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La politique – L’intervention de l’État

Louis Even le dimanche, 15 juin 1941. Dans La politique

Par intervention, il ne faut pas entendre suppression, absorption. Mais droit de regard, présence au moment opportun pour défendre l'opprimé, pour concilier des intérêts qui présentent des points de friction.

Dans les réflexions qui suivent sur l'intervention de l'État, nous nous sommes inspirés largement du chapitre premier de la troisième partie du volume intitule « Les Droits du Travailleur et le Corporatisme", par M. Paul Chanson, de Calais (France).

Nécessité de l'intervention de l'État

L'État est le gardien du bien commun. Il n'existe pas pour tel ou tel particulier, mais pour tous. Si la conduite d'un particulier ou d'un groupe nuit à l'ensemble, l'État doit intervenir. Si les forts mangent les faibles, l'État doit intervenir. Là surtout, parce que c'est le faible qui a le plus besoin de protection. Et dans un régime où les faibles sont piétinés par les forts, il ne peut plus y avoir d'ordre. L'anarchie et la révolution menacent d'autant plus que le nombre des faibles augmente et celui des forts diminue.

Le libéralisme économique, qui a supplanté le régime des corporations, préconise la non-intervention de l'État, le libre déploiement des diverses forces en jeu : ça s'arrangera tout seul ! dit-il.

Comme si l'ordre pouvait être engendré, spontanément, sans une intelligence directrice.

Sans doute que, si tous les hommes étaient parfaits, ils se conduiraient tous d'après un principe directeur et tendraient diversement au même but. Mais on sait que les hommes ne sont pas parfaits, quoi qu'en ait dit Jean-Jacques Rousseau. Aussi la doctrine du laisser-faire a-t-elle produit exactement le contraire de ce qu'elle prétendait.

Elle prêchait la non-intervention de l'État. Et voici la société rendue dans un tel gâchis qu'il faut appeler l'État à tous les coins. On réclame maintenant le gouvernement partout, alors que le gouvernement est lui-même tenu en laisse par ceux qui, à la faveur du principe de non-intervention, sont devenus les dominateurs de la multitude.

Il ne faut point s'étonner que l'État ainsi asservi n'intervienne que juste pour empêcher la révolte ; il ne se sent pas assez fort pour déranger ceux qui sont en selle. Ou bien, par une réaction violente, on tourne à la dictature d'État, à l'État totalitaire.

Deux sortes d'interventions

L'État doit intervenir, mais ne pas sortir de son rôle. Son rôle n'est ni de laisser tout faire, ni de tout faire lui-même, mais d'aider à faire, de rendre possible ce qui est désirable.

Selon les termes de Léon XIII :

Ce qu'on demande d'abord aux gouvernants, c'est un concours d'ordre général, qui consiste dans l'économie tout entière des lois et des institutions ; ils doivent faire en sorte que, de l'organisation même, et du gouvernement de la société, découle spontanément et sans efforts la prospérité, tant publique que privée. (Rerum Novarum).

C'est une intervention indirecte. M. Chanson l'appelle contrôle institutionnel de l'État.

C'est la principale intervention, l'intervention normale ; mais l'auteur se hâte d'ajouter que ce contrôle institutionnel ne suffit malheureusement pas, et qu'aujourd'hui surtout, un contrôle direct et immédiat s'impose dans certains domaines.

Contrôle institutionnel de l'État

Le contrôle institutionnel, l'intervention indirecte, consiste à établir une législation qui permette aux organismes inférieurs de fonctionner à plein et de donner eux-mêmes ce qu'ils sont capables de donner.

"L'État doit laisser aux particuliers et aux groupements d'ordre inférieur les fonctions qu'ils sont capables de remplir eux-mêmes." (Pie XI, Quadragesimo Anno.).

Ce n'est plus le laisser-faire. Mais ce n'est pas non plus la dictature, l'étatisation. C'est "aider les membres du corps social, non pas les détruire ni les absorber." (Pie XI.)

Ni économie étatisée, ni économie dirigée par l'État ; mais économie organisée, chaque organe naturel du corps économique accomplissant normalement sa fonction spéciale.

Cela se fait par une économie corporative, bien supérieure à la loi anarchique du bois qui a conduit le monde au chaos, à la bureaucratie partisane qu'on développe en guise de remède, ou à l'autocratie à laquelle ont recours plusieurs pays.

Selon M. Chanson, "la caractéristique de l'économie corporative, c'est qu'entre le pouvoir politique et la propriété privée, elle interpose une autorité intermédiaire, celle du corps professionnel." On évite ainsi et l'exploitation et la dictature.

Nous sommes de cet avis. Mais nous aimerions qu'en parlant de corporations, d'organes du grand corps social, on n'ait pas en vue que le groupement pour la production. Au moins au Canada, le problème de la production de biens matériels est devenu un problème secondaire. Ne convient-il pas d'envisager aussi le groupement pour les biens culturels ? Ce groupement devrait même avant longtemps devenir prépondérant.

Plus le progrès va déplacer le labeur de l'homme dans la production matérielle, si l'on a soin d'y adapter des règlements appropriés de distribution, plus le temps et les activités de l'homme seront disponibles pour la poursuite de biens supérieurs. Là encore, il demeure être social, il s'associe à d'autres hommes pour des fins spécialisées, et ces associations tiendront une place de plus en plus grande dans un corps social de plus en plus libéré de l'attention aux besoins de la vie corporelle.

