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L'État-loisir à l'horizon

le mardi, 01 juin 1943. Dans L'économique

Cette page est la traduction de l'article "The Coming Leisure State", par Ralph Letham Duclos, président du Douglas Social Credit Bureau of Canada, publié dans l'Evening Citizen d'Ottawa du 8 mai.)

Pendant que nous combattons l'Hitlérisme à l'extérieur, prenons bien garde de ne pas dévelop­per l'Hitlérisme chez nous. Nous ne faisons pas la guerre pour obtenir une chose contre laquelle nous sommes en guerre.

"Deux grandes politiques se partagent le monde aujourd'hui, dit le major Douglas : la politique de la force (compulsion) et la politique de l'attrait (inducement)."

Toute loi, tout règlement qui oblige les gens à agir contre leur volonté — travail obligatoire, as­surance obligatoire, obligatoire ceci ou obligatoire cela — constitue un pas de plus vers la dictature. Par contre, chaque occasion donnée aux citoyens de choisir librement l'acte qu'ils désirent poser est un pas de plus vers la véritable démocratie. C'est en mesurant l'avance ou le recul dans ces deux di­rections qu'on peut vérifier le progrès vers l'escla­vage ou vers la liberté. Être libre, c'est posséder le pouvoir de choisir ou de refuser.

La promesse d'une sécurité sociale basée sur la rareté plannifiée, au prix de la liberté, est absolu­ment indigne de Canadiens dont les pères ont lutté si dur pour obtenir cette liberté. Quiconque cède sa liberté pour la promesse de simples babioles, quiconque vend son droit d'aînesse pour un plat de lentilles, mérite d'être esclave. Il est esclave déjà, parce que la liberté doit exister d'abord dans l'es­prit, et pareille concession dénote un état mental de servitude rampante, de vil opportunisme.

Crainte du chômage d'après-guerre

Nous sommes obsédés par la crainte du chô­mage pour l'après-guerre. Que ferons-nous de tous nos soldats et de tous les employés des usines de guerre ?

Il est possible, évidemment, de les employer à monter la production à des niveaux sans précé­dent. Mais cette simple pensée nous fait mal, parce qu'elle suggère la "surproduction". N'ayant pu distribuer la production annuelle de 2 milliards lorsque la dépression était à son creux, comment pourrons-nous distribuer la production annuelle de 10 milliards qu'il faut envisager si l'on ne veut pas d'un effondrement de l'emploi après la guerre ?

Sachons voir ce problème d'une manière réaliste. Nous avons atteint la surabondance, mais nous n'avons pas su distribuer cette abondance. Nous réussissons en temps de guerre, parce que nous donnons cette abondance (sous une forme désagré­able) à l'ennemi ; mais en temps de paix, nous ne savons pas nous la distribuer à nous-mêmes.

Nous donnons actuellement à l'ennemi un véri­table dividende, tiré de notre production de biens et de services, et ce dividende atteindra 4 mil­liards cette année, ce qui équivaut à $333 par an pour chaque homme, femme et enfant du Canada.

Nous n'avons pas su, en temps de paix, nous dé­cider à distribuer ce dividende, en marchandises et en services, aux Canadiens eux-mêmes, abolissant ainsi le chômage et le désastre économique qui en découle.

Pourquoi donc ? Parce que nous abordons le problème avec l'idée qu'il existe dans le monde un montant fixe de toute chose — joie, plaisir, biens, argent — et que, si les hommes veulent plus d'une chose, ils doivent renoncer à autant d'une autre. "Si vous voulez plus de sécurité, cédez votre liber­té." Pour aider les pauvres, nous croyons devoir comprimer les riches. Évidemment, s'il faut am­puter ses pieds pour en guérir les cors, la dernière situation est pire que la première.

La solution

La réponse à notre dilemme est suggérée par Lin Yutang lorsqu'il dit :

"Après tout, le développement de la machine nous approche davantage de l'âge des loi­sirs... L'homme n'apprécie rien autant que les loisirs, et cela ne signifie pas qu'il ne fait rien pendant ce temps... L'homme est actif, même quand toute la nature chôme."

Il est possible maintenant de faire l'État-loisir devenir une réalité. Écoutez ce que le Dr. Chas. M. A. Stine, vice-président de Dupont-Nemours, déclare concernant le progrès actuel :

"Le monde de 1940 est déjà devenu une anti­quité. Lorsque cette guerre sera terminée, nous aurons à notre service dix à cent fois ce que nous avions auparavant. La guerre préci­pite les développements."

Poursuivant l'idée un peu plus loin et plaçant son doigt sur le problème spécifique qui nous con­fronte, le sous-secrétaire d'État des États-Unis, Sumner Welles, dit à son tour :

"Le monde peut facilement produire tout ce dont l'humanité a besoin. Le problème ac­tuel est plutôt un problème de distribution et de pouvoir d'achat."

La peur des loisirs

Mais ceci nous amène à notre plus grande crain­te, à la crainte des loisirs. Une distribution de l'a­bondance nous introduirait dans l'État-loisir. Elle nous permettrait de faire travailler pour les 12 millions de Canadiens les 1,000 millions d'esclaves électriques. d'un cheval-vapeur chacun, que pos­sède le Canada. Ainsi servis, les Canadiens au­raient naturellement plus de loisirs.

