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La politique – Au pays de la démocratie

Louis Even le samedi, 15 mars 1941. Dans La politique, L'expérience albertaine Aberhart

Le 15 février dernier, le Programme Intérimaire de l'Alberta est entré dans une nouvelle phase. Un mois de transition acordé pour opérer le changement, et aujourd'hui même, 15 mars, les nouveaux certificats de transfert sont en marche.

Avance ou recul

Est-ce un recul, une retraite stratégique de la part du gouvernement d'Edmonton — ou est-ce une avance ?

Une manière infaillible d'en juger, avant même d'analyser les modalités nouvelles, c'est de remarquer la réaction dans les milieux financiers, ou plutôt chez leurs valets, la presse stipendiée, les avocats à solde des corporations financières, les boards of trade.

Depuis deux années, les succursales du Trésor étaient en fonctionnement et personne ne jetait les hauts cris. Or l'annonce de la nouvelle étape a déclanché une activité terrible chez les adversaires : des journaux attaquent ; des avocats bondissent et brandissent l'accusation d'illégalité ; les Chambres de Commerce et les Boards of Trade organisent la résistance.

Il faut croire qu'il y a quelque chose d'effectif dans le nouveau développement. Peut-être aussi est-ce l'expression de la grande déconfiture de gens qui attendaient du gouvernement l'abandon de son système et qui lui voient conférer des ailes neuves.

N'oblige personne

Pourquoi, aussi, tout ce beau tapage, puisque comme dans la phase ancienne, la participation à la distribution par les succursales du Trésor reste absolument libre. Personne n'est contraint de collaborer avec le Trésor. De quoi donc se plaignent les adversaires ? Ils n'ont qu'à s'abstenir.

Mais voilà, c'est justement de la liberté qu'ils ne veulent pas. Une population forcée de se priver en face de l'abondance, une population soumise aux règlements restrictifs de la finance, ça va à ces messieurs. Mais un peuple qui ajoute au système des banques ce qui manque pour que les produits entrent dans les maisons, voilà ce qui ne leur va pas.

Le peuple s'affranchir du joug — quel crime ! Le peuple hausser son niveau de vie selon les biens de sa province, au lieu de s'en tenir aux règlements des banquiers — scandale impardonnable !

Le coût du service

Naturellement, les adversaires n'y vont pas avec cette franchise. Ils ne dénoncent pas le gouvernement pour avoir amélioré le sort de ses administrés ; ils feignent d'épouser la cause du contribuable.

Le système des maisons du Trésor coûte de l'argent au gouvernement, disent-ils : bâtisses, employés, papeterie, etc.

Évidemment, comme le ministère de l'agriculture coûte de l'argent au gouvernement. Va-t-on en conclure qu'il faut le supprimer ?

C'est le public qui paie un service public, et c'est le public qui en bénéficie. Si le bénéfice dépasse immensément le coût, ce coût est un bon placement.

C'est le résultat qui compte en définitive.

Les succursales du Trésor sont défrayées par le gouvernement. Or le gouvernement, sans avoir rien sacrifié dans les autres services, bien au contraire, n'a pas eu à augmenter le taux de ses taxes sur les contribuables pour subvenir à ce nouveau service.

Qu'est-ce que cela prouve ? Que le revenu de la province augmente du fait de l'activité résultant d'une distribution plus facile. Voilà un service qui s'est greffé sur l'ensemble sans rien coûter de plus à ceux qui en bénéficient. En réalité, il ne pèse donc pas d'un seul sous sur les épaules du contribuable albertain.

Les changements

Les changements furent très bien expliqués dans un dialogue, à la radio, entre le premier-ministre Aberhart et son Trésorier provincial l'honorable Solon Low, le vendredi soir 21 février.

Les déposants aux maisons du Trésor avaient deux comptes : un compte d'argent et un compte de certificats, Le 15 février, tous les comptes de certificats sont passés automatiquement aux comptes d'argent.

