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La politique - Est-ce bien "comme les autres" ?

Louis Even le mardi, 15 septembre 1942. Dans La politique

Au temps où le Crédit Social en était encore à la phase de la propagande, lorsque ses conférenciers allaient d'une paroisse à l'autre, expliquant le système d'argent, démontrant les résultats néfastes de la naissance de l'argent à l'état de dette, réclamant de l'argent fait par la société elle-même pour le service de ses membres, combien de fois, en ce temps-là, les conférenciers n'ont-ils pas entendu des réflexions de ce genre : "Oh ! ça va bien faire comme les autres ! On a déjà mis de côté Taschereau pour l'Union Nationale, et qu'est-ce que ça nous a donné, à part de changer les favorisés de bord ? Des promesses, on en est saturé. Le dividende national, ce sera comme la fameuse vache aux colons de Duplessis : on l'attend encore ! Le Crédit Social, un nouveau parti pour pousser des ambitions nouvelles ! Ce sera bien comme les autres !"

Pas comme les autres

Et pourtant, les créditistes ont fait de moins en moins comme les autres. Ils ont plutôt fait le contraire des autres.

Les autres — c'étaient des avocats, des hommes bien en forme, des parleurs en rhétorique, discourant si bien que le monde, fasciné par leur éloquence, ne comprenait absolument rien.

Les créditistes — des ouvriers, des hommes des champs, des colons, qui n'avaient jamais auparavant monté sur une plateforme. Mais ils avaient quelque chose à dire, quelque chose qu'eux, les simples, avaient parfaitement compris, et ils réussissaient également à le faire comprendre aux autres, même en un langage sans fleurs.

Les autres — c'étaient des gens suivis de toute une cour, bien annoncés, devant qui les portes des salles s'ouvraient à deux battants, que maires et autres autorités locales s'empressaient d'accueillir avec les marques de sujets visités par leurs souverains.

Les créditistes — missionnaires isolés, deux par deux tout au plus, entrant dans la place sans plus de bruit qu'un colporteur, poliment reçus par les petits, mais regardés de travers par les coqs du village et simplement ignorés, sinon méprisés, par ceux qui se piquaient d'avoir été plus loin que l'école primaire.

Les autres — c'étaient des "mon chef... mon parti... le programme du parti... "

Les créditistes — doctrine, analyse du mal, exposé du remède.

Les autres — "Lorsque nous serons au pouvoir... Faveurs promises, positions assurées..." En attendant, pour eux un bon dîner à l'hôtel, à l'hôtel avec une licence de boisson.

Les créditistes — "Si vous voulez vous tirer du trou, il faudra faire des sacrifices. Dès aujourd'hui, payez une piastre d'abonnement pour vous instruire."

Les autres — Grande agitation pendant un mois tous les quatre ou cinq ans et dans quelques autres grandes occasions d'apparât.

Les créditistes — Toujours sur la brèche. À l'œuvre en toute saison, 365 jours par année, après comme avant des élections, en temps de guerre comme en temps de paix.

Rien d'un parti politique

C'est que, pour les politiciens de partis, la conquête du pouvoir est la raison d'être de leur existence. Ils ont un programme de façade, pour s'emparer du pouvoir ou pour le garder ; mais un programme réel, pour bénéficier de l'assiette au beurre, distribuer des faveurs et graisser les intérêts des grosses têtes. C'est le programme réel qui compte, et pour bien l'accomplir, il faut être au pouvoir. Le pouvoir ! Le pouvoir !

Les créditistes n'ont pas une foi bien grande dans le succès d'une cause noble par le moyen d'un parti politique. Ils ont pu croire, au début de leur mouvement, qu'ils arriveraient plus vite au résultat en plaçant des leurs au Parlement. Leurs contacts avec la politique, avec la politique électorale surtout, leur a vite fait comprendre qu'ils gaspillaient là leur temps et leurs énergies.

Les créditistes ne se désintéressent pas pour cela de la politique, surtout pas de la politique tout court, qu'ils placent dans la recherche du bien commun. Ils notent les actes des politiciens qui s'éloignent de cette politique-là et voguent même jusqu'à ses antipodes. Les créditistes sauront mieux que quiconque ce qu'ils auront à faire en temps d'élection. Mais ils ne comptent ni sur une élection, ni sur une loi, ni sur une cuisine parlementaire quelconque pour obtenir le Crédit Social.

Les créditistes de la province de Québec ont eu la sagesse d'éviter la formation d'un parti politique ou la liaison avec des partis existants. Les directeurs du mouvement ont toujours repoussé l'idée d'un chef politique et de clubs pour la fermentation de candidats ou la concoction de cabales. Ils ont même dû parfois briser avec des adhérents de marque qui les poussaient dans cette direction.

Nous sommes loin de regretter cette ligne de conduite. L'expérience nous éloigne de plus en plus de la poursuite du succès de la cause dans le plan de la politique électorale. Nous ferons bien notre possible, à l'occasion, pour tuer quelques serpents ou chasser quelques bêtes puantes ; mais, quels que soient les résultats d'un appel au peuple, parlement honnête ou parlement pourri, nous bâtissons le Crédit Social, parce que sa structure n'est point liée à une action électorale. Elle n'y est même pas apparentée le moins du monde.

