Cette page est la traduction de l'article "The Coming Leisure State", par Ralph Letham Duclos, président du Douglas Social Credit Bureau of Canada, publié dans l'Evening Citizen d'Ottawa du 8 mai.)
Pendant que nous combattons l'Hitlérisme à l'extérieur, prenons bien garde de ne pas développer l'Hitlérisme chez nous. Nous ne faisons pas la guerre pour obtenir une chose contre laquelle nous sommes en guerre.
"Deux grandes politiques se partagent le monde aujourd'hui, dit le major Douglas : la politique de la force (compulsion) et la politique de l'attrait (inducement)."
Toute loi, tout règlement qui oblige les gens à agir contre leur volonté — travail obligatoire, assurance obligatoire, obligatoire ceci ou obligatoire cela — constitue un pas de plus vers la dictature. Par contre, chaque occasion donnée aux citoyens de choisir librement l'acte qu'ils désirent poser est un pas de plus vers la véritable démocratie. C'est en mesurant l'avance ou le recul dans ces deux directions qu'on peut vérifier le progrès vers l'esclavage ou vers la liberté. Être libre, c'est posséder le pouvoir de choisir ou de refuser.
La promesse d'une sécurité sociale basée sur la rareté plannifiée, au prix de la liberté, est absolument indigne de Canadiens dont les pères ont lutté si dur pour obtenir cette liberté. Quiconque cède sa liberté pour la promesse de simples babioles, quiconque vend son droit d'aînesse pour un plat de lentilles, mérite d'être esclave. Il est esclave déjà, parce que la liberté doit exister d'abord dans l'esprit, et pareille concession dénote un état mental de servitude rampante, de vil opportunisme.
Nous sommes obsédés par la crainte du chômage pour l'après-guerre. Que ferons-nous de tous nos soldats et de tous les employés des usines de guerre ?
Il est possible, évidemment, de les employer à monter la production à des niveaux sans précédent. Mais cette simple pensée nous fait mal, parce qu'elle suggère la "surproduction". N'ayant pu distribuer la production annuelle de 2 milliards lorsque la dépression était à son creux, comment pourrons-nous distribuer la production annuelle de 10 milliards qu'il faut envisager si l'on ne veut pas d'un effondrement de l'emploi après la guerre ?
Sachons voir ce problème d'une manière réaliste. Nous avons atteint la surabondance, mais nous n'avons pas su distribuer cette abondance. Nous réussissons en temps de guerre, parce que nous donnons cette abondance (sous une forme désagréable) à l'ennemi ; mais en temps de paix, nous ne savons pas nous la distribuer à nous-mêmes.
Nous donnons actuellement à l'ennemi un véritable dividende, tiré de notre production de biens et de services, et ce dividende atteindra 4 milliards cette année, ce qui équivaut à $333 par an pour chaque homme, femme et enfant du Canada.
Nous n'avons pas su, en temps de paix, nous décider à distribuer ce dividende, en marchandises et en services, aux Canadiens eux-mêmes, abolissant ainsi le chômage et le désastre économique qui en découle.
Pourquoi donc ? Parce que nous abordons le problème avec l'idée qu'il existe dans le monde un montant fixe de toute chose — joie, plaisir, biens, argent — et que, si les hommes veulent plus d'une chose, ils doivent renoncer à autant d'une autre. "Si vous voulez plus de sécurité, cédez votre liberté." Pour aider les pauvres, nous croyons devoir comprimer les riches. Évidemment, s'il faut amputer ses pieds pour en guérir les cors, la dernière situation est pire que la première.
La réponse à notre dilemme est suggérée par Lin Yutang lorsqu'il dit :
"Après tout, le développement de la machine nous approche davantage de l'âge des loisirs... L'homme n'apprécie rien autant que les loisirs, et cela ne signifie pas qu'il ne fait rien pendant ce temps... L'homme est actif, même quand toute la nature chôme."
Il est possible maintenant de faire l'État-loisir devenir une réalité. Écoutez ce que le Dr. Chas. M. A. Stine, vice-président de Dupont-Nemours, déclare concernant le progrès actuel :
"Le monde de 1940 est déjà devenu une antiquité. Lorsque cette guerre sera terminée, nous aurons à notre service dix à cent fois ce que nous avions auparavant. La guerre précipite les développements."
Poursuivant l'idée un peu plus loin et plaçant son doigt sur le problème spécifique qui nous confronte, le sous-secrétaire d'État des États-Unis, Sumner Welles, dit à son tour :
"Le monde peut facilement produire tout ce dont l'humanité a besoin. Le problème actuel est plutôt un problème de distribution et de pouvoir d'achat."
Mais ceci nous amène à notre plus grande crainte, à la crainte des loisirs. Une distribution de l'abondance nous introduirait dans l'État-loisir. Elle nous permettrait de faire travailler pour les 12 millions de Canadiens les 1,000 millions d'esclaves électriques. d'un cheval-vapeur chacun, que possède le Canada. Ainsi servis, les Canadiens auraient naturellement plus de loisirs.
