EnglishEspañolPolskie

La politique – Le gouvernement en promenade

Louis Even le mardi, 15 octobre 1940. Dans La politique

Le titre est injuste. Le gouvernement n'est pas allé en promenade. À la vérité, plusieurs ministres, de souriants députés, des échevins en tutelle orphelins de leur maire, de jolis fils à papa fiers d'être membres d'une Chambre de Commerce, et de gais journalistes en devoir fermaient la brillante caravane qui devaient ouvrir officiellement la route du vieux Québec aux pays d'en haut.

Mais le gouvernement n'avait pas pris congé. Les fonctionnaires, la véritable armée qui tient en opération les rouages de la chose publique, sont demeurés à leur poste comme d'habitude. Les taxes de toutes sortes n'ont cessé un seul jour d'entrer régulièrement dans le Trésor où l'argent ne séjourne pas. Les hommes de la voirie ont continué de massacrer le sol. Les chômeurs faméliques n'ont rien vu changer dans leur train de vie. Mêmes soucis dans les maisons du pays. Mêmes inquiétudes chez un grand nombre. Même infatuité chez les distributeurs de patronage, même avilissement chez les quémandeurs de "jobs". Et c'est ça, après tout, le gouvernement !

Mais il s'est passé des événements tout de même entre Hull et Senneterre, entre Senneterre et Rouyn, entre Rouyn et Mont-Laurier. Les journalistes nous ont tenu au courant : réception à un déjeuner par le député provincial de Hull ; réception à Gracefield ; réception bien préparée à Maniwaki ; grand dîner et discours à Senneterre ; nouveau banquet et nouvelle série de discours à Amos ; entrée triomphale à Rouyn ; grand banquet à Rouyn, honoré de la présence d'un évêque et agrémenté de dix-huit discours ; banquet et discours au "Château" de Val d'Or. Et nous en passons. Voilà en pays civilisés.

Il y a aussi les digressions en pays sauvages. Trois ministres reçus chefs honoraires chez les Peaux-Rouges. M. Damien Bouchard s'honore maintenant des titres de chef d'une tribu iroquoise, chef d'une tribu algonquine. Sera-t-il bientôt chef d'une tribu de frères trois-points ?

Nous avons passé le principal, le but de cette randonnée. Il s'agissait de couper trois rubans pour ouvrir la route que nous osâmes profaner deux semaines auparavant pour les intérêts du Crédit Social. Heureusement que le protocole ne prévoit pas de sanctions.

Et les rubans sont coupés, et les repas sont digérés, et les discours ont sans doute amélioré le sort des mineurs et des colons.

Réjouissons-nous de cet exemple posé par des ministres, des députés, des échevins, des "chambristes". C'est probablement l'ouverture d'une ère de tourisme pour les Canadiens. Il y a assez longtemps qu'on invite les Américains et autres étrangers à venir se distraire dans notre province. Ne serait-il pas temps d'inaugurer le tourisme au Canada pour les Canadiens ? À tout seigneur tout honneur. Il est juste que l'exemple parte d'en haut. Nous nous attendons à ce que, demain, nos chefs provinciaux pressent la population de faire comme eux.

Avouons que nous avons en vain cherché cette note dans les trop brèves allusions à la grosse de discours qui, grâce à l'entraînement, ont sans doute moins usé les cordes vocales que les pneus des promeneurs. Il nous est arrivé, au contraire, de déceler l'exhortation au sacrifice dans le discours prononcé par l'honorable premier-ministre au banquet de Val d'Or. Même à table, plantureusement servie, le premier-ministre rappelle à la province qu'il faut pratiquer un régime de privations.

Le journaliste que nous lisons lui donne raison : "M. Godbout a raison quand il dit qu'il faut voir la réalité et vivre selon nos moyens, de façon à ne pas charger les générations futures."

Nous aimons cette expression-là : vivre selon nos moyens. Nous dirions la même chose, tout en signifiant exactement le contraire de ce que signifiait le premier-ministre. C'est justement parce que nous ne vivons pas selon les moyens du Canada que nous nous créons des problèmes à nous-mêmes et à nos successeurs. Nous mangeons en-dessous des moyens du Canada : nous nous habillons en-dessous des moyens du Canada ; nous nous logeons en-dessous des moyens du Canada ; nous nous chauffons en-dessous des moyens du Canada ; nous nous soignons, nous nous instruisons en-dessous des moyens du Canada ; nous nous promenons même en-dessous des moyens du Canada. Et c'est justement pour cela que tant de monde chôme, depuis le producteur des premières nécessités jusqu'à l'employé de chemin de fer ou le conducteur de taxi.