Pourquoi ? Pour permettre aux déposants de retirer tous leurs dépôts s'ils désirent, afin de ne forcer personne à contribuer au nouveau programme. On est au pays de la démocratie en Alberta.

Voilà pour un premier changement.

Deuxième : On introduit des "titres aux biens" (Trade claims) comme auxiliaires de l'argent, pour distribuer la production. Ces titres font exactement l'office de l'argent, puisque, dans son rôle propre, l'argent est un titre aux biens, marchandises et services.

Aberhart explique que ce n'est pas pour supprimer l'argent, mais pour le compléter. Vous avez besoin de secourir des sinistrés menacés par les flammes à 40 pieds de hauteur, donne-t-il comme exemple. Les pompiers ont une échelle qui n'atteint qu'à 30 pieds. Va-t-on jeter l'échelle au rancart parce qu'elle est trop courte ? Non, on va lui ajouter une extension de 10 pieds. De même le système d'argent est insuffisant pour écouler toute la marchandise. Va-t-on le mettre de côté ? Non, on va lui ajouter une extension, laissant les citoyens libres de se servir de cette extension ou non.

Comme la province ne veut pas, surtout en temps de guerre, entrer en conflit avec le fédéral sur des questions de constitutionnalité, l'extension n'est pas du tout de l'argent, réservé à la juridiction fédérale et bancaire, mais simplement des droits aux biens, que les citoyens transfèrent les uns aux autres par l'entremise de la comptabilité provinciale des maisons du Trésor.

Troisième changement. — Une nouvelle formule de certificats de transfert servira à passer ces titres aux marchandises d'une personne à l'autre. Ils ne donneront pas droit à des transferts d'argent.

Quatrième changement. — De nouveaux contrats seront signés avec les marchands qui veulent collaborer. Les marchands sont donc relevés de leurs anciens contrats et absolument libres de renouveler ou non.

Cinquième changement — Le boni aux acheteurs est porté de 3 pour cent à 5 pour cent, en prenant pour base l'achat total si la moitié de l'achat est de la production albertaine ; autrement, la base est limitée au double des achats de produits albertains.

Favorise la distribution des biens

Comme on voit, les changements présentent un triple caractère :

1) Ils maintiennent la liberté absolue, déliant de tout engagement précédent.

2) Ils augmentent le boni aux acheteurs qui se servent de cette nouvelle extension au système monétaire.

3) Ils concentrent le programme sur la libération des biens, effectuant ainsi le véritable rôle de l'instrument monétaire.

Arrangements connexes

Le gouvernement maintient des arrangements analogues aux anciens pour permettre les achats en dehors de la province, les remplacements de stocks par les marchands enregistrés, les échanges de "titres aux biens" pour de l'argent lorsque c'est nécessaire pour l'acheteur.

Évidemment, le gouvernement accepte ces titres en paiement des taxes et licences provinciales. Il s'en sert d'ailleurs, en partie, pour payer ses fonctionnaires, si toutefois les fonctionnaires expriment librement leur désir de les accepter.

C'est ainsi que l'association des employés civils, succursale No2 d'Edmonton, a passé librement une résolution pour accepter, à partir du 17 février dernier, paiement des salaires des employés en "titres", au lieu d'argent, dans la proportion de 15 pour cent du salaire pour les célibataires, de 25 pour cent pour les hommes mariés.

En Alberta, on comprend la démocratie, et le gouvernement est au service du peuple. Il aide le peuple, dans la mesure du possible, à se soustraire à la dictature des banques. Il n'oblige à rien, mais son service est là, et le public n'a qu'à s'en prévaloir.

L'usage des "titres aux biens" sera d'autant plus efficace qu'il y aura plus d'Albertains à entrer dans cette grande association volontaire de citoyens qui veulent échanger entre eux leurs produits et leurs services.

C'est affaire d'éducation et de volonté. Au moins, le gouvernement a fait sa part, les citoyens n'ont plus qu'à faire la leur.

Louis Even

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