Individuellement, nous aspirons tous à plus de loisirs. Nous essayons d'obtenir des loisirs pour notre famille. Et cependant, nous craignons les loisirs pour les autres ; nous ne pensons à des loi­sirs généralisés qu'avec la terreur superstitieuse du moyen-âge.

Nous devrions pourtant comprendre que l'aug­mentation graduelle des loisirs sera nécessairement accompagnée d'un rehaussement plus prononcé du niveau de vie, d'une culture plus élevée et d'une accélération du progrès scientifique. Comme l'ex­prime le Major Douglas :

"Il est à peine exagéré de dire que 75 pour cent des idées et des inventions auxquelles l'humanité doit les progrès accomplis, jus­qu'ici, sont retraçables, directement ou indi­rectement, à des personnes qui, de quelque manière, étaient libérées de la nécessité d'un emploi ordinaire régulier."

Ces personnes ne constituaient qu'une faible mi­norité de la population.

Moyennant des loisirs

Faites une liste des nombreuses choses utiles que vous accompliriez si vous en aviez le temps et si vous pouviez vous livrer aux occupations que vous aimez. Pensez à la multitude de ceux qui, aujour­d'hui, travaillent laborieusement pour leur subsis­tance et qui manifesteraient des talents cachés s'il leur était possible de travailler à leur expression personnelle...

La culture est le produit des loisirs bien em­ployés. Les arts, les lettres, les sciences, les inven­tions, sont en grande partie le fait des classes ayant des loisirs, ou d'individus exceptionnels qui ont consacré à la pensée créatrice des moments de loi­sir arrachés à leur dur labeur.

Par contre, l'État-travail produit un résultat op­posé. L'enrégimentation, l'obligatoire, la bureau­cratie, la soif du pouvoir, du National-Socialisme ont changé une race d'artistes et de savants en hommes du poing et du sabre. L'État-travail a produit des agents de la Gestapo, des troupes de chocs, des semeurs de mort, avec les descendants de générations qui donnèrent les Bach, les Schu­bert, les Liebig, les Hertz, les Rœntgen.

Activités libres

L'État-loisir, — cette expression n'encourt pas l'idée de "rien faire", mais plutôt de choisir son oc­cupation. C'est une société dans laquelle la force de l'attrait remplace la force de l'obligatoire ; dans la­quelle une personne travaille plus pour son épa­nouissement que pour sa subsistance, faisant le travail utile qu'elle aime plutôt que la besogne qu'elle abhorre ; une société dans laquelle les tra­vaux répugnants sont accomplis par la machine (comme l'enlèvement des vidanges à New York) ou par ceux qui choisissent ces travaux par l'at­trait de conditions de travail et de salaires inté­ressants.

Dans l'État-loisir, chacun a le choix démocra­tique de sa vocation, au lieu de la conscription en­chaînante de l'État-travail. La servitude est rem­placée par le service.

Dividendes

Lorsque nous aurons gagné la phase militaire de cette lutte pour la liberté, gagnons aussi la paix. Nous pouvons le faire en insistant pour une pro­duction à pleine capacité en temps de paix comme en temps de guerre — production entretenue par la distribution des produits.

Pour cela, que les Canadiens reçoivent un divi­dende sur cette production égal au dividende dépensé pour l'ennemi en temps de guerre ; et que toute facilité soit accordée à tous les Canadiens pour l'utilisation de leurs loisirs à leur développe­ment personnel, à leur épanouissement et à la pen­sée créatrice.

Si le gouvernement peut émettre des chèques aux industries et acheter des canons, des aéropla­nes, des corvettes, des obus et autres engins de mort, en temps de guerre — il peut, en temps de paix, émettre des chèques directement aux Cana­diens eux-mêmes, pour qu'ils s'achètent, des mê­mes industries, autrement adaptées, des autos, des réfrigérateurs, des maisons pré-construites, des meubles, et autres articles utiles à la vie.

L'industrie sera alors plus occupée que jamais à produire les choses que les consommateurs veulent avoir. Nous, le peuple, serons occupés, à augmenter la production et améliorer les moyens de produc­tion. Nous serons aussi occupés à en goûter les fruits, en bénéficiant des loisirs rendus possibles par le progrès.    

L'argent sera enfin devenu le serviteur de l'hom­me, après les longues et terribles années pendant lesquelles l'homme a été le serviteur de l'argent.

Ainsi sera introduite à l'existence l'ère de glo­rieuse liberté — l'État-loisir de culture, de bon­heur, de paix et de vie rayonnante.

Ralph L. DUCLOS

40 derrières à protéger

"Le parlement d'Ottawa vient d'approuver le don d'un autre milliard. Quarante députés québé­cois au moins ont voté exactement le contraire de ce que veulent leurs électeurs. Ils feraient bien de demander tout de suite à l'Office des Priorités la permission d'acheter quelques paires de culottes de tôle. Ils en auront besoin pour retourner dans leurs comtés." (La Terre de Chez Nous)

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