Vivrons-nous demain dans un monde libre, ou serons-nous soumis à une sorte de super-état, lui-même esclave de la finance internationale ?
La réponse à cette question ne réside pas uniquement dans le dénouement militaire de la guerre actuelle. Le Canada, avec trente autres nations, ne gagna-t-il pas la dernière guerre ? Or, quel monde eut-on au Canada après la dernière guerre ?
Lincoln disait déjà, il y a quatre-vingts ans, lors de la Guerre de Sécession : "J'ai deux ennemis, l'armée des Sudistes devant moi, le monopole financier en arrière ; et le plus terrible, c'est celui de l'arrière".
Il ne se trompait pas. On ne parle plus, en effet, de l'armée des Sudistes, mais le monopole financier est resté. C'était bien l'ennemi le plus difficile à battre, puisqu'il n'est pas encore battu.
Non seulement n'est-il pas battu, mais il s'est considérablement fortifié depuis lors. À la faveur de crises successives — 1873, 1893, 1907, 1920, 1930, pour ne nommer que les principales — il s'est de plus en plus emparé des moyens de production, de transport, de distribution. Si bien que la masse des consommateurs est aujourd'hui à la merci des maîtres de l'argent et du crédit.
Les démocraties en guerre pourraient reprendre la parole de Lincoln, vis-à-vis des puissances de l'Axe : "Nous avons deux ennemis, les armées axistes devant nous, le monopole financier chez nous".
Que ce dernier ennemi soit installé chez nous, les chefs démocratiques eux-mêmes le confessent, puisqu'ils crient sur tous les tons qu'après la guerre, on ne doit plus connaître le même monde qu'auparavant, que les richesses de la terre ne devront plus être le lot d'un petit nombre, mais accessibles à la masse. Aveu formidable d'un état de choses qu'ils constataient fort bien eux-mêmes, tout en le respectant.
Ce sont les restrictions imposées au travail par la rareté de l'argent, les privations imposées aux familles par le manque de pouvoir d'achat, qui nous ont fait entrer en guerre avec une industrie rouillée, une pénurie de techniciens entraînés, une jeunesse anémiée dont la moitié est jugée trop faible pour porter les armes.
Après les cléclarations de nos chefs démocrates, on serait en droit de se demander quelle orientation est prise actuellement pour conduire à un état de choses différent de celui qu'on a connu. Sans doute que le problème urgent, c'est la conduite de la guerre ; mais cette conduite entraîne-t-elle avec elle l'affaiblissement ou la consolidation de la dictature qui a tenu le monde en pénitence et en esclavage ?
On sait à quoi s'est résumé le résultat de l'autre guerre : un sixième de la planète, la Russie, sous le régime communiste ; le reste de l'Europe mal ajusté au point de vue frontières, dans le désarroi au point de vue économique — tout ce qu'il fallait pour créer le mécontentement, favoriser l'éclosion de dictatures politiques et susciter une autre guerre.
Les choses n'arrivent pas toutes seules. Les ajustements bâtards de frontières ne sont point le fruit du hasard. Les huches vides, les guenilles et les taudis, dans un monde à production motorisée, ne sont point un effet de conditions naturelles. Tout cela est le produit d'actes posés par des hommes, posés volontairement, en vue d'un objectif déterminé. Les résultats, gardés, maintenus, protégés par la loi, alors qu'ils heurtent les justes et saines aspirations de la multitude, prouvent bien que c'est une minorité, mais une minorité puissante, qui pose les actes, parce que le résultat lui convient.
Cette minorité est faite d'hommes, d'hommes en chair et en os, pas d'êtres de l'autre monde, même si cette minorité semble inspirée par le diable lui-même.
Qui sont ces hommes-là ? Mais pas d'autres que ceux, peu nombreux, qui se déclarent très satisfaits du système, qui trouvent que tout fonctionne doucement (selon l'expression de nos présidents de banque), alors que pour la masse tout grince.
Il est vrai que ces ingénieurs du désordre économique cachent leur jeu. Eux-mêmes parlent peu. Ils font parler pour eux le secteur des gavés ou les demi-bourgeois plus superficiels que méchants. Non pas que ces paravents plus ou moins conscients des financiers approuvent le désordre économique, leur conscience crierait trop fort, mais ils en rejettent les causes sur les victimes elles-mêmes. Leurs sermons sont pour les exploités.
Cependant, malgré les paravents, malgré les déviations de raisonnement, malgré le silence discret des coupables, malgré la complicité consciente ou non de ceux qui servent de tampon entre les exploiteurs et les exploités, il arrive de temps en temps aux initiés de glisser des remarques qui en disent long.
Nos lecteurs habituels savent déjà que la révolution russe, en 1917, fut financée par des banquiers internationaux. Ni Lénine et les autres exilés de Sibérie, ni Trotsky de New-York, ni leurs compères, n'avaient les moyens de payer leurs déplacements, de procurer des armes aux révolutionnaires, de nourrir tous les subalternes mis sur pied, de couvrir les énormes dépenses que comporte un mouvement de cette envergure. La maison Kuhn, Lœb, de New-York, fit une grosse part des frais, et elle en a tiré depuis sa récompense sur le dos des masses russes.
Pour la finance internationale, le mode de gouvernement ne signifie pas grand'chose. Qu'il soit capitaliste, corporatif, dictatorial, communiste — peu importe, pourvu qu'eux, les financiers, possèdent le véritable pouvoir, le contrôle de la vie économique du pays ?