Il faut dire et répéter ces choses, parce que, dans notre pays au moins, la masse est portée à croire que rien ne peut se faire sans passer par la politique, sans l'appui du gouvernement. C'est presque une idée fixe qui empêche la naissance d'initiatives et dispose admirablement le public à l'ingérante gouvernementale, à l'étatisme, au citoyen numéroté dans une bureaucratie universelle.

Bénissons Dieu qu'il soit impossible de compter sur les gouvernements pour promouvoir la cause créditiste. Réjouissons-nous qu'il faille nous-mêmes, les créditistes, bâtir le régime créditiste, complètement en dehors du gouvernement : cette obligation aura au moins eu l'avantage de corriger une mentalité en train de faire grand mal à nos Canadiens français.

Par les intéressés eux-mêmes

Dans le "Coin des Officiers, en page 7 du présent numéro, Mademoiselle Gilberte Côté écrit : "Le Crédit Social ne s'impose pas comme un parti politique ; il se prend par les intéressés eux-mêmes."

Voilà ce qu'il faut faire entrer dans l'esprit du monde. Lorsque ceux qui veulent une réforme auront décidé de la faire eux-mêmes, la réforme se fera. Cela est surtout vrai du Crédit Social, puisqu'il s'agit de crédit social.

Qu'est-ce, en effet, que le Crédit Social comme réforme monétaire ? Qu'est-ce, sinon mettre la monnaie au service des hommes et des choses ? Et qui, peut mieux mettre la monnaie au service des hommes et des choses que les hommes mêmes qui produisent et consomment les choses ?

Or, ce ne sont ni les ministres, ni les députés, ni les fonctionnaires du gouvernement, qui produisent le grain, les légumes, la viande, les fruits, les habits, le bois de chauffage, etc. Et ils n'en consomment pas plus que leur part personnelle. Qu'a-t-on besoin d'eux pour instituer une comptabilité en rapport avec ces choses ? Et qu'a-t-on besoin d'eux pour établir une confiance mutuelle entre ceux qui comprennent cette comptabilité et veulent l'utiliser ?

Tout argent tire son acceptation de la confiance qui lui est faite. Tout argent tire sa valeur de la présence des produits qu'il peut acheter. Les produits ne sont pas affaire de politique. La confiance n'est pas affaire de politique. La confiance aveugle peut être affaire d'hypnotisme — hypnotisme établi et entretenu par des exploiteurs de la finance ou de la politique. Mais la confiance raisonnée est affaire d'intelligence placée devant des faits.

Une loi — la meilleure des lois — ne fera pas pousser une pomme de terre, ne défrichera pas un arpent de terre neuve, ne labourera pas la moindre fraction d'un champ. Elle peut sanctionner une chose bonne, elle ne fera pas la chose bonne.

La loi des Caisses Populaires existe depuis plus de trente ans dans la Province de Québec. Mais cette loi n'a pas établi une seule Caisse Populaire. Les caisses ont été fondées et gardées en marche par les sociétaires eux-mêmes.

Il en ira ainsi du Crédit Social. Le Crédit Social sera établi par les créditistes eux-mêmes.

En Alberta, ce n'est pas le vote du 22 août 1935 qui a établi le Crédit Social. Pas même l'institution des maisons de crédit. C'est la confiance raisonnée que 30,000 familles d'Alberta accordent aujourd'hui à ces maisons du Trésor qui fait progresser l'accomplissement du Crédit Social. Ce sont les transactions effectuées par l'intermédiaire de la comptabilité des maisons de crédit qui oriente la production et la distribution vers la satisfaction des besoins des consommateurs.

Ainsi en va-t-il dans l'Association Créditiste qui a ouvert ses premiers livres à Sherbrooke le 23 mars dernier, et qui fait déjà circuler ses transferts parmi ses 14,000 membres.

Lorsque les créditistes auront appris à se servir de comptabilité faite par eux pour 5 pour cent de leurs achats entre eux, ils pourront faire circuler une comptabilité faite par eux pour 100 pour cent de leurs achats entre eux. Et plus ces achats entre eux couvriront la multitude de leurs besoins, plus leur propre comptabilité sera au service de la multitude de leurs besoins ; plus donc le Crédit Social sera complet.

Ces choses sont fort simples. L'éducation théorique s'est faite pendant cinq ans et demi. L'éducation pratique marche rondement depuis six mois. Les effets sont déjà surprenants. Aussi les crédtistes ne discutent plus. Ils n'entrent plus en polémique avec des adversaires. "Vous ne croyez pas, monsieur ? C'est bon, ne croyez pas. Nous croyons, et voyez ce que nous faisons !"

Et vous, les désabusés de la politique, nous ne vous blâmons pas de n'avoir plus confiance ni dans les vieux partis, ni dans les partis naissants. Mais le Crédit Social n'est rien de cela. Regardez bien : ce n'est pas du tout comme les autres !

Louis Even

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