Mais M. Godbout entend, lui, selon les moyens ens financiers, selon la quantité d'argent qu'il plaît au banquier de mettre au monde et de laisser en circulation. Comme quoi, tout en coupant des rubans, il rend hommage aux véritables maîtres du pays et nous exhorte à continuer nos immolations. Que ne demande-t-il au Crédit Social une bonne paire de cisailles pour couper les chaînes ?

Dans un autre discours, nous apprenons que M. Authier est le père de l'Abitibi. M. Authier, c'est l'avocat qui représente au Parlement les colons de l'Abitibi.

Il nous a été donné de passer deux semaines en Abitibi. Pas deux semaines dans la même place. Tout le long de ce séjour, nous croyions fermement que l'Abitibi était l'enfant des colons. Des colons de 1912 et de ceux qui sont venus grossir les rangs des premiers. Nous croyions que l'Abitibi avait été fait par les travaux et les sueurs de ces gens à qui nous parlions, de ces pionniers venus lorsqu'il n'y avait ni routes ni chemins de fer, ni hôtels à banquets, ni salles à discours.

Nous sommes-nous donc trompé ? L'Abitibi, ce ne sont pas les colons qui l'ont fait, c'est M. Authier. Et pour l'honorer, on parle de détacher un territoire du grand Abitibi, d'en faire un nouveau comté qui s'appellerait Authier. C'est tout à fait dans l'habitude des politiciens modernes d'honorer des vivants que le Pape ne canonisera jamais après leur mort.

Mais peut-être tout cela n'est-il que rumeur née d'un discours mal compris.

Continuons de dire que ce sont les colons venus de partout, de la région de Joliette comme du Kamouraska, du Lac St-Jean comme de l'Islet, qui ont fait l'Abitibi. Nous admettons que des avocats font leur part et que, quelque diable sans doute aidant, ils vont parfois beaucoup plus vite que les autres. Nous avons bien remarqué, en effet, que certains cultivateurs d'en haut sont agriculteurs quelques mois par année, bûcherons à l'hiver, employés de la voirie à l'occasion. Et avec ces trois métiers, c'est à peine s'ils peuvent faire vivre leur terre. Tandis qu'un certain avocat, si l'on excepte ses activités politiques qui n'ont pas l'air de lui peser désagréablement, n'exerce qu'un métier : sa profession d'avocat. Et avec cela il réussit à faire vivre son bureau, une ferme sur laquelle il ne travaille pas, des hôtels et des théâtres où il ne se démène pas.

Laissons ces réflexions qui s'écartent trop du sujet. La randonnée d'ouverture officielle de la route Mont-Laurier-Senneterre est terminée. Quel en est le fruit ? Qu'est-ce que la tournée a fait de bien ; à la province ou à la région ? C'est à d'autres de répondre.

Nous n'avons pas les mêmes manières. Notre tournée en Abitibi couvrit à peu près les mêmes 1,500 milles que celle de nos "officiels", avec quelques branchages de plus chez les colons éloignés. Nous n'y allâmes point pour prêcher le sacrifice, mais pour expliquer comment nous pouvons arriver à vivre selon les pleins moyens du Canada. Les 5,000 personnes qui nous entendirent, les 1,033 personnes qui emportèrent chez elles un numéro de VERS DEMAIN, les 255 familles qui s'ajoutèrent aux 146 autres déjà abonnées, les nombreuses autres qui ont grossi le nombre depuis, ont sans doute trouvé dans l'exposé du Crédit Social et dans les pages de VERS DEMAIN plus de lumière, de force et d'espoir que n'en ont laissé les banquets, les discours et les cérémonies de la randonnée annoncée et racontée dans les journaux, et filmée par Radio-Cinéma pour faire venir l'eau à la bouche de ceux et de celles qui ne peuvent s'échapper plus loin que la salle de cinéma voisine de chez-eux. Combien ne peuvent même pas aller si loin !

L'ère du tourisme pour tous n'est pas encore ouverte : elle attend l'avènement du Crédit Social.

Louis EVEN

Louis Even

Poster un commentaire

Vous êtes indentifier en tant qu'invité.

Panier

Dernière parution

Infolettre & Magazine

Sujets

Faire un don

Faire un don

Aller au haut
JSN Boot template designed by JoomlaShine.com