Individuellement, nous aspirons tous à plus de loisirs. Nous essayons d'obtenir des loisirs pour notre famille. Et cependant, nous craignons les loisirs pour les autres ; nous ne pensons à des loisirs généralisés qu'avec la terreur superstitieuse du moyen-âge.
Nous devrions pourtant comprendre que l'augmentation graduelle des loisirs sera nécessairement accompagnée d'un rehaussement plus prononcé du niveau de vie, d'une culture plus élevée et d'une accélération du progrès scientifique. Comme l'exprime le Major Douglas :
"Il est à peine exagéré de dire que 75 pour cent des idées et des inventions auxquelles l'humanité doit les progrès accomplis, jusqu'ici, sont retraçables, directement ou indirectement, à des personnes qui, de quelque manière, étaient libérées de la nécessité d'un emploi ordinaire régulier."
Ces personnes ne constituaient qu'une faible minorité de la population.
Faites une liste des nombreuses choses utiles que vous accompliriez si vous en aviez le temps et si vous pouviez vous livrer aux occupations que vous aimez. Pensez à la multitude de ceux qui, aujourd'hui, travaillent laborieusement pour leur subsistance et qui manifesteraient des talents cachés s'il leur était possible de travailler à leur expression personnelle...
La culture est le produit des loisirs bien employés. Les arts, les lettres, les sciences, les inventions, sont en grande partie le fait des classes ayant des loisirs, ou d'individus exceptionnels qui ont consacré à la pensée créatrice des moments de loisir arrachés à leur dur labeur.
Par contre, l'État-travail produit un résultat opposé. L'enrégimentation, l'obligatoire, la bureaucratie, la soif du pouvoir, du National-Socialisme ont changé une race d'artistes et de savants en hommes du poing et du sabre. L'État-travail a produit des agents de la Gestapo, des troupes de chocs, des semeurs de mort, avec les descendants de générations qui donnèrent les Bach, les Schubert, les Liebig, les Hertz, les Rœntgen.
L'État-loisir, — cette expression n'encourt pas l'idée de "rien faire", mais plutôt de choisir son occupation. C'est une société dans laquelle la force de l'attrait remplace la force de l'obligatoire ; dans laquelle une personne travaille plus pour son épanouissement que pour sa subsistance, faisant le travail utile qu'elle aime plutôt que la besogne qu'elle abhorre ; une société dans laquelle les travaux répugnants sont accomplis par la machine (comme l'enlèvement des vidanges à New York) ou par ceux qui choisissent ces travaux par l'attrait de conditions de travail et de salaires intéressants.
Dans l'État-loisir, chacun a le choix démocratique de sa vocation, au lieu de la conscription enchaînante de l'État-travail. La servitude est remplacée par le service.
Lorsque nous aurons gagné la phase militaire de cette lutte pour la liberté, gagnons aussi la paix. Nous pouvons le faire en insistant pour une production à pleine capacité en temps de paix comme en temps de guerre — production entretenue par la distribution des produits.
Pour cela, que les Canadiens reçoivent un dividende sur cette production égal au dividende dépensé pour l'ennemi en temps de guerre ; et que toute facilité soit accordée à tous les Canadiens pour l'utilisation de leurs loisirs à leur développement personnel, à leur épanouissement et à la pensée créatrice.
Si le gouvernement peut émettre des chèques aux industries et acheter des canons, des aéroplanes, des corvettes, des obus et autres engins de mort, en temps de guerre — il peut, en temps de paix, émettre des chèques directement aux Canadiens eux-mêmes, pour qu'ils s'achètent, des mêmes industries, autrement adaptées, des autos, des réfrigérateurs, des maisons pré-construites, des meubles, et autres articles utiles à la vie.
L'industrie sera alors plus occupée que jamais à produire les choses que les consommateurs veulent avoir. Nous, le peuple, serons occupés, à augmenter la production et améliorer les moyens de production. Nous serons aussi occupés à en goûter les fruits, en bénéficiant des loisirs rendus possibles par le progrès.
L'argent sera enfin devenu le serviteur de l'homme, après les longues et terribles années pendant lesquelles l'homme a été le serviteur de l'argent.
Ainsi sera introduite à l'existence l'ère de glorieuse liberté — l'État-loisir de culture, de bonheur, de paix et de vie rayonnante.
Ralph L. DUCLOS
"Le parlement d'Ottawa vient d'approuver le don d'un autre milliard. Quarante députés québécois au moins ont voté exactement le contraire de ce que veulent leurs électeurs. Ils feraient bien de demander tout de suite à l'Office des Priorités la permission d'acheter quelques paires de culottes de tôle. Ils en auront besoin pour retourner dans leurs comtés." (La Terre de Chez Nous)