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La politique – Une politique nouvelle

Louis Even le mardi, 15 juillet 1941. Dans La politique

Hier

Tout le monde s'accorde à dire que l'ordre existant — si ordre on peut l'appeler — n'est pas ce qu'il doit être.

Hitler parle d'un ordre nouveau. Le Japon aussi. Churchill aussi. Oui, Churchill aussi, et d'autres chefs moins gros le répètent après lui. Le monde d'après la guerre ne doit pas être ce qu'il était auparavant.

Donc, ceux-là même qui dirigeaient le monde d'avant la guerre se confessent aujourd'hui. Du moins ils confessent publiquement que ce qu'ils dirigeaient, ce qui était le résultat de lois faites par les parlements sous leur gouverne, ne vaut pas grand'chose.

Voilà un aveu public à noter.

Nous pourrions nous tourner vers nos chefs politiques d'hier et d'aujourd'hui et leur dire : "Messieurs, ce que vous nous avez donné, ce que vous avez laissé faire est donc mauvais. Vous l'avouez vous-mêmes à la face de l'univers. Qu'aurons-nous de vous demain ? Et pourquoi ne commencez-vous pas tout de suite à poser des actes pour redresser le désordre que vous admettez ?"

Demain

Qu'aurons-nous demain ? Qui nous le donnera ? L'obtiendrons-nous des mêmes hommes qui nous ont donné hier ce qu'eux-mêmes déclarent mauvais ? Les mêmes méthodes ne produiront-elles pas les mêmes résultats ?

Si ce que nous avons ne vaut rien ; si une poignée de gavés et une multitude d'affamés, en face du gaspillage de montagnes de biens, est un état de choses condamné par ceux mêmes qui ont conduit le navire de l'État, où faut-il regarder pour trouver quelque chose de désirable ?

Jetant les yeux sur le reste du monde, sur le monde qui n'est ni celui de Churchill, ni celui de Roosevelt, ni celui des autres démocraties, puisqu'on dit qu'il est mal organisé, nous trouvons le monde de Hitler, celui de Mussolini, celui de Staline. Voulons-nous de cela pour demain ?

Non, évidemment, puisque nous nous battons contre ces formes de totalitarisme.

Pas bon chez nous. Pas bon chez les autres. Les grandes voix que nous écoutons nous le disent... : nous en sommes convaincus depuis longtemps, bien avant les confessions inspirées par les circonstances tragiques de l'heure.

C'est donc du nouveau qu'il faut. Oui, du nouveau, un ordre nouveau.

Mais le nouveau, si c'est un ordre, ne se fera pas tout seul. L'ordre ne peut être le fruit que d'une intelligence, jamais le résultat du hasard. Une fois la guerre finie, qu'y aura-t-il de différent, si personne ne fait rien de différent ? Et qu'est-ce que vont faire de différent ceux qui tiennent actuellement le gouvernail, s'ils n'ont pu rien faire de mieux dans le passé qu'une chose qu'ils n'osent proclamer bonne aujourd'hui ? En quoi leurs méthodes montrent-elles le moindre changement ?

Si, tout au long de la guerre, on continue d'augmenter la dette publique, de renforcir la dictature de l'argent, de soigner ceux qui soignent les caisses des partis, peut-on s'imaginer qu'au sortir de la guerre, on va entrer dans le régime de liberté, de sécurité pour tous, de répartition sociale des richesses terrestres, dont on fait miroiter des lueurs de temps en temps dans quelques phrases immédiatement reproduites par tous les organes de la grande publicité ?

Si l'on ne s'applique pas, pendant la guerre, à former des hommes nouveaux, à étudier des formules nouvelles, à développer une école politique nouvelle, on aura exactement la continuation de l'avant-guerre, sinon pire.

La première chose à admettre, si l'on veut un changement, c'est donc que le changement devra être opéré par des hommes, non pas attendu de la température ni de la succession des jours et des nuits.

Puis, si l'on veut que le changement établisse un régime d'ordre, il devra être opéré par des hommes d'ordre. Des hommes d'ordre, ce sont des êtres raisonnables qui se servent de leur raison, au lieu de suivre la routine ou les dictées de puissances sans responsabilité. Des hommes d'ordre, poursuivant, dans leurs activités politiques, un objectif d'ordre, le bien commun. Des hommes d'ordre, qui savent d'où partir, où aller, quoi changer, quoi mettre à la place pour atteindre l'objectif.

Politique de coopération

Lorsque nous parlons d'hommes d'ordre pour établir un régime d'ordre, nous ne voulons pas dire des dictateurs conduisant les masses sans se soucier des aspirations de la multitude.

Nous croyons, au contraire, à la possibilité d'une véritable démocratie. Mais nous ne confondons la démocratie ni avec un simple mode d'élection, ni avec une politique de partis qui se font opposition.

Selon nous, les partis signifient la division. Les partis groupent les citoyens en camps opposés pour la conquête du pouvoir. Et nous ne voyons pas bien comment cette division puisse réaliser la puissance du peuple (demos kratos).

Comment peut-on obtenir des résultats qui répondent aux vues de l'ensemble avec une telle conception de la démocratie ?

