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La politique — La démocratie à l'envers

Louis Even le mercredi, 01 mai 1940. Dans La politique

Le but d’une démocratie — comme de tout gouvernement qui comprend son mandat — c’est d’accomplir la volonté du peuple.

Il s’agit là d’une démocratie réelle. Pas une démocratie de partis ou de débats parlementaires. Ces choses-là peuvent être utiles ou inutiles, nuisibles même, selon ce qui en résulte. Ce qui compte, ce sont les résultats. Et ce qui compte pour obtenir les résultats, c’est un peuple uni et déterminé à obtenir ce qu’il veut unanimement avoir. On ne voit pas bien ce que les partis et les luttes partisanes ont à faire là-dedans.

L’ADMINISTRATION

Le peuple n’administre pas. Il dit ce qu’il veut avoir, il dicte l’objectif ; mais c’est l’administration qui prend les moyens d’accomplir la volonté du peuple, d’atteindre l’objectif.

Et les administrateurs ne font pas eux-mêmes l’ouvrage, ils donnent les ordres. Ils donnent les ordres à des experts, en leur commandant de fournir les résultats réclamés par le peuple.

Les experts doivent savoir comment faire, ou bien ce ne sont pas des experts et ceux qui les engagent n’ont qu’à les changer. Mais si les experts savent quels moyens prendre pour fournir les résultats, ce n’est pas à eux qu’il appartient de décider quels résultats ils vont donner, de dire : Nous imposerons telle et telle chose au public, pas ce qu’il demande, mais ce que nous jugeons qu’il devrait avoir.

Les administrateurs, les gouvernements, eux, n’ont pas besoin d’être experts dans l’accomplissement. Leur expertise consiste à connaître les besoins du peuple (et c’est facile lorsqu’ils ne sont ni sourds ni aveugles), puis à choisir des experts pour l’exécution.

Entendue de cette façon, une démocratie fonctionne pour le bien du public. L’administration n’est pas un casse-tête, et l’expert (financier ou autre) n’est pas un dictateur, mais un serviteur.

Nous laissons au lecteur de juger si nous avons la démocratie ou l’envers de la démocratie au Canada ; si les institutions servent le public ou si le public sert les institutions ; si le gouvernement transmet aux experts la volonté du peuple ou s’il transmet au peuple les décisions des experts.

"LOIN DES YEUX, LOIN DU COEUR"

Pour que le peuple puisse ainsi formuler sa volonté et exiger que ses administrateurs l’interprètent pour donner des instructions aux experts, il faut que le peuple soit assez près de ses administrateurs, qu’il soit facilement entendu d’eux.

C’est pour cela que l’administration de nos municipalités rurales est plus effectivement démocratique que l’administration d’une province ou d’une confédération.

Plus le centre d’administration est éloigné des administrés, plus le bien commun de ceux-ci risque d’être trahi pour les intérêts privés d’une clique.

Une coopérative est démocratique, tant que les coopérateurs se rencontrent, étudient leurs affaires ensemble et transmettent à un gérant qu’ils surveillent les décisions auxquelles ils en sont venus, les résultats qu’ils attendent de lui. Ils le laissent prendre les moyens qu’il juge à propos, mais il doit donner des résultats satisfaisants. Étendez la coopérative en territoire, en nombre, à tel point que les coopérateurs perdent contact avec le conseil d’administration, c’est fini : ils risquent d’avoir tout autre chose que ce qu’ils attendaient de leur association.

CENTRALISATION

C’est pour cela que tout ce qui tend à la centralisation du pouvoir dans des mains de plus en plus éloignées du public à servir est antidémocratique. Dans la politique, oui. Dans l’économique, également. Dans la finance, encore plus.

Le peuple est moins bien servi, et moins capable de réclamer, à Québec que dans sa municipalité. Encore plus mal servi et plus impuissant à Ottawa qu’à Québec.

Le client est plus sacrifié par un trust que par une industrie et un commerce dans lequel il peut voir quelque chose.

Quant à la finance, on n’en parle pas. Allez donc exprimer votre volonté à Londres ou à Bâle. On est rendu au point où un petit groupe d’hommes mène l’univers et déclenche des crises dans tous les pays du monde à la fois. Les famines d’autrefois, les tremblements de terre, les sécheresses, les guerres mêmes, sont des maux bénins à côté de cela, parce que, au moins, c’étaient ou ce sont des maux localisés, et temporaires. Les chaînes de la finance sont universelles et de plus en plus serrées.

QU’EST-CE QUE L’ÉTAT ?

C’est se faire une idée fausse de l’État de penser qu’il doive consister en une masse soumise et, au-dessus d’elle, un groupe de surhommes qui dictent à la masse ce qu’elle doit avoir, ce dont elle doit se contenter. Quand même ces surhommes traiteraient la masse comme un bon cultivateur traite son troupeau (ce qu’ils n’ont pas encore fait), une telle conception de l’État abaisserait étrangement la notion de la personne humaine.

"L’État est une hiérarchisation de personnes humaines." (Père L. Lachance).

L’État commence avec toute association de personnes, avec la famille, et se continue dans tous les groupements que font les hommes entre eux pour poursuivre en commun quelque bien qu’ils cherchent communément.

Et chacun de ces groupements, chacune de ces associations, à partir de la famille, devrait avoir la plus grande somme d’autonomie possible. De sorte que l’administration supérieure n’existerait pas pour imposer au peuple des choses qu’il n’a jamais ni voulues ni demandées. Elle serait là pour coordonner les orientations des organismes inférieurs autonomes, de façon à éviter les conflits dans la poursuite de divers biens communs par diverses associations.

CORPORATISME

C’est, croyons-nous, l’essence du corporatisme et c’est en même temps ce qu’il y a de plus démocratique. Quant à ceux qui se figurent que le corporatisme consiste à enrégimenter les hommes, contre leur gré, dans des groupements où ils reçoivent aveuglément les directives provenant de paliers inaccessibles, ils méprennent le corporatisme pour du caporalisme.

Nous croyons plutôt que le corporatisme est, en fait de structure sociale, un régime de décentralisation. Ce qui concorde exactement avec le but poursuivi par le Crédit Social dans l’ordre économique, dans le système financier.

Nous croyons aussi que ceux qui aspirent à un régime corporatiste, si parfaitement démocratique et décentralisateur, et pensent y arriver en respectant le pouvoir essentiellement centralisateur du système financier actuel, continueront d’aspirer longtemps : ils verront la révolution et le chaos avant leurs réalisations.

Mais la centralisation conduite avec succès par la finance internationale, depuis vingt-cinq ans, et projetée sur une plus grande échelle encore pour l’après-guerre, mérite de faire le sujet d’une étude spéciale.

Louis Even

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