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La politique – Lettre à M. Joseph Lafontaine

Louis Even le mardi, 01 juillet 1941. Dans La politique

Député de Mégantic aux Communes

Monsieur le député de Mégantic,

Je n'ai pas l'avantage de vous connaître personnellement. Non plus celui de pouvoir apprécier vos qualités parlementaires, parce que, même en parcourant chaque jour le compte-rendu officiel des Débats à la Chambre des Communes, impossible d'y trouver trace de votre présence dans cette auguste assemblée.

Vous réservez sans doute vos jets d'éloquence pour les campagnes électorales et pour quelques occasions d'apparât pas trop loin des électeurs.

Dans l'une de ces occasions, au ralliement de la fédération des Jeunes Libéraux des Cantons de l'Est, à Plessisville, le 1er juin, vous avez bien voulu faire allusion au travail que je poursuis dans la province de Québec.

La Tribune de Sherbrooke rapporte ainsi cette partie de votre discours :

"M. Joseph. Lafontaine, député de Mégantic aux Communes, reproche aussi à M. Louis Even, propagandiste du Crédit Social dans la Province de Québec, de dire aux gens que les billets de banque ne valent rien et de ne point dédaigner, pourtant, à la suite de ses assemblées créditistes, ces mêmes billets qu'on veut bien lui offrir. »

Cette publicité gratuite mérite des remerciements. En retour, je me fais un plaisir de vous donner quelques informations pour mettre votre conscience bien à l'aise en ce qui concerne les billets de banque.

Avec cinq ou six mois d'internement chaque année à Ottawa, vous n'avez probablement pas le temps d'assister aux assemblées du Crédit Social que nous tenons un peu partout, même dans votre comté. Votre méprise est donc excusable.

Mais ne vous inquiétez pas trop. Les billets de banque, je les apprécie autant que vous. Jamais je n'invite mes auditeurs à s'en servir pour allumer leur poêle. Au contraire, je leur dis que c'est ça qui leur manque, ils le savent d'ailleurs très bien.

J'ajoute cependant que le billet ne tire pas sa valeur du papier dont il est fait, ni de la vertu de charité du banquier, ni de l'intelligence impondérable du député qui vote la loi des banques sans trop savoir ce qu'il fait. Je spécifie que le billet de banque, comme le gros sou brun de l'Hôtel des Monnaies, comme aussi le simple compte créditeur que le gouvernement se fait inscrire en hypothéquant le Canada d'aujourd'hui et de demain entre les mains du banquier, tout cela n'a de valeur que si les cultivateurs et les ouvriers produisent quelque chose dans le Canada.

Autrement, mon cher ami, les députés auraient beau ronfler, ou faire des discours, ou voter des taxes, le billet de banque le plus neuf, la pièce ronde du jaune le plus brillant ne donnerait pas un radis à son propriétaire, puisque radis il n'y aurait pas au pays.

Et les gens comprennent cela aussi. Ils comprennent que ce sont eux qui donnent de la valeur à l'argent, et ils trouvent drôle que l'argent soit la chose du banquier.

Ils comprennent que le billet de banque, c'est fait avec du papier, que le papier ne manque pas au Canada, que l'argent est la chose la plus facile à fabriquer, et ils s'étonnent que cette chose si facile à faire soit tellement rare que les Canadiens en sont réduits à jeûner devant des greniers débordants.

Puis les gens, vos gens, vos électeurs de Thetford et d'ailleurs, trouvent bien un peu surprenant que vous ne leur ayez jamais parlé de cela. Serait-ce que vous êtes parfaitement ignorant de la question, ou bien êtes-vous habitué à prendre le public pour une collection d'imbéciles incapables de comprendre ?

Mais voici qu'ils en savent plus long que vous, qu'ils comprennent mieux que vous pourquoi le gouvernement est toujours embêté par la rareté d'argent. Et ça vous ôte la chance d'emplir l'électorat avec vos balivernes traditionnelles. C'est peut-être ce qui explique votre intervention.

Vous ajoutez que je ne dédaigne point, après les assemblées créditistes, les billets de banque qu'on veut bien m'offrir pour des abonnements à VERS DEMAIN.

Mais non, Monsieur, je ne les dédaigne point du tout, et je les sollicite même, parce que c'est avec ces billets qu'on fait la guerre à l'ignorance, qu'on va donner congé aux incompétents et qu'on va reprendre le Canada des mains auxquelles l'incurie de nos politiciens l'a livré.

Je crois que les billets qui sortent, dollar par dollar, des poches du peuple pour faire son éducation politique, sont mieux placés que les millions versés par les voleurs du peuple aux caisses électorales dont je n'ai pas besoin de vous dire l'utilisation.

Un dollar par an pour s'instruire. Vous êtes le bienvenu à ce cours, monsieur le député. On ne refusera pas votre dollar, même s'il est fripé, même si ci n'est qu'un chiffre dans un compte de banque. On ne vous demandera pas si vous l'avez gagné à la sueur de votre front, ou si c'est un héritage, ou un cadeau ou de la graisse politique, ou quoi encore.

Le dollar est bon, pas parce qu'il y a un banquier ou des politiciens. Le dollar est bon, parce qu'il y a encore quelque chose au pays pour l'honorer, à commencer par le petit journal qui peut mettre des idées même dans des cocos habitués à sonner le creux.

Veuillez ne prendre cette dernière phrase pour vous que si vous la jugez appropriée.

Comptant avoir acquitté ma dette envers vous, je demeure,

Votre tout dévoué pour une nouvelle occasion,

Louis EVEN

Louis Even

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