Un sénateur du Congrès américain, l'honorable J. C. O'Mahoney, vient de prononcer un discours qui fera désormais époque dans les annales de la politique de son pays, discours qui aura probablement pour effet d'orienter d'une façon définitive toute la politique américaine, en matière économique. Cet homme éminent a dit entre autre chose que les malheurs du monde actuel sont tous dus à une flagrante injustice économique. "Les dictateurs ne seraient jamais parvenus au pouvoir si les produits de l'industrie, et les marchandises qui l'encombrent et la paralysent, avaient été équitablement distribués.", a-t-il ajouté.
"L'impuissance qu'ont démontrée les hommes d'État, à travers le monde, à résoudre les questions qui leur ont été soumises est la cause fondamentale de la présente crise. Si les pays démocratiques avaient réussi à distribuer les produits de l'industrie parmi les masses, ils n'auraient jamais eu à envisager aujourd'hui l'effroyable menace des États totalitaires."
"Nous, d'Amérique, (États-Unis, Canada, etc.) subissons présentement cette grande crise, forcés de dépenser des billions, d'abandonner nos occupations ordinaires, de supporter l'écrasant fardeau des taxes — simplement parce que les démocraties n'ont pas eu dans le passé assez d'esprit social pour mettre en œuvre les moyens à leur disposition pour apporter à tout le monde les choses nécessaires à la vie."
Puis il termine par les remarques suivantes qu'il souligne ainsi :
"La grande erreur de l'Europe". "La vérité au fond de tout cela, dit-il, est que nous sommes placés aujourd'hui dans l'effroyable alternative ou bien d'ajuster notre mécanisme économique de façon à préserver la liberté des entreprises privées en leur permettant de procurer un emploi stable à chacun des individus de la masse, ou bien de se résigner à voir tôt ou tard une forme de gouvernement assumer tous les contrôles. C'est précisément ce qui est arrivé en Europe. Les leaders de l'Europe nous ont déclaré que cette tâche était impossible à la démocratie. La crise est arrivée en Europe parce que les gouvernements démocratiques ont refusé de considérer les faits économiques. Ils ont temporisé devant l'imminence du désastre. Ils ont été ainsi la cause qu'une grande partie de la population est devenue une classe de parias sans espoir de jamais posséder une propriété quelconque."
"Ils ont fermé les yeux sur le fait qu'en négligeant de faire fonctionner le système équitablement pour tous, ils ouvraient ainsi la porte à la destruction du capitalisme démocratique."
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Il n'est pas nécessaire d'être grand clerc pour déduire de ce qui précède au moins deux choses essentielles. Premièrement, c'est que la note que le sénateur O'Mahoney a frappée est d'une justesse et d'une évidence que personne ne saurait contester. Deuxièmement, c'est que de telles déclarations, émanant ainsi d'une source aussi autorisée qu'est le sénateur O'Mahoney constitue pour la démocratie une charge des plus accablantes. Quand on songe que cet homme, qui est président d'une commission économique qui a siégé pendant plus de deux ans, a entendu des témoignages aussi différents que ceux de gouverneurs d'États, de sénateurs, de magnats de l'industrie, de sommités économiques appelées de tous les coins du pays, on peut être assuré qu'il ne parle pas à travers son chapeau. Le résultat de cette enquête qui constitue la plus formidable étude de tout le système économique américain est consigné dans 31 volumes. De plus, on a réuni en 44 autres volumes les études faites par 188 experts spécialement attachés au service de la Commission. Nos économistes du genre expert ne se donnent pas tant de peine pour arriver à leurs conclusions.
Nous ignorons quelles seront les recommandations de cette commission. Nous retenons cependant ceci : c'est que la grande erreur, la cause fondamentale de la crise actuelle, comme de toutes celles qui ont précédé, c'est l'impossibilité dans laquelle s'est trouvé le système actuel de faire parvenir les produits de l'industrie aux consommateurs. Après cet écrasant témoignage, qui vient après tant d'autres, celui des créditistes pour un, nous n'aurons plus à prouver que la cause de tous les maux actuels prend sa source dans une mauvaise distribution des produits de l'industrie.
Il ne nous reste plus qu'à prendre les moyens. Les créditistes le crient depuis des années : le dividende national à tous les membres de la société, complété par l'escompte compensé.
Si après de tels témoignages on s'acharne encore à fermer les yeux, nous répétons et nous soutenons, après tant d'autres, que les véritables ennemis de la démocratie sont à l'intérieur du pays, dans nos murs mêmes. Un jour viendra sûrement où l'opinion publique les traduira les uns après les autres devant son impitoyable tribunal. L'erreur ne peut ainsi triompher indéfiniment de la vérité.
O. GUIMONT