M. François Coty, le grand parfumeur français, représentait en France, avant la guerre, la branche anglaise de la finance internationale, l'inspiration de Londres ; comme M. Finaly y représentait la branche américaine, le point de vue de New-York, de Wall Street. (V. Georges Valois, L'Homme contre l'Argent, pp. 305 et suiv., 350 et suiv.)
Ces deux branches se disputent entre elles le contrôle des pays civilisés, mais les deux sont mues par le même esprit. En voulant dénoncer son concurrent, Coty dévoile clairement le but de la finance internationale. M. Coty avait mis la main, avec la finance de Londres, sur plusieurs journaux politiques de France. Dans l'un d'eux, Le Figaro, il écrivit en 1932 une série d'articles, dont le dernier, le 18 avril, contenait les phrases suivantes, (huit ans avant la défaite de la France) :
"La chute de l'Empire des Czars, l'asservissement de la Russie par le bolchévisme, furent l'œuvre de Jacob Schiff (de la maison Kuhn, Lœb et du New-York Times), la gloire de son règne. L'immense fortune de la Russie, les 160 millions d'esclaves soumis à des travaux forcés, forment les fruits de la victoire. Ceux qui continuent la dynastie, Félix Warburg et Otto Kahn, non moins ambitieux que Schiff, rêvent aujourd'hui d'une autre conquête : la conquête de la France et de son empire colonial. Pour cela, une autre guerre est nécessaire. Leur intervention sinistre se fait sentir dans toutes les conversations diplomatiques, dans toutes les coalitions suggérées en vue du conflit qui approche. L'éclat fatidique des armes qui brille déjà de l'autre côté du Rhin est leur œuvre..."
Où l'on voit la relation de bonne parenté entre la finance internationale et le communisme. Cela peut paraître contraire aux notions qu'on se fait généralement de la finance et du communisme.
Le vulgaire s'imagine le second comme saboteur du premier, alors qu'ils couchent très bien ensemble. L'un et l'autre ont au moins une philosophie commune : enrégimenter l'humanité. Et si l'on doit juger d'un arbre à ses fruits, l'un et l'autre ont le diable pour père.
Qui osera dire que demain, chez nous, doit être ce que fut hier ? Qui osera nier qu'un changement s'impose ?
Mais quel changement ? Et qui fera ce changement ?
C'est le lieu de répéter que les choses ne s'arrangent pas toutes seules. On dit que le temps arrange bien des choses. Le temps n'arrange rien ; ce sont les actes posés dans le temps qui arrangent ou dérangent les choses.
La véritable lutte pour la liberté est entre l'homme et l'argent, entre l'homme asservi et l'argent maître. Les dictateurs politiques et militaires ne font que passer ; la dictature de l'argent dure et se fortifie.
Les créditistes ont déclaré la guerre à la dictature de l'argent. Ils y laisseront peut-être leur peau, mais ils ne capituleront pas. La dictature d'argent pourra essayer tous les moyens, se faire vinaigre ou se faire miel, menacer ou cageoler, maudire ou flatter, mobiliser les instruments les plus respectables pour jeter du discrédit sur notre mouvement, insinuer des demi-mesures pour endormir les lutteurs et décourager définitivement le peuple, les créditistes avertis ne s'y laisseront pas prendre.
Des demi-mesures ? Nous n'accepterons pas, par exemple, l'idée d'un gouvernement qui ferait lui-même l'argent et le dispenserait à son gré. Ce serait simplement changer la dictature de main.
L'argent ne doit pas être le recteur de l'homme. Que ce soit le banquier ou que ce soient les politiciens du jour qui conduisent l'homme par l'argent, cette conduite n'est pas acceptable. D'autres mobiles doivent guider les actes de l'homme. L'hygiène, la morale, la raison, la religion auraient-elles fait fiasco ?
La guerre actuelle entre les puissances de l'Axe et les puissances dites démocratiques (la Russie y comprise !) ne fait rien pour détrôner la dictature de l'argent. Que l'on continue de mettre tout en œuvre pour gagner la guerre, très bien. Mais se fier uniquement à l'issue de la guerre pour déterminer notre statut de demain serait une erreur fatale.
Demain sera ce que le feront ceux qui s'occupent actuellement de le préparer. La finance internationale est aux aguets pour garder sa domination. Qui s'organise pour lui faire face ?
La prédication des principes n'a jamais fait défaut. Mais où sont les mouvements organisés, avec des techniques bien déterminées et des hommes préparés pour les mettre en application ? Les partis politiques ont dégoûté le public par leur inertie et leur veulerie. Ils ne bougent qu'en temps d'élection et le peuple, cent fois trompé, en est maintenant écœuré. Hors des partis traditionnels, on a bien les communistes, qui reprennent de l'allant depuis le mois de juin, depuis l'entrée de la Russie à nos côtés. Mais à qui la perspective communiste fait-elle plaisir ?
À part cela ? À part cela, il y a les créditistes, qui n'ont pas arrêté une seule journée depuis qu'ils ont commencé leur mouvement, et qui n'ont point l'intention d'arrêter : ils connaissent trop l'importance décisive des chocs qui viendront inévitablement.
Il y a maintenant les spectateurs. Les uns, attentifs, les autres distraits. Et n'est-il pas regrettable que, parmi ces spectateurs, des gens qui ne voudraient pas du communisme pour rien au monde essaient quand même — pourquoi donc ? — de botter le Crédit Social, d'entraver son ascension ? Si ces étourdis s'en venaient au moins avec une autre force saine, organisée pour mettre de l'ordre — au lieu seulement d'en parler !