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La politique - Le jeu du dictateur financier

Louis Even le samedi, 01 novembre 1941. Dans La politique

Tout dictateur qui veut maintenir son sceptre doit contrôler, non seulement les instruments dont il se sert pour tyranniser, mais aussi les instruments que les tyrannisés pourraient employer contre lui.

Par "contrôler" nous ne voulons pas dire "posséder". Vous pouvez posséder un cheval et ne pas le contrôler. Le gouvernement fédéral possède la Banque du Canada, mais il ne la contrôle pas. On contrôle lorsqu'on impose l'objectif.

Donc, un tyran pour être tyran, doit s'assurer la main même sur les mouvements de rébellion contre sa tyrannie, animer lui-même ses adversaires.

Sous le titre "La Tyrannie parfaite", dans le Social Crediter du 31 mai dernier, M. John Mitchell faisait des réflexions analogues et remarquait : "Dans la nature, toute action suscite une réaction." Le tyran violente les aspirations humaines. Il est naturel que les hommes violentés cherchent à se débarrasser du tyran.

Si le tyran possède bien son art, il prend les moyens de s'emparer des forces de la révolte, de conduire, souvent à leur insu, les meneurs de la révolte exactement au même résultat que ses instruments actuels.

Pour réussir ce double contrôle d'instruments apparemment opposés les uns aux autres, le tyran doit user de ruse, de camouflage, voiler son jeu. Si le jeu paraissait, les forces adverses, au lieu de se combattre mutuellement, se ligueraient contre lui.

Le dictateur financier

De toutes les dictatures mentionnées dans l'histoire, de toutes celles au moins que nous sommes à même de constater aujourd'hui, la plus pernicieuse, la plus étendue, c'est certainement la dictature de l'argent. Les autres, celles d'un Napoléon, d'un Mussolini, d'un Hitler, d'un Staline, sont vouées à une courte durée. Le dictateur a rarement un long règne, plus rarement encore un héritier de sa trempe. Mais la dictature de l'argent se perpétue et s'affermit de génération en génération. C'est même à cause d'elle que surgissent les dictatures politiques.

Dictature barbare aussi. La plus barbare, malgré le poli de ses instruments. Dès qu'un pays entre dans l'orbite de la civilisation, il passe sous le sceptre du dictateur financier. Et la dictature de l'argent a fait plus de victimes, imposé plus de privations, causé plus de souffrances, abrégé plus de vies, suscité plus de discordes, brisé plus de foyers, effacé plus de talents, supprimé plus de carrières, semé plus de ruines physiques et morales que les guerres les plus dévastatrices, même avec les armes modernes. Si l'on ne voit pas de ruisseaux de sang, qu'on jette au moins les yeux sur les fleuves de larmes qui ont leur source dans la dictature d'argent, et sur les abîmes de désespoir qu'elle creuse jusque dans les pays les plus favorisés de la Providence.

Comment se fait-il que les millions de mécontents de tant de pays ne se soulèvent pas contre un dictateur qui les affame en face de montagnes de nourriture ?

C'est justement parce que le dictateur financier est un parfait tyran. Il possède autant d'habileté qu'il manque d'entrailles. Il excelle à prendre le contrôle, non seulement de ceux qu'il emploie, mais aussi de ceux vers lesquels les opprimés se tournent pour leur délivrance.

Dans l'arène politique

N'est-ce pas ce que l'on constate dans l'arène politique ? Les successions de partis au pouvoir ne changent rien. Les gouvernements semblent exister pour faire mal au peuple, pour mater la multitude. Taxes, restrictions, privations prêchées et imposées, même s'il y a dans le pays tout ce qu'il faut pour assurer une vie d'aisance à toutes les familles.

Le mécontentement porte à la réaction contre ceux qui tiennent les rênes du gouvernement. Le parti libéral est-il au pouvoir, les mécontents se tournent vers le parti conservateur. Une fois installés à la place des libéraux, les conservateurs poursuivent l'administration exactement dans la même direction, vers les mêmes résultats.

Le peuple se dit trahi, il se retourne vers le parti libéral, soit qu'il ait oublié, soit qu'il croit à une conversion, soit plutôt parce qu'il ne voit pas d'autre alternative. Nouvelle déception, jusqu'à ce que, dégoûtés, un nombre de plus en plus grand d'électeurs ne se donnent même plus la peine de choisir.

C'est que la même politique, financière est imposée par le même dictateur aux hommes qui occupent le poste de commande, qu'ils soient de l'un ou l'autre parti.

Cela ne veut pas dire que ce soient les financiers qui ont inventé les partis politiques. Non. Mais une fois les partis établis dans la politique, avec une caisse électorale d'abord modeste, alimentée par les protégés des contrats publics, la finance a trouvé là un excellent mécanisme pour contrôler la chose publique. Les caisses électorales ont pris des proportions, et les chaînes aussi.

Tout crédit financier a son origine, dans la banque. En monnayant le crédit national pour le gouvernement, sur débentures, la banque fait du gouvernement, quelle que soit sa couleur, un débiteur perpétuel. En monnayant la capacité de production des grosses compagnies, auxquelles elle avance le crédit ainsi mis au monde, la banque se lie ceux-là mêmes qui garnissent les caisses électorales pour obtenir la protection de la législation.

On voit que, directement et indirectement, le système bancaire place le gouvernement en tutelle.

