Nous en avons déjà parlé ; et elle continue. C'est-à-dire que des familles établies depuis bien des années à Roc d'Or, village situé à un mille ou deux, de Malartic, sont forcées de laisser les lieux, emporter leur maison avec grands frais s'ils peuvent, l'abandonner s'ils ne peuvent pas, et aller s'établir à Malartic ou ailleurs, perdant le fruit de leurs épargnes ou s'endettant pour le reste de leurs jours.
Des policiers du gouvernement provincial ont l'œil et font pression sur les familles, l'une après l'autre, pour les faire évacuer Roc d'Or.
Nous aurons des détails plus précis sur ce "grand dérangement", lors de notre voyage en Abitibi dans quelques jours. En attendant, voici un extrait d'une lettre écrite par Henri Arpin de Roc d'Or et datée du 16 mai :
"À Roc d'Or, tout le monde parle de déménager. Toutes les semaines, il part sept à huit ménages. Si ça continue, ce ne sera pas long qu'il va falloir partir nous aussi.
"Avant-hier, les agents de police ont bousculé un vieux de 62 ans, puis l'ont descendu à la prison de Val d'Or. Le crime de ce vieillard était de ne pas vouloir laisser son bien et sa propriété pour aller rester à Malartic. Peut-on voir chose plus injuste ? "Je n'ai pas besoin de vous en dire plus long ; vous comprenez tout ce que cela signifie. Après avoir amassé de peine et de misère quelques biens, asez maigres mais qui nous sont chers puisque nous n'en avons pas d'autres, il faut maintenant tout donner et s'en aller on ne sait trop où. Je ne sais pas où j'irai moi-même lorsqu'il me faudra partir d'ici. En tout cas, s'il faut partir ; qu'importe où nous irons nous ferons encore du Crédit Social."
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Le dernier mot n'est pas dit sur la déportation de Roc d'Or. Cette barbarie devra être publiquement inscrite sur le front des responsables.
Ajoutons que ces persécutés ont tout de même gardé assez de ressort pour protester contre une autre injustice : celle faite au directeur du mouvement créditiste dans la province. De Roc d'Or, village de moins de cent cinquante familles, sont, en effet, partis, adressés à l'Honorable St-Laurent, 9 télégrammes et 336 signatures de protestation contre la condamnation de M. Louis Even. Et ces pauvres qu'on bouscule ont aussi répondu, d'une manière généreuse pour leurs moyens, à l'appel lancé par M. Edmond Major pour lever un fonds de rachat.
Les pauvres comprennent qu'ils doivent se saigner à blanc pour rançonner leur délivrance. Les autres sont trop embourgeoisés et repliés sur eux-mêmes ; leur égoïsme, d'ailleurs, laisserait-il beaucoup de valeur expiatrice à leur collaboration ?