EnglishEspañolPolskie

Le Bloc Populaire

le dimanche, 01 novembre 1942. Dans La politique

Plusieurs lecteurs nous demandent quelle attitude les créditistes organisés de la province de Québec vont prendre vis-à-vis du nouveau groupement politique — le Bloc Populaire Canadien de M. Raymond.

Notre champ d'action

Les créditistes organisés de la province de Québec, ceux du moins qui partagent notre point de vue général et qui adhèrent à l'Association Créditiste, déploient leurs activités dans le domaine économique, laissent s'agiter les politiciens et travaillent à édifier un pays indépendant, autrement que par des paroles ou par des élections.

D'aucuns nous ont fait la remarque que nous avions l'air de bâtir un État : nous ne les avons point contredit.

Tout de même, les créditistes auront, comme les autres, leur devoir d'électeur à accomplir lorsque l'heure viendra. Comment voteront-ils ?

Les créditistes voteront selon leur jugement. Ils accorderont leur préférence au candidat — s'il y en a un et qu'ils le connaissent — qui leur semble éclairé et sincère. Ils croiront davantage à sa sincérité s'il en a donné des preuves, non pas par quelques sorties et des jets d'éloquence, mais par une sollicitude constante à faire la lumière autour de lui et à grouper les esprits et les cœurs autour d'un objectif commun.

Ces hommes-là sont plutôt rares. Cherchez, en dehors des créditistes eux-mêmes, les hommes qui sont restés avec le peuple douze mois par année, ceux qui ne se sont pas retirés de dépit après un échec électoral, ou qui ne l'ont pas oublié après un succès le jour du scrutin.

Mais les créditistes n'attachent point leurs espoirs au résultat d'une élection. Ils s'organisent pour faire des leurs dans la vie économique de tous les jours. Et la même organisation leur servira, lorsqu'elle sera de taille, à se faire servir par les législateurs qu'ils paient.

Où le salut ?

Ce n'est point nous qui sommes pour dire à nos lecteurs de dénigrer le nouveau mouvement et de marcher dans le sillage de M. Godbout, ou de M. Duplessis, à Québec ; dans le sillage de M. King, ou de M. Meighen, à Ottawa. Nous sommes plus qu'écœurés de tout ce que ces politiciens de carrière nous ont donné jusqu'ici.

Mais ce n'est point nous, non plus, qui sommes pour conseiller à nos lecteurs de héler le salut de leur pays sous la bannière de M. Raymond. La coupe des déceptions est assez pleine.

Nous crierons de plus en plus fort à qui voudra nous entendre : "Si vous voulez vous sauver, sauvez-vous vous-mêmes. Si vous voulez délivrer votre pays de la dictature financière, délivrez-le vous-mêmes."

La vieille formule : "Votez pour moi et je vais tout redresser" nous laisse plus que froid.

Nous fûmes un peu surpris de lire la déclaration empressée d'un ancien chef politique, faite aussitôt après que M. Raymond eut annoncé son intention de fonder un nouveau parti. Des semaines avant de connaître le nom ou le programme du nouveau mouvement, cet ancien chef déclarait qu'il se présenterait certainement comme candidat à la suite de M. Raymond !

Pour une chose concrète

Le 27 avril dernier, le peuple de la province de Québec délaissait, au moins pour la journée, les vieilles lignes de partis, et votait un immense NON à la demande de M. King.

Ce jour-là, on a demandé au peuple de voter pour une chose concrète, non pas pour un homme ou pour un programme universel. Le peuple savait ce qu'il voulait, on l'a mis à même de le dire, et il l'a dit.

Le jour où on recommencera de la même manière, le peuple répondra aussi clairement.

Posez la question suivante au peuple de la province de Québec : "Voulez-vous avoir assez d'argent pour acheter tout ce dont vous avez besoin, tant que la production du pays peut le fournir ?" Vous verrez s'il ne répondra pas OUI. La manière dont cela lui sera donné, l'homme qui le lui donnera, c'est très secondaire.

Le programme du Bloc

M. Raymond nous dit qu'il envisage, non un parti, mais un bloc de tous les hommes et de tous les groupements de bonne volonté. Puis il donne le programme. Faut-il croire qu'il a consulté les hommes et les groupements de bonne volonté pour déterminer le programme du bloc ? Évidemment non. Est-ce alors son programme à lui ou le programme du bloc ?

À cela, nous répondrions que c'est un programme de généralités maintes fois édité depuis un demi-siècle et qui pourra sans doute l'être bien des fois encore, tant que le peuple abandonnera la tâche à ses politiciens, au lieu de s'en charger lui-même.

Nous avons lu ce programme ; et, par endroits, quelques questions surgissent dans notre esprit, les mêmes qui ont dû surgir dans l'esprit de tous les créditistes. Exemple :

"Il n'y a pas chez nous qu'un problème ouvrier, un problème de l'agriculture, un problème de la colonisation, un problème de la forêt, un problème des forces hydrauliques, un problème des mines, un problème des pêcheries, un problème d'hygiène ; il y a, au-dessus de tout, le problème général de la politique québécoise qui consiste à résoudre tous les problèmes énumérés ci-haut dans une vue d'ordre et de synthèse."

Fort bien. Mais pour faire une bonne synthèse, il faudra faire une petite analyse préliminaire de ces divers problèmes. Et si on les analyse tous successivement, on leur trouve un facteur commun : dans tous ces problèmes, il y a le problème d'argent. Le fondateur du nouveau mouvement politique va-t-il procéder à sa synthèse sans résoudre ce problème-là. Prétend-il mettre de l'ordre en respectant le désordre qui place nos vies dans le creux de la main d'un petit nombre d'hommes ?