Le peuple, s'il ignore ces faits, ne jette pas le blâme plus loin que l'administrateur élu par lui. Il change son élu et s'aperçoit que c'est la même chose. Il blâme alors tous les politiciens, cesse de croire qu'il est possible d'être à la fois honnête et gardien de la chose publique ; il ne s'occupe plus de politique que pour des faveurs personnelles immédiates. Cet état d'esprit est tellement général que, si quelqu'un se dévoue pour le public, sans aucune rémunération matérielle, comme les membres de notre Institut d'Action Politique, les gens disent : Oh ! il veut nous en faire accroire, mais il est bien payé pour cela !

Le financier a parfaitement réussi son double contrôle : contrôle du groupe au pouvoir et contrôle du groupe dans l'opposition.

Grâce à la discipline du parti, ceux qui sont dans l'un ou l'autre groupe sont astreints à faire abstraction de leur personnalité.

Pour se délivrer du dictateur, il faudrait évidemment découvrir son jeu, l'exposer au public, et liguer contre le tyran les forces qui s'entre-déchirent bêtement.

Dans la province de Québec

C'est ce que la lumière créditiste est en train de faire dans la province de Québec.

Le Crédit Social connaît le véritable auteur du mal et le fait connaître au public. Immédiatement, les lignes de partis s'effacent ; le culte du bleu et du rouge tombe sous le ridicule et les citoyens s'associent pour se défaire du véritable dictateur.

Que va faire la dictature d'argent ? Capituler ? Ce serait sot de s'y attendre. Elle va résister jusqu'au bout : les privilèges à défendre sont trop précieux. Laisser faire ? Ce ne serait plus le tyran accompli, qui sait prendre le contrôle de l'action et de la réaction.

Si les créditistes de la province de Québec s'organisaient en parti politique, avec chef, lieutenants et caisse électorale, la finance saurait quoi faire. Voyez ce qu'elle a fait des partis travaillistes, socialistes, communistes même, qui la dénonçaient tapageusement. La finance s'est aussi bien arrangée des travaillistes avec Macdonald que des conservateurs avec Baldwin ou des libéraux avec Lloyd George. Elle n'a point craint de financer Lénine, Trotsky et compères, lorsque leur avènement avait des chances de succès.

Mais les créditistes n'ont rien de la sorte. De la charité, du dévouement, de la pureté d'intention, plus une organisation qui ne prête le flanc à aucun marché. Pour organe, un journal qui ne vit qu'avec la piastre de l'abonné, qui refuse systématiquement et irrévocablement la moindre annonce commerciale : par où le prendre ?

Comment le dictateur financier va-t-il essayer de brider le mouvement créditiste, devenu très dangereux pour lui ?

À nous de surveiller, pour découvrir son jeu et l'empêcher de porter.

Mise en garde contre l'astuce du financier

Nous croyons qu'une seule force dans la province de Québec serait capable d'endiguer le mouvement, si le financier pouvait contrôler cette force. C'est celle du clergé. Vu que nos créditistes sont tous de bons catholiques, des catholiques pratiquants, l'opposition du clergé serait une barrière efficace.

Mais comment mettre le clergé du côté de la dictature dénoncée par le Souverain Pontife ? Le financier ne peut compter là-dessus. Il va opérer plus subtilement.

Impossible de faire condamner dogmatiquement le Crédit Social. Même une commission de savants théologiens l'a exonéré officiellement d'attaques lancées contre lui pour l'assimiler au communisme ou au socialisme.

La plupart des prêtres qui ont tant soit peu étudié le Crédit Social, non seulement ne le combattent pas, mais l'appuient, au moins de leurs vœux et de leurs prières, parce qu'ils y trouvent la réfraction, dans le domaine temporel, du dogme de la Communion des Saints dans le spirituel.

Mais il y a sûrement quelques prêtres, moins bien informés ou pas informés du tout, qui, pour une raison ou pour une autre, se permettent parfois de parler publiquement contre le Crédit Social, ou de repousser froidement les propagandistes qui s'en vont dans leurs paroisses. Et les véritables adversaires, les financiers exploiteurs, seraient infiniment heureux si les créditistes s'en exaspéraient, généralisaient les exceptions et s'en prenaient au clergé comme corps. Les créditistes s'attireraient ainsi des dénonciations sur leurs méthodes, leur œuvre en serait paralysée et le financier bien couvert.

Nos créditistes ne tomberont pas dans le panneau. Ils reconnaissent à quiconque le droit de penser autrement qu'eux-mêmes. À degré égal de connaissance du sujet, ils ne voient pas comment se formaliser davantage de l'opposition d'un prêtre que de celle d'un marchand ou d'un cultivateur, puisque, tant au moins que seul le système monétaire est concerné, il s'agit d'une technique purement profane. Les créditistes ignoreraient même probablement l'opinion, favorable ou défavorable, de tel ou tel curé, s'ils n'avaient eu affaire à lui pour l'usage de salles paroissiales.

Si nous entrons dans ces détails, c'est d'abord pour mettre nos amis en garde contre le jeu du financier ; puis pour désarçonner le financier en exposant son jeu ! Il vaut mieux prévenir que d'avoir à réparer.

Les créditistes savent définir et distinguer. Ils savent faire la différence entre le temporel et le spirituel, tout en reconnaissant les répercussions mutuelles de l'un sur l'autre. Aussi tâchent-ils de ne négliger le soin ni de l'un ni de l'autre.

Les créditistes savent même distinguer entre l'Église et quelques-uns de ses ministres.

Nous pouvons aussi, sans crainte de nous tromper, affirmer que prêtres et éducateurs, dans l'exercice de leurs augustes fonctions, aident puissamment notre cause, parce qu'ils travaillent à purifier les cœurs et éclairer les esprits. Or ce sont les cœurs d'où l'égoïsme est banni, les esprits ouverts à la lumière, qui comprennent le mieux le Crédit Social.

Louis Even

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