Nous soumettons donc qu'on devrait avoir les yeux moins rivés sur la seule association pour le gagne-pain. Qu'on enlève une bonne fois les entraves financières à la distribution des biens, immédiatement sera déplacé l'axe de grands problèmes qui occupent l'humanité. Il s'agira moins de relations entre patrons et ouvriers, entre fournisseurs et payeurs, et beaucoup plus de l'éducation de la volonté, de la place à donner à la raison dans la conduite de la vie. Tout cela, sans même sortir du simple domaine temporel, sans empiéter sur le terrain spirituel. Même dans sa vie naturelle, l'homme est autre chose qu'une bête à nourrir.

On ne s'attardera plus à des règlements de répartition, de partage des biens — dans un monde où l'abondance permet une distribution généreuse à tous. Il faudra s'appliquer davantage à l'orientation de l'homme dans le choix et l'usage qu'il fera librement de ces biens, dans l'emploi de ses loisirs, dans l'organisation de sa vie supra-animale.

L'État aurait encore son rôle à jouer dans une humanité assurée du nécessaire pour une bonne vie ; mais ce serait moins le rôle d'État-gendarme, plus celui d'État-éducateur.

Contrôle direct de l'État

Condition préalable à cet essor : qu'on enlève les entraves financières à la distribution des biens, avons-nous écrit. Pour obtenir ce résultat, le contrôle institutionnel de l'État, l'institution corporative ne suffit pas.

M. Chanson s'exprime ainsi (livre cité, page 102) : "Nous voulons libérer l'État que la dictature économique réduit en esclavage. Les Corporations — à elles seules — n'y parviendront pas ; sans compter que nous n'aurons jamais de corporations aussi longtemps que les pouvoirs publics et le parlement seront tantôt les dupes et tantôt les prisonniers du capitalisme tentaculaire. Il n'y a qu'un moyen d'en finir avec la dictature de l'argent, c'est de la frapper en plein cœur, de renforcer le contrôle direct de l'État dans le domaine économique et social, et d'abord et surtout dans le domaine financier. »

"Frapper la dictature de l'argent en plein cœur," écrit M. Chanson. En plein cœur, non pas seulement rogner de temps en temps les ongles de ses tentacules. En plein cœur, là où elle puise sa vie, dans le contrôle du crédit dès sa naissance, dans la banque arbitre du volume de l'argent.

Ici, M. Chanson cite M. George Viance (de "La France veut un Chef") :

"C'est une absurdité de notre législation actuelle que d'offrir aux banques le même cadre institutionnel qu'aux entreprises industrielles ou commerciales. Celles-ci, en effet, ne réunissent un capital que pour le transformer immédiatement en bâtiments, machines, matières premières, gisements, marchandises, etc. Le banquier, au contraire, n'a besoin que d'un capital restreint, pour s'installer et présenter une garantie ; moyennant une confiance solide de ses clients, il pourra s'en passer."

"Par ailleurs, reconnaît M. Chanson, la Banque émet, sous les espèces du chèque, une véritable monnaie."

M. Chanson réclame le contrôle draconien de la Banque et de la Bourse, complété par un certain contrôle des valeurs mobilières et des sociétés anonymes.

Nous ne croyons pas que M. Chanson ait jamais eu l'occasion d'étudier le Crédit Social. Mais il place tout de même le doigt sur une plaie à guérir — sans quoi, dit-il, on n'aura jamais de Corporations.

Les Corporations, en effet, sont les organes vivants d'un corps vivant. Si le corps et les organes sont vides de sang, qu'est-ce sinon un cadavre ? Et lorsqu'il s'agit du corps économique, qu'est-ce que le sang, sinon l'argent. Le Pape lui-même n'emploie-t-il pas cette expression : l'argent et le crédit, le sang de la vie économique.

Mais voilà : dans son immortelle encyclique, le Pape parle de réforme des mœurs, d'organisation corporative et de contrôle du crédit. Tout le monde se sent assez à l'aise pour rappeler les deux premières ; mais combien paraissent trop figés par la peur pour oser aborder le contrôle de l'argent et du crédit !

Conclusion

Nous conclurons en disant qu'une double intervention de l'État est nécessaire :

1. Intervention indirecte, institutionnelle, par l'organisation corporative ;

2. Intervention directe pour frapper en plein cœur et abattre la dictature de l'argent, par le Crédit Social.

La première, plus générale. La seconde, dans le domaine particulier de l'argent.

Si l'on ne libère pas d'abord l'État de son asservissement à la Banque, comment veut-on qu'il mette de l'ordre ? Selon l'expression de M. Chanson, au lieu d'un État-chevalier, défenseur des faibles, on a un État-serf, valet de puissants intérêts privés.

Et remarquons que le Crédit Social ne substitue point une dictature d'État à la dictature bancaire.

Il a soin de faire naître l'argent, par décret de l'autorité souveraine, mais d'après les faits qui sont l'œuvre de tous ; création du gouvernement, mais propriété de tous et chacun des membres de la société.

Voilà une intervention qui, directe et immédiate, laisse tout de même aux organismes inférieurs, aux familles, aux individus, la liberté de faire ce qu'ils sont très bien capables de faire : élire la production qui leur convient.

Louis Even

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