Un peu plus loin :

"Le souci du capital humain exige au premier chef une politique familiale qui protégera, aidera la famille chrétienne nombreuse, lui facilitera l'éducation et le placement de ses enfants."

Nous en sommes. Et nous prierions le nouveau chef de demander à une mère ou à un père de famille qu'est-ce qui leur manque pour faciliter l'éducation de leurs enfants. Qu'est-ce aussi qui protégerait et aiderait efficacement une famille nombreuse ?

"C'est très bien, dit-il, d'améliorer l'hygiène physique, en favorisant les unités sanitaires, les sanatoriums, les hôpitaux, mais c'est encore mieux de supprimer les causes qui peuplent indûment les sanatoriums et les hôpitaux."

À la bonne heure. Qu'on supprime les causes, et surtout qu'on supprime ce qui empêche de supprimer les causes.

"Au lieu, par exemple, ajoute-t-il, de guérir les méfaits des taudis, nous ferons disparaître les taudis."

Avec quoi ? Personne n'aurait besoin du gouvernement pour sortir d'un taudis et se loger très convenablement si une certaine chose, bien plus facile à faire qu'une maison, ne lui manquait pas. Que va faire M. Raymond pour que cette chose, plus facile à construire qu'une maison, cesse de manquer lorsqu'on cesse de se tuer ?

La lueur d'espoir :

"Nous sommes bien déterminés à ne plus tolérer, sur la vie du Québec, ce que l'on appelle la dictature économique, et nous verrons à appliquer, sans retard ni faiblesse, les méthodes et les réformes les plus urgentes et les plus appropriées pour y mettre fin."

Les plus urgentes et les plus appropriées, sans retard : elles doivent être déterminées dans l'esprit du chef, ces méthodes et ces réformes — nous aimerions en avoir une petite idée.

Parlant des puissances adverses, M. Raymond s'écrie :

"Nous les vaincrons si tous les éléments sains de notre peuple sont décidés à les vaincre."

Oui, et voilà pourquoi il faut commencer par chercher les éléments sains, les grouper, les éclairer, les unir. Il est grand temps que M. Raymond s'y mette. Cela ne se fait pas que par des discours. Les créditistes ont une expérience de six années, sans relâche, dans ce genre de travail. Mais nous doutons fort qu'ils soient approchés pour faire bénéficier le nouveau groupement et de leur expérience et des petites lumières qu'ils croient posséder. C'est dans les milieux de politiciens que paraît se chercher le recrutement. Des hommes riches, comme le député fédéral de la Beauce ; ou des hume-vent, comme certains suiveux rouges de Québec ou d'Ottawa.

Conversion tardive

On est bien aussi un peu tenté de se demander pourquoi il a fallu au nouveau grand chef dix-sept ans de noviciat dans le parti rouge, à Ottawa, avant de s'apercevoir que les deux vieux partis n'étaient que deux clans pour se disputer les honneurs et les avantages du pouvoir.

Le peuple que M. Raymond veut sauver a souffert pendant ces dix-sept années : que faisait son sauveur ? Voilà une question que plusieurs, ne se gênent pas pour poser, parce qu'ils ne faut pas croire le peuple entièrement bouché. Ceux, au moins, que les créditistes ont éclairés sont difficiles à prendre à l'hameçon. Voici, par exemple ce que nous écrit un homme de Saint-Narcisse de Champlain, M. Eugène Bourdage :

"Pendant que nous étions menacés par la faim à cause de la haute finance ; pendant qu'on nous insultait en nous répétant que c'était notre faute, que nous étions des méchants ou des paresseux — où était M. Raymond dans ce temps-là ? Pourquoi ne s'est-il pas levé contre les trusts et la caisse qui lui fournissaient de l'argent pour son élection ? Comment est-il devenu si sincère si récemment ? N'était-il pas à Ottawa dans le temps où il n'y avait pas d'argent ni d'ouvrage pour le monde qui voulait vivre honnêtement ? Mais les nouveaux convertis vont sans doute s'apercevoir qu'il y a des gens qui se souviennent. Si nous n'aimons pas à mourir sous des balles sur les champs de bataille étranger, nous trouvons encore plus exaspérant de mourir de faim dans notre propre pays, en face de richesses incalculables. J'en pourrais écrire plus long ; mais je n'ai pas l'art de tenir une plume. Je n'ai pas eu, moi, assez d'argent pour aller cultiver des talents et chercher une profession dans une université ou à Paris. Les ignorants comme moi n'ont, paraît-il, que le droit de penser et la consolation d'être la risée des privilégiés qui montent."

Les créditistes ne perdront pas leur temps à se mettre en quatre pour hisser au pouvoir des gens qui ne connaissent la misère du peuple qu'à travers les vitres de leur bureau, et qui ne songent à parler au peuple que pour lui demander un mandat. Les créditistes ont trouvé quelque chose de plus effectif à faire, et ils y consacrent toutes leurs énergies. Ils sauront tout de même bien discerner le moins sale des candidats le jour des élections ; et, quel que soit le résultat du scrutin, ils continueront le lendemain leur travail de construction.

Poster un commentaire

Vous êtes indentifier en tant qu'invité.

Panier

Dernière parution

Infolettre & Magazine

Sujets

Faire un don

Faire un don

Aller au haut
JSN Boot template designed by JoomlaShine.com