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La politique - La doctrine de Gandhi

Louis Even le mardi, 01 septembre 1942. Dans La politique

De ce temps-ci, les journaux parlent beaucoup de Gandhi, le "chef spirituel" de l'Inde, comme ils disent, laissant croire que Gandhi, comme le Pape pour les catholiques, serait le grand-prêtre qui se reconnaîtrait à lui-même, et à qui les Hindoux reconnaîtraient, le pouvoir de lier et délier les consciences.

À la vérité, nous ne savons pas si Gandhi est cela aux Indes.

Ce que nous savons, c'est que ce qu'on appelle la mystique de Gandhi est tout simplement une méthode d'action politique basée sur des principes de psychologie humaine, l'âme humaine étant considérée comme principe spirituel et immortel de vie, et par conséquent, comme une force autrement puissante que les forces physiques.

Gandhi lui-même dénomme sa doctrine "Satyagraha".

Pour en donner une définition, nous ne saurions mieux faire que de citer les paroles même de Gandhi.

Le Satyagraha

"La signification étymologique du mot est L'étreinte indéfectible de la vérité ; d'où la force de la Vérité. Je l'ai aussi appelé force de l'Amour ou force de l'Âme. En appliquant le Satyagraha, je découvris, dès les premières étapes, que la poursuite de la vérité n'admettait point que la violence fût infligée à l'adversaire, mais qu'il devait être sevré de son erreur par la patience et la sympathie. Car ce qui apparaît à l'un comme étant la vérité peut apparaître à l'autre comme étant une erreur. Et la patience signifie souffrance volontaire. Ainsi la doctrine en vint à signifier revendication de la vérité, non point en infligeant des souffrances à l'adversaire, mais à soi-même.

"Le Satyagraha diffère de la Résistance Passive comme le Pôle Nord du Pôle Sud. Cette dernière a été conçue comme l'arme des faibles et n'exclut pas l'usage de la force physique ou de la violence en vue d'atteindre le but : tandis que le premier a été conçu comme l'arme des forts entre les forts, et exclut l'usage de la violence sous quelque aspect ou forme que ce soit.

"Quand Daniel dédaigna les lois des Mèdes et des Perses qui offensaient sa conscience, et supporta avec douceur le châtiment de sa désobéissance, son sacrifice fut celui du Satyagraha sous sa forme la plus pure. Socrate ne voulut point s'abstenir de prêcher à la jeunesse d'Athènes ce qu'il savait être la vérité, et supporta courageusement le châtiment de la mort. Il fut, en cette occasion, un Satyagrahi.

"Cette doctrine du Satyagraha n'est pas nouvelle ; ce n'est qu'une extension de la règle de la vie domestique à la vie politique. Les disputes et les différends de famille sont généralement réglés selon la loi de l'amour. Le membre à qui l'on a fait tort a tant d'affectueuse attention pour les autres membres qu'il supporte ce tort en faveur de ses principes, sans se venger et sans s'irriter contre ceux qui sont en différend avec lui. Et comme réprimer sa colère et souffrir volontairement sont des efforts difficiles, il n'élève point des bagatelles à la dignité de principes, mais, en tout ce qui n'est pas essentiel, est toujours prêt à s'accorder avec le reste de la famille, et ainsi il vient à bout de s'assurer le maximum de paix pour lui-même sans troubler celle des autres. Ainsi son action, qu'il résiste ou qu'il cède, est toujours calculée de manière à promouvoir le bonheur commun de la famille. C'est, avant toute autre, cette loi d'amour qui, silencieusement mais sûrement, gouverne la famille d'un bout à l'autre du monde civilisé.

"Mon sentiment est que les nations ne peuvent être réellement unes, et que leurs activités ne sauraient conduire au bien commun de l'humanité entière, à moins de reconnaître expressément et d'accepter la loi familiale d'amour dans les choses nationales et internationales, en d'autres termes, dans l'ordre politique. Les nations ne peuvent être civilisés que dans la mesure où elles obéissent à cette loi.

"Cette loi d'amour n'est rien d'autre qu'une loi de vérité. Sans vérité il n'est point d'amour ; il peut y avoir blessure affective, par exemple pour son pays quand il est maltraité par d'autres ; ou ivresse passionnée, comme d'un jeune homme pour une jeune fille ; ou l'amour peut être irraisonné et aveugle, comme celui de parents ignorants pour leurs enfants. L'amour transcende toute animalité et n'est jamais partial. C'est pourquoi le Satyagraha a été décrit comme une pièce de monnaie à l'avers de laquelle on lit Amour et au revers Vérité. C'est une monnaie qui a cours partout et d'une valeur qu'on ne saurait assigner.