Au lieu de la division et de la lutte, n'aurait-on pas de bien meilleurs résultats avec de la coopération, de la collaboration ?

Mais pour en venir là, il faut de la préparation. L'étude, pour connaître le bien commun, les aspirations générales ; puis la méthode coopérative, pour se faire servir.

Prenez le cas d'une coopérative. Un certain nombre de personnes s'assemblent et étudient un problème déterminé auquel toutes sont intéressées : production ou distribution de lait, de fruits, etc., selon le cas.

Ces personnes commencent par s'entendre sur l'objectif. Que veulent-elles toutes obtenir ? Est-ce une chose possible ? Oui : alors, d'un commun accord, elles vont décider de l'avoir. Elles vont se former en une coopérative, se choisir un bureau de direction, nommer un gérant.

Le gérant est payé par les coopérateurs, pas pour dire aux coopérateurs ce qui est bon ou mauvais pour eux, mais pour donner ou faire donner aux coopérateurs ce qu'ils veulent avoir.

Combien de temps durerait une coopérative qui consisterait à grouper les coopérateurs en deux camps opposés, l'un disputant à l'autre le droit de choisir le bureau de direction et le gérant ; les coopérateurs ne traçant aucun objectif au gérant, mais attendant de lui qu'il accorde au clan qui l'a élu des faveurs payées par tous ?

C'est pourtant ce qu'on trouve dans les grandes coopératives (?) des citoyens. Ce qui ferait horreur dans une association privée est à l'honneur dans la grande association publique.

C'est pour cela que les questions qui ne peuvent être réglées par des groupements privés, qui dépendent nécessairement de la grande gérance de l'État — tel le volume de l'argent d'un pays — ne sont jamais réglées. Au lieu de s'unir pour y voir, on se bat pour choisir qui aura le privilège de taxer et de signer les dettes publiques.

La politique de demain, celle que nous appelons politique nouvelle parce qu'elle n'existe pas encore, c'est la politique qui transportera sur le palier de la grande politique nationale les principes et les méthodes des coopératives privées.

Elle suppose des citoyens qui étudient pour déterminer leur objectif commun. Un peuple qui n'étudie pas ses problèmes ne mérite pas de s'en occuper ; il ne le peut intelligemment. Le régime qui lui convient est celui d'un troupeau sous la conduite d'un homme intelligent. Heureux ce peuple s'il a un maître qui ne se sert pas trop du fouet, qui ne rationne pas trop maigrement, qui ne conduit pas trop souvent à la boucherie. Dans le cas contraire...

Les partis politiques ne se sont jamais chargés d'instruire le peuple ; c'est pourquoi ils ne peuvent conduire qu'à l'anarchie ou à la dictature. À l'anarchie, où les gros mangent les petits, comme dans le bois. À la dictature, où quelques hommes, écœurés de l'anarchie et du chaos, veulent mettre de l'ordre à leur manière, tel qu'ils l'entendent, sans se donner la peine d'abord d'éclairer le peuple.

Méthodes nouvelles

Il est donc inutile de chercher l'épanouissement de la véritable démocratie, la politique de service, dans les luttes de partis. Il serait futile pour des réformateurs de prendre les mêmes moyens, de former un nouveau parti, de procéder à une organisation pour la conquête du pouvoir sur le dos d'un peuple ignorant.

Les créditistes sont des réformateurs. Pas seulement pour placer l'argent au service du peuple, mais pour placer les institutions publiques, le parlement lui-même, au service de la société.

Les créditistes, très démocrates, considèrent le gouvernement comme un gérant, comme le vicaire de la multitude (vices gerens multitudinis, dit S. Thomas).

Aussi songent-ils plutôt à la méthode coopérative qu'à la méthode de partis. Étude pour une action concertée en vue du bien commun.

C'est pourquoi, au lieu d'un parti Crédit Social dans la province de Québec, on entend les créditistes parler d'un Institut d'Action Politique. Institut — pour étudier ; d'Action — pour agir ; Politique — dans le domaine de la politique.

C'est pourquoi, il n'est pas question chez eux de choisir un chef et de faire appel à des suiveurs. On a eu assez de cela dans le passé. Parle-t-on de chefs dans les coopératives ? Étude, union, gérance, service.

Pas question non plus de la conquête du pouvoir ; mais de la conquête du peuple. Arracher les masses à l'ignorance, les instruire de la chose publique — le plus possible. Plus il y a de lumière chez les administrés, mieux ça vaut pour les administrateurs droits.

La méthode de l'organisation à coup d'argent, de la cour aux bailleurs de fonds, est répudiée par les créditistes. Ils croient à l'organisation, et ils en font. Mais c'est de l'organisation par l'éducation et le dévouement.

Pour l'institution d'un ordre temporel, les créditistes font leur la formule laissée par le Maître à ceux qu'Il avait chargés de l'institution d'un ordre spirituel : Allez, enseignez. Ils savent ce que cela comporte de zèle, de patience, de désintéressement. Mais ils apprécient assez leur objectif pour ne jamais reculer devant l'effort.

Pour une politique nouvelle, une politique d'ordre, de coopération, de charité, par des méthodes nouvelles qu'explore, qu'adopte et que perfectionne l'Institut d'Action Politique.

Louis Even

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