.
Comment ce conte se finit-il? Nous n’en savons rien. La situation actuelle est évidemment bien plus complexe que celle du scénario d’un conte, et il y a beaucoup d’acteurs et de personnages, y compris au sein de la classe dominante, qui ne veulent pas voir leur cher pays se transformer en fausse église. On aurait tort de perdre espoir, puisqu’il y a tant de gens bons et fidèles.
Les catholiques savent, avec la certitude de la foi, que lorsque le Christ reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts, l’Église, qui sera reconnaissable d’une manière ou d’une autre dans sa forme catholique et apostolique, sera là pour l’accueillir. Il n’y a aucune garantie divine de cette sorte pour quelque pays, culture ou société de quelque époque que ce soit.
+ Cardinal Francis George, OMI.