"Le Satyagraha ne dépend que de lui-même. Il ne requiert pas l'assentiment de l'adversaire avant de pouvoir entrer en jeu. En vérité c'est quand l'adversaire résiste, qu'il donne tout son éclat. Il est donc irrésistible. Un Satyagrahi ne sait pas ce qu'est la défaite, car il combat pour la vérité sans y perdre ses forces. La mort dans le combat est une délivrance, et la prison une porte grand'ouverte vers la liberté.

"Cette doctrine est aussi appelée force de l'Âme, parce qu'il est nécessaire de reconnaître expressément l'existence de l'âme qui est au dedans de nous, si le Satyagrahi doit croire que la mort ne signifie pas la cessation du combat mais un point culminant. Le corps n'est qu'un véhicule pour l'expression de soi ; et il abandonne joyeusement le corps, quand l'existence de celui-ci est un obstacle à ce que l'adversaire parvienne à voir la vérité, pour laquelle le Satyagrahi est à son poste. Il abandonne son corps, ayant la foi absolue que si quelque chose peut changer les vues de son adversaire, c'est bien le sacrifice volontaire de son corps. Et sachant que l'âme survit au corps, il n'a nulle impatience de voir le triomphe de la vérité dans le présent corps. En vérité, la victoire est en ceci qu'il est capable de mourir dans son effort pour faire voir à l'adversaire la vérité, dont le Satyagrahi, pour l'heure, est l'expression.

"Et comme un Satyagrahi ne fait jamais de mal à son adversaire et en appelle toujours soit à sa raison, par des arguments sans rudesse, soit à son cœur par le sacrifice de soi, le Satyagraha est deux fois béni. Il bénit celui qui le pratique, et celui contre qui il est pratiqué.

"On a objecté toutefois que le Satyagraha, tel que nous le concevons, ne peut être pratiqué que par un petit nombre de personnes choisies. Mon expérience prouve le contraire. Une fois que l'on a compris ses principes très simples — adhérer à la vérité et la défendre intégralement par la souffrance volontaire— n'importe qui peut le pratiquer. Il est aussi difficile ou aussi facile à pratiquer que n'importe quelle autre vertu. Il est aussi peu nécessaire, pour sa mise en pratique, que tout le monde en comprenne toute la philosophie, que cela peut l'être pour la pratique de l'abstinence absolue.

"Après tout, nul ne met en question la nécessité de défendre intégralement la vérité quand on la voit. Et il est assez facile de comprendre qu'il est grossier d'essayer de contraindre l'adversaire à l'accepter en usant de la force brutale ; qu'il est déshonorant de se soumettre à l'erreur, parce que nos arguments n'ont pas réussi à convaincre, et que la seule conduite vraie et honorable est de ne point s'y soumettre, fût-ce au prix de la vie. Alors seulement le monde peut être purgé de l'erreur, si jamais il peut l'être entièrement. Il ne peut y avoir de compromis avec l'erreur là où elle blesse la vie même.

"Mais, sur le terrain politique, la bataille consiste principalement, de la part du peuple, à s'opposer à l'erreur sous la forme des lois injustes. Quand on n'a pas réussi à faire que l'erreur réintègre son logis du gré du législateur par la voie de pétitions, et moyens analogues, le seul remède qui reste à votre disposition, si vous ne voulez pas vous soumettre à ce mal, est d'obliger le magistrat à revenir sur ses pas en souffrant dans votre propre personne, c'est-à-dire en attirant sur vous la peine de la transgression de la loi. C'est pourquoi le Satyagraha apparaît en gros au public comme désobéissance civique ou résistance civique. Civique en ce sens qu'elle n'est point criminelle.

"Le criminel, c'est-à-dire le transgresseur ordinaire de la loi, la viole en cachette et tâche d'éviter la peine ; il n'en va pas ainsi du résistant civique. Il obéit toujours aux lois de l'État auquel il appartient, non par peur des sanctions, mais parce qu'il les considère comme étant pour le bien de la société. Mais des occasions se présentent, généralement rares, où il considère que certaines lois sont si injustes que leur obéir en devient un déshonneur : alors il les viole ouvertement et par devoir civique, et supporte tranquillement la peine de leur transgression. Et afin de faire enregistrer sa protestation contre l'action du législateur, il lui est loisible de retirer à l'État sa coopération en désobéissant à telles autres lois dont la violation n'enveloppe aucune turpitude morale. À mon avis, la beauté et l'efficacité du Satyagraha sont si grandes et la doctrine en est si simple qu'il peut être prêché même à des enfants. Je l'ai prêché à des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants, communément appelés indentured Indians, avec d'excellents résultats."

Louis Even

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